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mardi 20 mai 2014

Le véritable gouverneur des enfants.


Le véritable gouverneur des enfants.

Le gouverneur par excellence est celui qu'appellent nos penchants; il faut que l'élève entende le maître; tout dans les rapports doit être convenance, tendresse et proportion: c'est ainsi que la nature coordonne la mère à l'enfant.
Voyez avec quel soin elle les rapproche par la beauté, la grâce, la jeunesse, la légèreté d'esprit, et surtout par le cœur. Ici la patience répond à la curiosité, et la douceur à la pétulance; l'ignorance de l'un n'est jamais rebutée par le pédantisme de l'autre; on dirait que les deux raisons croissent ensemble, tant la supériorité de la mère est assouplie par l'amour; enfin cet esprit frivole, ce penchant au plaisir, ce goût du merveilleux, qu'on blâme avec si peu de réflexion dans les femmes, est une harmonie de plus entre la mère et l'enfant: tout les rapproche, leurs consonances comme leurs contrastes; et dans le partage que la nature a fait de la douceur, de la patience, de la vigilance, elle nous indique vivement et amoureusement à qui elle prétend confier notre faiblesse!
En général, on ne remarque point assez que les enfants n'entendent que ce qu'ils voient, et ne comprennent que ce qu'ils sentent; le sentiment chez eux précède toujours l'intelligence: aussi à qui leur apprend à voir, à qui éveille leur tendresse, appartiennent toutes les influences heureuses. La vertu ne s'enseigne pas seulement, elle s'inspire: c'est là surtout le talent des femmes; ce qu'elles désirent, elles nous le font aimer, moyen charmant de nous le faire vouloir.
Mais un prince, mais un roi, qu'apprendront-ils d'une femme? Ce que Saint-Louis apprit de Blanche; Louis XII de Marie de Clèves; Henry IV de Jeanne d'Albret. Sur soixante-neuf monarques qui ont porté notre couronne, trois seulement ont aimé le peuple, et, chose remarquable, tous trois furent élevés par leur mère!
Que le gouverneur puisse descendre sans effort jusqu'à son élève, qu'il forme un cœur religieux, un honnête homme, un bon citoyen; il a tout fait. Et qu'y a-t-il dans cette mission dont une femme ne soit capable? Qui, mieux qu'une mère, peut nous apprendre à préférer l'honneur à la fortune, à chérir nos semblables, à secourir les malheureux, à élever notre âme jusqu'à la source du beau et de l'infini? Un gouverneur vulgaire conseille et moralise; ce qu'il offre à notre mémoire, une mère nous le grave dans le cœur: elle nous fait aimer ce qu'il peut tout au plus nous faire croire, et c'est par l'amour qu'elle arrive à la vertu!
Cette influence maternelle existe partout, partout elle détermine nos sentiments, nos opinions et nos goûts; partout elle fait notre destinée! "L'avenir d'un enfant, disait Napoléon, est toujours l'ouvrage de sa mère"; et le grand homme se plaisait à répéter qu'il devait à la sienne de s'être élevé si haut: l'histoire est là pour justifier ces paroles; et sans nous appuyer des exemples si mémorables de Charles IX et de Henry IV, de l'élève de Catherine et de l'élève de Jeanne d'Albret, Louis XIII ne fut-il pas, comme sa mère, faible, ingrat et malheureux, toujours révolté et toujours soumis? Ne reconnaissez-vous pas dans Louis XIV les passions d'une femme espagnole, ces galanteries tout à la fois sensuelles et romanesques, ces terreurs de dévot, cet orgueil de despote, qui veut que l'on se prosterne devant le trône comme devant l'autel? On a dit, et je le crois, que la femme qui donna le jour aux deux Corneille avait l'âme grande, l'esprit élevé, les mœurs sévères, qu'elle ressemblait à la mère des Gracques, que c'étaient deux femmes de la même étoffe. Au rebours, la mère du jeune Voltaire, railleuse, spirituelle, coquette et galante, marqua de tous ces traits le génie de son fils; elle anima ces cent âmes de ce feu violent qui devait à la fois éclairer et consumer, produire tant de chefs-d'oeuvre, et se déshonorer par tant de facéties!
Mais les deux grands poètes de ce siècle offrent peut-être l'exemple le plus frappant de cette douce et fatale influence: à l'un, le destin rigide donne une mère moqueuse, insensée, pleine de caprices et d'orgueil, dont l'esprit étroit ne s'élargit que dans la vanité et dans la haine. Une mère qui se raille sans pitié de l'infirmité native de son enfant, qui l'irrite, le crispe, le froisse, le caresse, puis le méprise et le maudit. Ces passions corrosives de la femme se gravent au cœur du jeune homme: la haine et l'orgueil, la colère et le dédain, fermentent en lui, et, comme la lave brûlante d'un volcan, débordent tout à coup sur le monde dans les torrents d'une infernale harmonie!
A l'autre poète, le destin bienveillant accorde une mère tendre sans faiblesse, et pieuse sans rigidité; une de ces femmes rares qui naissent pour servir de modèle: cette femme, jeune, belle, éclairée, répand sur son fils toutes les lumières de l'amour; les vertus qu'elle lui inspire, la prière qu'elle lui apprend, ne parlent pas seulement à son intelligence, mais en tombant dans son âme, elles lui font rendre des sons sublimes, une harmonie remonte jusqu'à Dieu. ainsi, environné dès le berceau des exemples de la plus touchante piété, le gracieux enfant marche dans les voies du Seigneur sous les ailes de sa mère; son génie est comme l'encens qui répand ses parfums sur la terre, mais qui ne brûle que pour le ciel.
Venez donc à présent, avec la morale de collège ou la philosophie d'un pédant, modifier ces influences maternelles; essayez de refaire Byron et Lamartine; vous arriverez trop tard: le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli, et les passions de notre mère sont devenues notre nature même. Voilà cependant une force qui agit tous les jours sous nos yeux, un amour invariable, une volonté créatrice, la seule peut être sur la terre qui n'aspire qu'à notre bonheur, demeurée sans direction depuis le commencement du monde faute de lumière et d'éducation.
En résumé, qu'est-ce qu'un enfant pour un précepteur? C'est un ignorant qu'il s'agit d'instruire. Qu'est-ce qu'un enfant pour une mère? C'est une âme qu'il s'agit de former. Les bons professeurs font les bons écoliers, il n'y a que les mères qui fassent les hommes. Là est toute la différence de leur mission; il en résulte que  le soin d'élever l'enfant appartient tout entier à la mère, et que si les hommes l'ont usurpé, c'est qu'ils ont confondus l'éducation et l'instruction, choses essentiellement différentes, et qu'il est important de bien séparer; car l'instruction peut s'interrompre et passer sans péril d'une main à l'autre; mais l'éducation doit être d'une seule pièce: qui l'interrompt la manque, qui l'abandonne après l'avoir commencée verra périr son enfant dans les divagations de l'erreur, ou, ce qui est plus déplorable, dans l'indifférence de la vérité.
Ne cherchons plus hors de la famille, le gouverneur de nos enfants: celui que la nature nous présente nous dispense d'aller aux informations: nous le trouverons partout; dans la chaumière du pauvre comme dans le palais du riche, et partout doué des mêmes perfections, et prêt à s'abandonner aux mêmes dévouements. Jeunes mères, jeunes épouses!  que ce titre sévère de gouverneur n'effarouche pas votre faiblesse! je ne viens pas vous inviter à des études abstraites, à des devoirs austères; c'est au bonheur que je prétends vous conduire: ce sont vos droits, vos forces, votre souveraineté que je viens vous révéler; c'est en vous invitant à parcourir les routes fortunées de la vertu et de l'amour, que je me prosterne à vos pieds et que je vous demande la paix du monde, l'ordre des familles, la gloire de vos enfants et le bonheur de l'humanité.

                                                                                                            Aimé Martin.

Journal des Connaissances Utiles, avril 1834.

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