Quels sont les défauts qu'une fiancée peut tolérer chez son fiancé ?
On le sait, le fiancé classique n'a point de défauts. Gantés de frais, la cravate correcte et les cheveux lustrés comme un héros de M. Ohnet ou de Mme de Gréville; il est toujours souriant et de bonne humeur; s'il a quelques idées générales pour soutenir la conversation, il ne se montre point intransigeant dans ses principes; il est accommodant, chaque projet lui agrée et les phrases qu'il dit sont toujours caressantes ou flatteuses. Pendant de longues semaines, il restera volontiers conforme au modèle convenu et son sourire sera aussi régulier que l'envoi de ses bouquets.
Dans ce fiancé irréprochable, il y a cependant l'étoffe d'un mari; cette étoffe est roulée soigneusement en un paquet très régulier et d'aspect inoffensif, mais ses plis mystérieux peuvent contenir tant de cruelles surprises qu'on cherche à les pénétrer pour aller plus loin.
Tant que la parade dure, le fiancé soutient son rôle avec beaucoup de persévérance et ce n'est point là qu'il peut être étudié. Mais il arrive toujours un moment où il ne soutient pas son role, où il s'oublie sous le cercle de la grosse lampe de famille; il tranche, s'affirme, discute, raconte ses folies, ses ambitions, ses paresses: il se découvre naïvement s'il ne se sent pas surveillé. Et à mesure que ses défauts sortent comme les lézards de toutes les fentes d'un mur, pourvu qu'on ait pas l'air de les regarder, à mesure qu'ils s'étalent, la jeune fille hésite et s'inquiète; elle se demande quels sont les défauts qu'elle peut tolérer, car elle sait bien qu'il y en a plusieurs dont une femme adroite doit pouvoir s'accommoder.
Tout d'abord, elle accepte volontiers un caractère violent, impétueux; c'est l'envers de la générosité, le trop-plein de la force. La colère ne l'effraie pas sérieusement; pour une assiette cassée, même une gifle appliquée d'une main leste, elle pourra exiger bien des soumissions, elle boudera un peu, puis, pardonnera avec une noble clémence, sans refuser un petit cadeau, gage de réconciliation.
Les éclats de voix ne l'intimident guère; elle estime que son entêtement vaniteux aura raison des chocs et son sourire patient recèle la certitude du triomphe définitif.
Elle ne craint pas non plus la jalousie; beaucoup de femmes s'en plaignent avec ostentation, mais elle devine que peu d'entre elles sont vraiment à en souffrir. Il lui plaît d'être un bien précieux qu'on accapare et cet absolutisme lui est une douce flatterie. D'ailleurs, elle ne redoute pas la rudesse naturelle de l'homme; pourvu qu'il aime le travail, qu'il soit solide et ouvert, elle ne s'alarme point d'une vigueur dont le contact est rugueux; elle accepte tous les défauts francs, librement épanouis, il lui suffit de connaître ses partenaires pour combiner ses coups et préparer ses victoires.
Ce qu'elle ne peut souffrir, ce sont les défauts silencieux qui ferment l'âme et crispent le visage; l'envie, la prétention, l'hypocrisie sont des ennemis masqués contre lesquels il est malaisé de lutter.
Elle n'aime pas voir dans son fiancé tout l'arsenal des petits moyens retors et sinueux. Elle préfère conserver pour elle les armes de la ruse; ce qui la déconcerte avant tout dans son mari, ce sont les travers féminins.
Elle ne veut rien de mesquin; pourtant, il y a deux petits faibles qu'elle réclame de lui: elle souhaite qu'il soit gourmand et douillet; en femme prudente et avisée, elle pense déjà au temps douloureux où son front ridé, ses cheveux grisonnants n'auront plus de charmes. Lorsque la grâce de sa jeunesse ne retiendra plus son mari au foyer, elle sait que le besoin d'un cataplasme, d'une tisane ou d'une cuisine soignée le retiendra toujours.
Mme Elise.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 21 décembre 1902.
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