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dimanche 25 août 2013

Moeurs et coutumes des différents peuples.

L'examen des lettrés au Tonkin.

Si rien de ce qui touche à nos colonies de l'Extrème-Orient ne saurait nous laisser indifférents, la cause de l'instruction dans ces contrées lointaines doit nous intéresser d'une façon particulière, nous autres Français, adeptes et victimes tout à la fois du surmenage intellectuel.
Aussi, avons-nous pensé à faire défiler sous les yeux de nos lecteurs les différents aspects d'une des cérémonies les plus curieuses de l'Annam: la proclamation des lauréats du concours des lettrés.
L'examen des lettrés, qui a lieu tous les trois ans à Nam-Dinh, est destiné à assurer le recrutement des fonctionnaires de l'Etat, et ces derniers forment en Annam une véritable classe à part, une aristocratie jouissant de privilèges et de prérogatives très enviés. On juge de l'animation que peut donner à la ville cette avalanches d'aspirants-bacheliers, licenciés ou docteurs, de toute classe et de tout âge, accourus de tous les points de l'Annam. Dès que la session est ouverte, le calme renaît: le candidat, qui a apporté avec lui quatre bambous, une paillote et une natte, s'installe dans le coin qui lui est réservé et n'en sort plus pendant toute la durée des examens, soit près d'un mois. Comme on le voit, ces conditions de travail rappellent, de loin, c'est le cas de le dire, celles qui sont imposées à nos logistes de l'Ecole des Beaux-Arts. La session close, les examinateurs, venus de Hué en grande pompe, font le classements des compositions, et, le jour de la cérémonie, les noms des nouveaux lettrés sont proclamés par un crieur juché sur une estrade.



C'est cette cérémonie, sous ses divers aspects, que représentent nos dessins, et les légendes qui les accompagnent nous dispensent de les commenter un à un. Le camp des lettres est situé à environ deux kilomètres de la ville; il est entièrement construit en paillotes et en bambous, ce qui lui donne un cachet particulier. A l'entrée, à droite de la grande avenue qui conduit à la pagode royale, s'élève une estrade abritée par des nattes et ornée de bandes de broderie: c'est la tribune officielle; sur le côté gauche de la même entrée, les examinateurs, en grand costume, entourés de leurs serviteurs et de leurs porte-parasols, sont assis sur leurs escabeaux. A gauche de l'estrade d'honneur, sur un plancher élevé formant tribune, afin de dominer la foule bruyante qui se presse autour, les crieurs, armés d'énormes porte-voix, proclament le nom des élus.


A l'appel de leur nom, les lauréats sortent de la foule, viennent saluer et se placer à la gauche de l'estrade d'honneur. Lorsque le groupe est au complet, on remet à chaque licencié le costume de lettré, qui se compose d'une tunique noire, d'un bonnet carré et d'une paire de sandales chinoises.



Ainsi équipés, ils se rendent à la pagode royale et se rangent dans la cour. Alors, et après qu'ils ont reçu les instructions des mandarins qui les accompagnent, sur la façon de rendre hommage au roi, la cérémonie d'investiture commence. L'envoyé royal se place le premier, puis viennent les autres mandarins et enfin le groupe des élus; la foule qui avait envahi la pagode se retire sur les côtés, et, au milieu du plus profond silence, un mandarin prononce l'invocation. Les mandarins se prosternent jusqu'à terre seuls, cinq fois de suite, puis recommencent avec le groupe des élus. Tous reviennent ensuite à la tribune d'honneur.
Comme on le voit, cette cérémonie ne manque ni d'originalité, ni même de grandeur. Cette année surtout, la présence de hauts fonctionnaires du protectorat, et, à leur tête, de M. Parreau, le résident général, qui a adressé aux lettrés, avec l'aide d'un interprète, un éloquent discours, a donné à cette fête du 7 septembre un éclat inusité. Cette intervention officielle a produit aussi le meilleur effet sur la caste des lettrés qui, jusqu'à présent, s'était toujours mis en travers des actes du protectorat, qu'elle accusait d'être l'ennemi des moeurs et des coutumes annamites. Cela prouve qu'il est facile à qui le veut de faire cesser de regrettables malentendus. Quand on a, de plus, comme l'a eue en cette circonstance M. Parreau, l'excellente idée de joindre à la bonne parole quelques petits cadeaux, tels que montres, boites à musique, etc..., on peut espérer voir dans un temps prochain l'hostilité sourde ou déclarée faire place à une franche et durable amitié.
Nous sommes trop bons Français pour ne pas dire: Ainsi soit-il !

                                                                                                                            J. S.

Journal des voyages, Dimanche 13 janvier 1889.

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