Ce que Londres et Paris ont mangé la nuit de Noël.
Do you speak english ? Non ? Eh bien, ça ne fait rien, nous pouvons vous expliquer la chose en quelques mots.
Christmas, ou Xmas, c'est Noël, le grand jour populaire anglais, jour où l'on boit et l'on mange non seulement jusqu'à plus faim et jusqu'à plus soif, mais bien au delà de ces raisonnables limites.
Christmas, c'est le jour où de corrects gentlemen attardés promènent en titubant des chapeaux plus ou moins transformés en accordéons; le jour où les policemen, habituellement grincheux comme leurs congénères de tous les pays, ont la mine joviale et beaucoup d'indulgence et de sollicitude pour des dames mal équilibrées sur des jambes trop chauffées à l'alcool...Whisky, gin et pale-ale, ce sont là vos coups.
Christmas ? Une revue anglaise, Royal, nous montre par les dessins que voici la pantagruélique orgie de ce jour solennel dans la Grande-Bretagne.
Goinfrerie britannique.
Les milliers d'oranges, les centaines de milliers de citron, mangés ou employés pendant la nuit de Noël en Angleterre, représente une énorme boule obstruant la rue et montant à la hauteur des toits.
Dix mille tonnes de charbon ont transformé en enfers les cuisines où l'on a apprêté le mets national: le plum-pudding.
Si l'on réunissait en une seule masse tous les plum-pudding confectionnés pour le réveillon anglais, on aurait un plum-pudding gigantesque, de 4.096 mètres cubes, vingt fois haut comme l'obélisque de la Concorde.
Et il faudrait une procession de 40.000 voitures surchargées pour amener le gui et le houx plantés au somment du plum-pudding géant et s'enguirlandant tout autour.
Pendant la fête, les petits anglais ont fait partir dix millions de pétards multicolores, farcis de sucreries, tandis que vingt millions de cartes illustrées, enluminées et dorées, portaient à travers le Royaume-Uni les congratulations réciproques et les souhaits de bon et heureux Noël:
Good and happy Christmas !
Festins parisiens.
Eh mais, et nous ? Après que les cloches eurent égrené de la nuit leurs dernières notes sonores, n'avons-nous pas fêté aussi, selon l'antique usage, le joyeux Réveillon ? 500 kilomètres de boudins, une tour Eiffel de boudins, ont frétillé dans la poêle; on a occis quelques centaines de milliers d'oies, de poulardes et de dinde et débouché 150.000 bouteilles de ce champagne dont la mousse explosive a mis du phosphore dans les yeux !
Ce fut aussi Christmas pour nous, comme pour les Allemands groupés gravement autour du Tannenbaum , du sapin de Noël illuminé et chargé de jouets et de bonbons, comme pour l'Italien qui, ce soir là, a mangé de la viande , comme pour l'Espagnol qui, au retour de la messe nocturne, a dansé autour des vieux flacons de Xérès.
Il a fallu un wagon de truffes pour corser la savante cuisine du Réveillon, et l'arôme exquis du fruit noir aux mystérieuses origines a mis dans l'air des effluves subtils.
Et encore, , on a dévasté les parcs à huître; deux cent mille douzaines de "portugaises" de divers pays sont venues pour la dernière fois bailler à la lumière, prestement gobées qu'elles furent par une légion de soupeurs et de soupeuses.
On n'en finirait plus de tout citer, de mesurer la petite montagne de victuailles qui a disparu dans cette seule soirée, et la petite rivière de liquides de toute sorte qui l'a suivi dans le gouffre sans fond de la gourmandise française.
Lendemains de fête.
Mais toute médaille a son revers et toute fête un lendemain. Pas gai pour nos voisins d'outre-manche, le lendemain de Noël ! Le chroniqueur anglais avoue que, ce jour là, Londres appartient sans conteste aux pharmaciens et autres morticoles. Une montagne de pilules est insuffisante pour rétablir les estomacs surmenés; on doit lui adjoindre un flacon de potions calmantes, haut comme le clocher de la cathédrale Saint-Paul.
Bon gré, mal gré, le londonien doit avaler tout.
Nos lendemains de fête n'ont rien de ce triste appareil. Une grasse matinée, quelques soupes à l'oignon suffisent chez nous pour dissiper les fumées du champagne.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 janvier 1903.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 4 janvier 1903.
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