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vendredi 16 août 2013

La vie sociale.

Les femmes s'agitent et veulent voter.

Les femmes s'agitent: l'ambition les mènent. Le mouvement de l'émancipation féminine n'est plus le thème dont le vaudeville s'égayait: de graves esprits s'en informent, des parlementaires s'en occupent, sans se presser, des philosophes, sur cette matière, dissertent abondamment. Et le rire, qui fut si gouailleur au passage des premières propagandistes, a vu, l'un de ces derniers dimanches d'élections, défiler sans que sa raillerie s'y accrochât, des chars sur lesquels s'affichaient les militantes de l'émancipation.
Ce n'était point que leur équipage fût plaisant et magnifique. Il manquait de style et, quoique féminin, d'arrangement. Les bannières en papier qu'elles brandissaient et les banderoles multicolores déroulées au dessus des têtes évoquaient plutôt le souvenir de ces lavoirs indigents, qui formaient les cortèges de la mi-carême, qu'elles ne donnaient l'impression d'une idée heureuse et forte en marche.
Elles semaient à pleines poignées, sous forme de petits papiers, le bon grain de leurs revendications. Elles faisaient honte aux mâles d'accaparer les urnes. Elles justifiaient de leur droit d'en approcher dans une de ces formules tranchantes et simplistes qui plaisent à nos esprits affamés de logique:
La femme qui paie l'impôt doit le voter.
Les faubourgs les dévisageaient avec quelque défiance: les femmes les plus pauvres et les plus malheureuses sont les plus résignées, mais le boulevard les accueillait galamment et, dans les quartiers aristocratiques, où soufflait à ce moment un certain esprit de fronde, on leur cria: " bravo, les femmes !" Là, si le suffrage universel n'était que l'acclamation populaire, elles eussent été, en triomphe, conduites au Palais-Bourbon.

Les aïeules du féminisme, leurs filles et leurs petites-filles.

Mme Hubertine Auclert et ses compagnes, vétérans des grandes guerres, se rappelaient les réceptions tumultueuses de jadis. C'est que les premières propagandistes étaient des amazones exagérément pittoresques.
Nous devions connaître, dans la suite, menant le mouvement, des femmes qui se croiraient d'autant mieux armées qu'elles seraient plus femmes; qui, loin de viriliser leur sexe, en auraient l'orgueil; qui n'abdiqueraient rien du pouvoir de leurs charmes et tiendraient pour certain que de beaux yeux n'ont jamais gâtés une belle cause.
Il n'y a guère que cinquante ou soixante ans que le féminisme se formule avec énergie et netteté. Les initiatrices s'appelaient Eugénie Niboyet, Pauline Rolland, Anaïs Ségalas, Adèle Esquiros, Jeanne Deroin. Elles avaient en 1848, un journal et un club. Elles revendiquaient terriblement: "Qu'est la femme ? -rien- Que veut-elle être ? - tout." Pour être "représentées" à l'Assemblée, elles avaient imaginé de faire voter pour Legouvé, qui avait écrit le Mérite des femmes , et pour George Sand, qui l'avait prouvé. Mais George Sand les désavoua. Elle était femme, elle n'était pas féministe. Sur les affiches, Jeanne Deroin la remplaça, ce dont s'aperçurent davantage les vaudevillistes que les électeurs. Clairville mettait sa profession de foi en chanson:

Sur les questions les moins comprises
Pouvant parler deux heur's de temps
Comm' vous je dirai des bêtises
Mais j'en dirai bien plus longtemps.

Sous le second empire, c'est le silence. La femme dissimule ses aspirations sous les fictions romanesques des Léo et des Gagneurs. On les devine dans les causeries du salon de Maria Deraisme. Elles éclatent dans une riposte de Mme Adam à Proud'hon, déjà battu dans un concours par la savantissime Mme Clémence Royer.
Mais un petit événement va s'accomplir, gros de conséquences. Que veut la femme ? Disputer à l'homme ses privilèges, ses titres, ses emplois. Elle veut, s'il lui plaît, être médecin, avocat, magistrat, et, dans l'avenir, électrice et même élue. Le baccalauréat est la clé des carrières libérales; elle appartient aux hommes. "Je la veux", crie, en 1866, Lucie Bassetti; on lui répond "vous êtes femme". Julie Daubré ripostera en traçant en ces lignes tout le programme du féminisme: "La femme deviendra dans la société tout ce qu'elle sera capable et digne d'être". L'Université résiste, puis cède, et la France compte sa première bachelière.
La femme a du latin: elle peut prétendre à tout ! Elle peut au moins prétendre au droit de guérir. Ne semble-t-il pas, ce droit, dévolu par la nature à celle dont la suprême vertu est de soulager ?
L'ambition du doctorat en médecine vient aux femmes, dans tous les pays à la fois. La fille d'un boulanger de Bristol, mistress Garret-Anderson, rapporte d'Amérique cette audace, et détermine plusieurs de ses soeurs à l'imiter. Seule la Faculté d'Edimbourg se prête à leur désir et pour peu de temps. Les étudiants, furieux de la concurrence, mènent un tel vacarme, que les petites étudiantes s'enfuient épouvantées. Il nous en arrive quatre à Paris. L'une, qui s'appelle Elisabeth Archer, n'achèvera point ses études chez nous, mais elle y trouvera un mari, y fondera un foyer, et deviendra l'une des rénovatrices du féminisme sous le nom de Jeanne Schmahl.

Après les premières persécutions, les premières conquêtes.

La première femme médecin en Amérique aura été Elisabeth Backwell. En France, la première étrangère reçue médecin fut miss Garret et la première Française, Mme Madeleine Brès, en 1875.
Les femmes pouvant être "étudiantes" et passer docteurs, demandèrent à concourir pour l'internat: on leur opposa leur sexe.
Tenaces, elles luttèrent contre de sourds et mauvais vouloirs et de tapageuses protestations.
Sur ce terrain, l'honneur de la première victoire appartient à Mlle Klumpke, classée seizième au concours de 1886. Elle fut désignée pour Lourcine. On avait dit que les internes barbus la siffleraient à son apparition dans la salle de garde: ils la prièrent à dîner. C'était beaucoup plus galant. Elle refusa, ce qui fut trouvé infiniment digne. Elle avait une soeur nommée Dorothée comme elle venu d'Amérique toute jeune. Elle s'était bourrée de science et ne savait qu'en faire, quand, une nuit, son regard s'arrêta sur la voûte constellée. De ce moment elle appartint à Uranie. L'Observatoire lui ouvrit ses portes, c'était la première femme astronome. Il y avait aux Etats-Unis un savant, le docteur Roberts, qui s'adonnait à l'astronomie er correspondait en France. Il remarqua dans notre ciel cette étoile, s'en éprit. Et les feux de ces deux astres, il y a quelques années se conjuguèrent.


Longs espoirs et vastes pensées.

On demandait malicieusement à un prédicateur pourquoi, après sa résurrection, le Christ apparut aux femmes. Il répondit " Ce fut, mes frères, pour que la nouvelle s'en répandit plus vite." Il témoignait par là que la femme a la parole facile et volontiers se répand en abondants propos. Cette faculté la destinait aux exercices qui appellent une langue déliée et la plaidoirie s'indiquait comme devant constituer un de ses apanages. Cependant, c'était cette partie de l'espèce qui a, dit-on, la langue la mieux pendue que la loi maintenait hors du prétoire comme incapable d'assister le plaideur.
Il y avait là une anomalie. Mlle Jeanne Chauvin la fit cesser, car le législateur trancha en sa faveur.
Mme Petit, une Russe née à Kiew, compléta cette victoire par la prestation de serment, en robe.
Mais aussitôt les hostilités reprenaient sur un autre point. A l'Ecole des Beaux Arts, une jeune fille menait la campagne. C'était une grande personne, blonde, mince, profil très fin, des yeux bleus, des yeux d'acier comme sa volonté. Elle voulait, pour elle et ses compagnes, des ateliers comme en avaient les hommes. " On s'informe de notre sexe ? disait-elle, que ne s'informe-t-on de notre talent ?". Ce raisonnement séduisit un ministre auquel l'exposa Mme Pégard, aujourd'hui chevalière de la Légion d'honneur. Les ateliers s'ouvrirent aux femmes à l'Ecole: il n'en résulta aucune catastrophe. " Maintenant, dirent les élèves femmes, nous voulons des médailles. Mais vous êtes insatiables !" Et quand elles eurent des médailles: " Nous voulons aller à Rome". La villa Médicis est l'arche sainte et le sanctuaire. Les gardiens de la tradition étaient consternés. Ils résistèrent pour l'honneur. Puis un ministre abolit le préjugé du sexe et le mot artiste redevint ce qu'il est: des deux genres.
Enchaînement logique: l'Ecole mène à Rome, Rome mène à l'institut. Mme Léon Berteaux, il y a déjà longtemps a brigué cet honneur. "Vos suffrages, disait-elle dans sa lettre de candidature, peuvent se porter sur une femme. Rien ne s'y oppose, le règlement est muet." Il y eut plus muet que le règlement: ce fut l'Institut. Mais il parlera.
Et il se pourrait que ce fût Mme Curie qui lui déliât la langue.
A ces conquêtes d'emplois et de grades s'en joignaient d'autres, fruits d'une tactique avisée, qui devaient moralement avancer les chances du féminisme.
Vers 1893, nous recevions un journal imprimé, large comme la main, journal de la femme, avant la fronde. On lui avait reproché d'être bavarde: la femme prouvait qu'elle savait se contenir. Ce journal minuscule s'appelait l'Avant-Courrière. Sans préambule, ni rhétorique, il formulait un simple voeu: le droit pour la femme mariée de toucher elle-même le produit de son travail. L'auteur de la proposition était Mme Jeanne Schmahl , que des grandes dames, comme la duchesse d'Uzès, encourageaient dans sa tactique. La souple ligueuse, adroite dans le choix des méthodes, scientifique en ses moyens, observait que la nature ne procède que par bonds. Elle disait: "Je suis comme la petite souris qui guette, grignote ...et avance".
Sur ce terrain raisonnable, la femme cessait d'être un épouvantail: sa clientèle s'élargissait, gagnait en surface, pénétrait dans les milieus hostiles, franchissait le seuil du Parlement. Elle n'exigeait que des droits indiscutables. L'article premier de son règlement était ainsi conçu:
" Il s'est formé en France une association de personnes qui demandent, pour la femme, le droit de servir de témoin dans les actes publics et privés..."
Quoi de plus juste ! Les femmes furent donc admises à être témoins; c'était peu de chose, mais c'était un pas vers l'égalité.
Sera-t-elle totale un jour ? Les manifestantes du dernier scrutin, nos suffragettes, n'en doutent pas. il leur est venu du renfort. Un conseil international de femmes a décidé les plus illustres à entrer dans le mouvement. Sa dernière réunion, que Mme Avril de Sainte-Croix avait organisée et que présidait la vice-reine d'Irlande, a donné l'impression d'un Parlement qui aurait une bonne tenue.
Les femmes du monde, qui par éducation, s'effrayaient de ces nouveautés, y sont venues. Mlle Maugeret, dans un congrès que présidait un évèque, les y a amenées et elles ont demandé les droits politiques de la femme.
L'auteur de la motion était Mme Vincent; cet honneur lui revenait. Elle a été la première femme inscrite à Saint-Ouen sur les listes électorales.
L'employé à qui s'adressait cette requête, au premier coup d'oeil, s'aperçut que celle-là n'était venue qu'après un long et minutieux délibéré. Elle parlait posément mais avec autorité. Elle tira de son sac une liasse de textes découverts dans la poussière des bibliothèques, où sa curiosité est assidue,. Elle y prend des notes et les entasse. Le plus redoutable en Mme Vincent, ce sont les archives. Elle a des dossiers par dizaine de mille. L'affiche que vous avez lue, aux élections dernières, venait de là.
Mais le juge  de paix à qui fut déférée l'inscription de Mme Vincent était plus fort en droit qu'en histoire: il débouta cette électrice trop pressée.
Depuis, nous ne recevons pas une lettre de ces ligueuses sans qu'elle porte cette mention: "La femme doit voter", et qu'à côté du timbre officiel s'étale le timbre féministe, inventé par Mme H. Auclert.
Il y avait un homme qui avait beaucoup médit des femmes. Il avait dit ironiquement qu'on reconnaissait qu'elles étaient l'oeuvre du septième jour, à ce signe qu'on y sentait la fatigue: c'était Dumas fils. Mais la logique l'a vaincu. Comme une femme l'interrogeait sur le féminisme; il lui écrivit:
"Tous les arguments qu'on vous oppose sont des reflets du droit romain, dont le droit humain, naturel, aura bientôt raison. Bien fous sont ceux qui, ayant voulu la liberté pour l'homme, n'ont pas prévu qu'il faudrait aussi la donner à la femme."
Ces paroles ont tout l'air d'une prophétie. Les conquêtes auxquelles le féminisme nous ont fait assister depuis vingt ans le prouvent. Que de préjugés atteints ! Est-ce la fin du duel des sexes ? Qui le saurait dire ? Mais de même le duel ne fait que commencer. Rassurez-vous: "Le duel des sexes, a écrit Mme Jean Bertheroy, ne peut être jamais qu'artificiel ou simulé. Ce duel rappelle ceux de ces adversaires qui échangent deux balles sans résultat sur le terrain, et s'en vont déjeuner ensemble après".

                                                                                                          Georges Montorgueil



Je sais tout, magazine encyclopédique de la famille, 15 août 1906.

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