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lundi 12 mai 2014

Les arts et métiers: Boulanger.

Les arts et métiers: Boulanger.

Au moyen âge, le métier de boulanger était un de ceux qui employaient le plus d'ouvriers. A la fin du treizième siècle, leur corporation était une des plus puissantes de Paris. Industrie de première nécessité, elle fut réglementée de bonne heure, et soumise plus tard à la juridiction du grand pannetier de Paris.
Dès le règne de Charlemagne, nous voyons que les boulangers, dont le rôle se réduisait alors presque exclusivement à moudre le grain appartenant aux particuliers qui faisaient ensuite eux-mêmes leurs pain, furent l'objet de précautions de la part du pouvoir central: les officiers royaux durent ne pas laisser décroître le nombre des individus exerçant cette profession, et veiller à ce qu'ils fussent toujours aptes à la remplir. Sans remonter aussi haut, sous saint Louis, l'ordonnance d'Etienne Boileau nous montre le soin que l'on mit à réglementer la corporation "des talemeliers", dont la maîtrise fut donnée au grand pannetier, avec le droit de juger tous les différends qui pouvaient s'élever dans l'exercice de leur métier.
On sait quelles bizarres cérémonies accompagnaient l'entrée du boulanger dans la corporation, qui à Paris avait pour ainsi dire le monopole de la fourniture du pain, car les boulangers des environs ne pouvaient venir en ville vendre le leur qu'une fois la semaine, le samedi, jour de marché.
Pour arriver à Paris, les grains suivaient deux routes, la voie de terre et la voie d'eau. Au quinzième siècle, Commines, tenu pendant vingt mois en prison aux Tournelles, manifeste un grand étonnement du nombre de bateaux chargés de grains que de sa fenêtre il voyait remontant la Seine, venant de Normandie: "Dessus en vient sans comparaison plus que je n'eusse jamais creu ce que j'en ay vu." Les grains approvisionnaient trois marchés: celui des Halles, celui de la Grève et celui de la Juiverie, que l'on appelait aussi "marché de la Beauce", nom qui montre assez l'origine du blé qu'on y vendait.
Il semble que de bonne heure on ait songé à prévenir l'accaparement d'une denrée si nécessaire. Tout habitant de Paris avait le droit de se faire céder par le boulanger qui venait de conclure un marché une certaine quantité de blé pour son usage personnel, pourvu que la demande eût lieu avant la fermeture du sac. Cet usage était, du reste, pratiqué pour le vin et même pour des objets de moindre importance, tels que les fromages et les œufs. Chaque fois que l'on entreprit, lors d'une disette, d'établir un maximum, au bout de peu de jours les boulangers durent fermer boutique.



Nous avons dit qu'à l'origine les boulangers se chargeaient de la mouture du grain, et que c'était même l'objet principal de leur commerce. Dans la suite, quelques-uns continuèrent bien à être propriétaires de moulins mais la plupart eurent recours à une autre corporation, celle des meuniers, pour réduire le grain en farine. A Paris, on paraît avoir fait moins usage des moulins à vent que des moulins à eau; parmi ces derniers, il y en a eu de célèbres, par exemple les moulins du Grand-Pont ou moulins Notre-Dame, qui les affermaient, y exerçaient une certaine juridiction. Le Grand-Pont, construit sur la Seine au neuvième siècle par Charles-le-Chauve, s'écroula à la fin du treizième siècle pendant une inondation. Il fut reconstruit à frais communs par les meuniers, qui avaient tout avantage à y amarrer leurs moulins. Ce pont, qui allait du grand Châtelet à la tour de l'horloge, prit alors le nom de pont aux Moulins ou pont aux Meuniers; une grande arche avait été laissée libre pour le passage des bateaux qui descendaient ou remontaient le fleuve.
Les meuniers qui habitaient ces moulins étaient exposés à toute sorte de dangers, soit lors des grandes crues, soit pendant l'hiver: aussi étaient-ils tenus de se porter secours et de s'entr'aider pour conjurer le péril.
Indépendamment des autres moulins de la Seine, on en avait aussi établi sur la rivière de la Bièvre, qui, au moyen âge, n'était pas un cours d'eau aussi modeste qu'aujourd'hui.
On n'achetait pas seulement le pain des boulangers; on leur donnait du grain qu'ils faisaient moudre et convertissaient en pain, ou bien encore on leur apportait de la pâte toute pétrie qu'ils n'avaient plus qu'à mettre au four; on appelait  fourniers ceux qui s'acquittaient de ce soin; ils recevaient pour salaire un tourteau ou petit pain par fournée:

                                                            Li boulengiers le pain fera,
                                                            Et li fourniers l'enfornera,
                                                            Tortel aura et son fornage,

nous apprend le Dit des boulengiers.



Philippe le Bel autorisa tous les Parisiens à cuire leur pain dans leurs maisons, dans des fours à eux appartenant, ce qui prouve qu'avant cette époque les fours étaient soumis à la banalité. Plusieurs villes obtinrent également ce privilège; mais dans la plus grande partie de la France, au moyen âge, les fours furent banaux.
Les boulangers employaient le son de la farine qu'ils blutaient à engraisser des pourceaux, et quand ils vendaient ces animaux, ils ne payaient aucun droit; était-ce une prime donnée à l'élevage, ou un profit que l'on avait voulu leur réserver? C'est ce que nous ne saurions décider.
Les boulangers n'employaient pas de levure, mais seulement le levain; du reste, de boulanger à boulanger, la façon de faire le pain différait; ceux de Paris y mettaient beaucoup plus d'eau et le cuisaient moins que ceux de la banlieue: "Les boulengiers de Paris abreuvent leur pain beaucoup plus que les autres boulengiers des faulxbourgs, c'est assavoir de bien un seau d'eaue plus sur le septier..."
Ceux de la banlieue avaient même, à ce qu'il paraît, le privilège de vendre leur pain de rebut, privilège bien envié sans doute par leurs confrères qui, moins heureux, voyaient impitoyablement saisis dans leurs boutiques les pains qui n'avaient pas le poids requis par les ordonnances: "Li rois Phelippes establit que les talemeliers demorans dedans la banlieue de Paris peussent vendre leur pain reboutis, c'est à savoir leur refus, si come leur pain raté que rat et souris ont entamé, pain trop dur, ars ou échaudé, pain trop levé, pain aliz, pain mestourné, c'est à dire trop petit, qu'ils n'osent mettre à estal, au dimanche, à la hale, là où on vend le fer devant le cimetière S. Innocent." Ainsi le pain grignoté par les souris était assimilé  à la vielle ferraille et ne semble pas avoir eu beaucoup plus de valeur.
En France, les boulangers n'étaient pas astreints comme en Angleterre à marquer leur pain d'un cachet; si quelqu'un le faisait, ce n'était sans doute que par vanité.



La nomenclature des différentes espèces de pains que vendaient les boulangers serait fort longue, et véritablement nos ancêtres étaient fort avancés en cette matière. Ils faisaient du pain avec toute sorte de grains, depuis l'orge jusqu'à l'avoine:

                                                             Trois fois menjue (mangea) en la semaine
                                                             Ce pain d'orge et pain d'aveine,

dit une chanson de geste. On pouvait choisir, à son gré, le pain bis ou gros pain, le pain aliz que nous avons vu assimilé plus haut au pain raté, le pain d'écuyer ou de chevalier, le pain de cour, le pain mollet, le pain mofflet, le pain maillaux, le pain tourtel, le pain mouton, le pain de chapitre, le pain oublieré, le pain de seigle, etc. Si nous mentionnons le pain ferré ou gaufre, ainsi appelé parce qu'on le faisait dans un moule en fer, et le pain d'épice ou pain au miel, dont au moyen âge on était très-friand, ce n'est que pour mémoire; car si nous en disions plus long, nous serions obligés de parler de la pâtisserie, dont les recettes que donne le Ménagier de Paris sont si curieuses à étudier. N'oublions pas, toutefois, le pain cuit sous la cendre, qui ne devait pas être d'un aspect très-appétissant, et les échaudés, pains légers et pétris pendant longtemps, dont il se faisait une grande consommation.

Magasin Pittoresque, 1879.
                                    

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