L'hospitalité.
Dans la chaîne du Zrna-Gara, derrière le pic de Roudnick, le soleil a disparu. Le crépuscule traîne dans les vallées ses gazes bleues qui s'assombrissent de minute en minute. Les bruits de la terre s'apaisent.
L'oreille ne perçoit plus que ceux de la nature, doux et confus comme des chuchotements. La brise siffle dans les noires ramures des chênes exfoliés; les ruisseaux bruissent sur les cailloux de leur lit.
Appuyé sur un bâton noueux, le corps courbé, les jambes lourdes, un étranger descend péniblement le flanc de la montagne. De temps à autre, il s'arrête et son regard scrute les profondeurs du vallon de plus en plus enténébrées. Sous quel abri reposera-t-il ses membres las? Près de quel foyer réchauffera-t-il son corps émacié qui se glace au froid de la nuit montante? A quelle table s'assoira-t-il pour réparer, à l'aide de quelques aliments, ses forces en allées? ...
Peu à peu les ténèbres redeviennent plus obscures. La lune s'allume. Sa lumière pâle emprunte plus d'éclat à la froidure de l'atmosphère; sa clarté se double au reflet des épaisses couches de neige étendues sur le sol. Un point noir tache cette blancheur: c'est la hutte d'un Serbe.
L'étranger s'oriente, réfléchit et va droit à cette demeure. Il frappe à la porte. Elle s'ouvre. un homme apparaît sur le seuil.
"Qui que tu sois, dit cet homme à l'étranger, entre et reste le bienvenu dans la demeure de Lazare."
Puis, se tournant vers sa femme, il ajoute:
"Luibitza, allume le fagot et prépare le souper.
- Le fagot, répond-t-elle avec une douloureuse mélancolie, le fagot! Certes on peut l'allumer: la forêt est vaste et s'étend près de nous. Dans un court instant, il flamboiera dans l'âtre. Mais le souper! Y songes-tu, Lazare! Comment veux-tu que mes mains le préparent? Le souper? Le souper!... Tes entrailles oublient-elles que depuis deux jours nous jeûnons tous!".
La honte empourpre les joues de Lazare; la confusion étreint son cœur; il veut parler, mais le souffle exhalé de son gosier n'articule aucun son.
L'étranger le regarde avec une fixité étrange:
"Homme, lui dit-il tout à coup, es-tu vraiment Serbe et n'as-tu rien à donner à ton hôte?"
L'ironie de cette question n'échappa à Lazare. Il ouvre l'armoire, en tâte les tablettes, fouille le bahut, découvre la huche, monte au grenier, bouleverse tout, inspecte les moindres recoins de la cabane... Pas un croûte de pain; pas un fruit; pas même un grain de maïs... Rien! Rien!... Quel affront!... Rien!...
Lazare redescend du grenier, le regard sombre, le visage contracté, les lèvres tremblantes.
"Etranger, dit-il d'une voix stridente, voici de la nourriture. Ton souper se composera de chair fraîche et tendre."
Et sa main se pose sur la tête de son fils Janka, l'enfant aux longs cheveux blondissants et annelés.
Luibitza le regarde, comprend, pousse un cri d'angoisse et tombe sur le sol.
Plus prompt que la foudre le couteau de Lazare a frappé.
"Jamais, dit-il, non, jamais, il ne sera dit qu'un Serbe aura manqué aux devoirs de l'hospitalité."
L'étranger ferma les yeux, mais soupa. Peu à peu le feu s'éteignit dans l'âtre et tout s'endormit dans la hutte du Serbe.
Vers minuit Lazare se réveilla, croyant entendre son nom prononcé à plusieurs reprises.
Il tendit l'oreille.
'Lève-toi, disait la voix de l'étranger, lève-toi Lazare. Je suis le Seigneur ton Dieu. Grâce à ton sacrifice, l'antique hospitalité Serbe est demeurée sans tâche. Lève-toi et cours embrasser ton fils ressuscité; lève-toi et ouvre à l'Abondance qui frappe à ta porte."
Lazare se leva.
Janka reposait sur sa couche habituelle. Luibitza souriait dans son sommeil et un concert de voix mystérieuses chantait aux accords de la guzla: "Vivent de longues années encore l'opulent Lazare, la belle Luibitza et Janka aux cheveux blondissants et annelés."
Frédéric Dillaye.
Journal des voyages, dimanche 14 juillet 1889.
- Le fagot, répond-t-elle avec une douloureuse mélancolie, le fagot! Certes on peut l'allumer: la forêt est vaste et s'étend près de nous. Dans un court instant, il flamboiera dans l'âtre. Mais le souper! Y songes-tu, Lazare! Comment veux-tu que mes mains le préparent? Le souper? Le souper!... Tes entrailles oublient-elles que depuis deux jours nous jeûnons tous!".
La honte empourpre les joues de Lazare; la confusion étreint son cœur; il veut parler, mais le souffle exhalé de son gosier n'articule aucun son.
L'étranger le regarde avec une fixité étrange:
"Homme, lui dit-il tout à coup, es-tu vraiment Serbe et n'as-tu rien à donner à ton hôte?"
L'ironie de cette question n'échappa à Lazare. Il ouvre l'armoire, en tâte les tablettes, fouille le bahut, découvre la huche, monte au grenier, bouleverse tout, inspecte les moindres recoins de la cabane... Pas un croûte de pain; pas un fruit; pas même un grain de maïs... Rien! Rien!... Quel affront!... Rien!...
Lazare redescend du grenier, le regard sombre, le visage contracté, les lèvres tremblantes.
"Etranger, dit-il d'une voix stridente, voici de la nourriture. Ton souper se composera de chair fraîche et tendre."
Et sa main se pose sur la tête de son fils Janka, l'enfant aux longs cheveux blondissants et annelés.
Luibitza le regarde, comprend, pousse un cri d'angoisse et tombe sur le sol.
Plus prompt que la foudre le couteau de Lazare a frappé.
"Jamais, dit-il, non, jamais, il ne sera dit qu'un Serbe aura manqué aux devoirs de l'hospitalité."
L'étranger ferma les yeux, mais soupa. Peu à peu le feu s'éteignit dans l'âtre et tout s'endormit dans la hutte du Serbe.
Vers minuit Lazare se réveilla, croyant entendre son nom prononcé à plusieurs reprises.
Il tendit l'oreille.
'Lève-toi, disait la voix de l'étranger, lève-toi Lazare. Je suis le Seigneur ton Dieu. Grâce à ton sacrifice, l'antique hospitalité Serbe est demeurée sans tâche. Lève-toi et cours embrasser ton fils ressuscité; lève-toi et ouvre à l'Abondance qui frappe à ta porte."
Lazare se leva.
Janka reposait sur sa couche habituelle. Luibitza souriait dans son sommeil et un concert de voix mystérieuses chantait aux accords de la guzla: "Vivent de longues années encore l'opulent Lazare, la belle Luibitza et Janka aux cheveux blondissants et annelés."
Frédéric Dillaye.
Journal des voyages, dimanche 14 juillet 1889.
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