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mardi 19 juillet 2016

Nos anciens jeux retour d'Angleterre.

Nos anciens jeux retour d'Angleterre.


Encore un jeu anglais! nous empressons-nous de déclarer avec une belle assurance chaque fois qu'apparaît chez nous un jeu nouveau dont les règles sont formulées en termes du vocabulaire britannique. Si pourtant ce jeu qui nous vient d'Angleterre était bel et bien d'origine française! Tel est précisément le cas de presque tous les jeux en plein air, depuis le "lawn-tennis" jusqu'au "football", et depuis le "golf" jusqu'au "diabolo". En les adoptant, nous ne faisons donc que les réinstaller dans leur première patrie et reprendre un bien qui nous vient de nos arrière-grands-parents.





C'était au printemps dernier. Dans les jardins publics, les arbres verdissaient, les parterres fleurissaient, les joues des enfants rosissaient... comme d'habitude. Mais plus de cerceaux! Envolés les volants! Tous les jeux anciens étaient abandonnés. Un nouveau venu, à lui seul, les avait remplacés tous. Garçons et filles s'actionnaient au jeu à la mode: deux baguettes réunies par un cordon à l'aide duquel ils faisaient rouler, puis sauter en l'air une sorte de toupie.
Autour des joueurs, des cercles se formaient, aux petites mines curieuses, aux yeux émerveillés. Et parmi les groupes, ces mots couraient: "Qui n'a pas son diabolo?"

Tous diabolistes! -Records sensationnels.

Ce jeu, dont tout de suite le succès allait être inouï, nous arrivait tout droit d'Angleterre, où, depuis un an déjà, il était à la mode. Dans les premiers jours de mars 1907, les joueurs et les joueuses de diabolo étaient encore l'exception; à la fin du mois, pas un enfant qui n'eût en mains les deux bâtonnets. Dans tout Paris, aux Champs-Elysées et au Parc monceau, comme dans les squares des quartiers populaires, on ne voyait que diabolos voltiger en l'air.




Jusqu'aux grandes personnes qui se passionnaient pour le diabolo, et du domaine du jeu le faisait passer dans celui du sport! On fondait des clubs qui réunissaient les adeptes du "diabolisme". A l'heure actuelle, on en compte pas moins de cinq: Le Diabolo-Club, le Cambo-Club, le Rockett-Club, le Devil-Club, le Club du Jeu du diable. On y joue de grandes parties de "diabolo-tennis" sur des "lawns" spécialement aménagés; on y organise des concours de "lancement en hauteur", de "lancement en longueur", etc. Nous n'avons peut être pas encore de champion capable de rivaliser avec le célèbre C. B. Fry, sportsman fameux et premier "diaboliste" d'Angleterre. Néanmoins, au grand tournoi international donné par le Polo-Club de Bagatelle, le 23 juin dernier, et au concours qui a eu lieu à Etampes, le 22 septembre, nos amateurs de diabolo ont pu établir leurs records. Le programme du tournoi de Bagatelle comprenait un match de diabolo-tennis, dont les vainqueurs furent Mlle d'Hampol et M. Spiers.
Quant aux deux lauréats ex œquo du concours d'Etampes, ce furent le jeune Alfred Meunier, âgé de treize ans, fils du receveur des postes, et le jeune Marcel Nélaton, fils du commis greffier. le premier a lancé 3.258 fois, sans un seul arrêt, le diabolo, et il n'a mis que 1 heure 35 minutes 7 secondes pour accomplir cette performance fantastique. 
De son côté, Marcel Nélaton a fait, en 1 heure 40, une série de 3.307 coups. Pour acquérir une aussi prodigieuse habileté, les deux rivaux, qui ont vraiment le diabolo au corps, n'ont mis que six semaines, à raison de deux heures de travail par jour.
Seulement, ce jeu anglais est-il aussi britannique que l'on croît? Et ce jeu nouveau est-il aussi "nouveau jeu" que l'on croit encore? Les fanatiques seraient bien étonnés d'apprendre que les belles dames du temps de Louis XVI, que nos aïeules en robe empire y jouaient, et qu'à cette époque-là, les Anglais n'en soupçonnaient pas l'existence.
C'est pourtant là l'exacte vérité. On raffolait au XVIIIe siècle du diabolo, qu'on appelait "jeu du diable".
Bien entendu, on ne fabriquait pas encore de toupies en celluloïd avec de petits "pneus", comme sont les diabolos de maintenant, mais il existait des modèles en bois fort ingénieux qu'on retrouve en certains de nos musées, des diables en métal peint, ou même en cristal, décorés, élégants, délicieux.
A la fin du premier empire, le "diable" eut un sursaut de vogue. On y jouait partout, dans les salons, dans les jardins, aux Tuileries, aux Champs-Elysées où non seulement les enfants mais encore les dames étaient occupées à faire tourner le diable.



Le jeu à la mode en 1820.
Cette partie de "diable à quatre", sous la Restauration,
montre que le diabolo était déjà, à l'époque,
l'objet d'une vogue... à tout casser.

Il est à remarquer qu'en ce temps-là le diabolo était plus difficile et plus compliqué qu'actuellement. Un joueur émérite de diable, il y a un siècle, devait être capable d'exécuter toute une série de coups, les plus variés et les plus extraordinaires. Il savait naturellement, faire courir le diabolo le long de la corde, puis le lancer en l'air et le rattraper: cela s'appelait le Va comme je te pousse ou bien le Saut périlleux. Mais en outre, la Promenade  et Jean s'en va comme il est venu n'avaient pas de secrets pour lui. Seuls les joueurs émérites s'essaient, aujourd'hui, à ces virtuosités que l'examen des vieilles estampes nous a fait connaître. La Promenade consistait à faire grimper la toupie, d'un preste mouvement du poignet, le long des bâtonnets. Jean s'en va comme il est venu était un coup d'une exécution plus ardue: au moment où le diable, en pleine rotation, était au milieu de la corde, le joueur devait tendre vivement celle-ci, puis croisait ses mains; la toupie, arrêtée brusquement dans sa course se mettait alors d'elle-même à revenir sur ses pas. Enfin, si notre joueur était un véritable virtuose, il se risquait à tenter l'Ascension de la corde raide; il fallait, la corde étant tendue presque verticalement, faire grimper la toupie d'une extrémité à l'autre. C'était en somme une variante de Jean s'en va comme il est venu, et l'on procédait de même, mais en saisissant l'instant où le diable n'était non plus au milieu de la corde, mais à l'un des bouts. Au surplus, dans ces divers exercices, la théorie s'effaçait devant la pratique. Comme le disait le prospectus d'un  marchand de diables: "C'est la façon de faire qui est tout"


On joue à ce jeu charmant
Lorsqu'on est aimable. 
Vieillard en vain s'y mettant, 
Envoie tout, en murmurant, 
Au diable! au diable!

L'histoire du diabolo est celle de tous les autres jeux de plein air. Ces jeux "nouveaux" et "anglais" sont d'anciens jeux français.

Louis XIV jouait au tennis.

Dans l'ancienne France, en effet, on avait le goût de tout ce qui faisait le corps plus robuste; on aimait aussi à se réunir, à certains jours: les jeux de plein air donnaient satisfaction à cette double tendance. Quand les mœurs changèrent, on cessa de s'intéresser aux jeux, on les oublia. Tandis que nous les abandonnions, l'Angleterre, férue de tout ce qui est exercice du corps, les recueillait précieusement; maintenant, elle nous les restitue, mais bien entendu, avec une étiquette britannique.
Quoi de plus anglais que le lawn-tennis? Regardez une partie; l'un des joueurs, brandissant balle et raquette, s'adresse à son partenaire placé de l'autre côté du filet et lui crie: Play!. Ready! répond l'autre en se ramassant pour le coup. La balle vient-elle à s'égarer hors des limites tracées? Out! s'écrie le chœur des joueurs.




Sans doute... mais quoi de plus français que le jeu de paume? Duguesclin, nous raconte un vieux chroniqueur, jouait à la paume quand on vint lui annoncer que son frère est captif des Anglais. Tous nos rois étaient des fervents de la paume, depuis Charles V qui avait fait construire une salle de paume au Louvre jusqu'à Louis XIV qui en avait une dans toutes ses résidences.
Ceux qui ne pouvaient s'offrir le luxe d'avoir un jeu de paume à eux fréquentaient les jeux de paumes publics. C'étaient de vastes salles rectangulaires appelées "tripots"; ils abondaient à Paris, où, au XIVe siècle, on en comptait deux cent cinquante; on en trouvait dans toutes les villes de province. Un Anglais, qui voyageaient en France au temps de Henri IV, prétendait que le pays en était couvert et qu'il y avait plus de jeux de paume en France que d'ivrognes en Angleterre.




Or, le lawn-tennis et le jeu de paume sont le même jeu. En voulez-vous la preuve? Maints usages d'un savoureux archaïsme sont, dans le lawn-tennis actuel, une survivance des antiques règles de la paume. Toute partie de lawn-tennis commence par le "service"; l'un des joueurs, le "servant", met la balle en jeu, en la lançant avec sa raquette, par dessus le filet, du côté de son adversaire. Le service, pour être bon, doit être fait dans certaines conditions: il faut que la balle tombe dans une partie déterminée du "cours" ou emplacement du jeu. Toutefois, si le joueur manque son premier service, il a droit à une seconde balle. Cet usage, qui existait dans la paume, a été transposé sans aucun changement dans le lawn-tennis.
De même, le premier point gagné par l'un des joueurs est nomme "quinze", le second "trente", le troisième "quarante-cinq" ou par abréviation "quarante". Cette bizarre façon de compter, léguée au lawn-tennis par son ancêtre, vient de ce que, dans la paume, une des péripéties du jeu consiste à faire des "chasses" et que ces chasses sont numérotées de 1 à 14. Pour éviter une confusion, les points étaient marqués 15 et multiples de 15.
Cependant quelques personnes ont tenu à conserver la paume avec sa physionomie française d'autrefois. Aux Tuileries, sur la terrasse des Feuillants, en face de l'Orangerie, existait, il y a encore quelques mois, un jeu de paume couvert construit sous le second Empire. On y pratiquait la courte-paume. La longue paume diffère de la précédente en ce qu'elle se joue sur un emplacement plus vaste, et en plein air, de sorte qu'on ne s'y livre pas aux effets de billard produits par la balle rebondissant sur les murs, effets qui caractérisent la courte-paume. Elle a aussi ses fanatiques qui ont formé deux associations, la Société de la Longue-Paume de Paris, et l'Union des Sports athlétiques pour la Longue Paume et le Tennis.
La première de ces sociétés possède un terrain de jeu au Luxembourg, immense rectangle macadamisé, au sol parfaitement uni. Tous les ans, en été, des championnats et des matches y sont disputés, où les paumiers parisiens se mesurent avec leurs confrères de province, surtout ceux de la Picardie et de l'Artois, où beaucoup de villes, Valenciennes, Saint-Quentin, Péronne, etc., possèdent des sociétés de paume.


Nous jouons au golf et au football depuis le moyen âge.

Au temps de sa splendeur, en France, la paume avait un rival: c'était le "mail". Toutes les villes possédaient un endroit réservé pour ce jeu, vaste espace bien plat et qui souvent donnait son nom à la promenade ou à la place sur lesquelles il était établi. A Paris, autrefois, il y avait deux mails: l'un près de l'Arsenal, dans l'île Saint-Louis, où Henri IV s'arrêtait quand il venait de rendre visite à Sully; l'autre en plein centre parisien, entre le faubourg Montmartre et la rue Saint-Honoré, dans la quartier qui est resté le quartier du mail.
On jouait au mail à l'aide d'un maillet à long manche, un "mail" On frappait sur des boules et on les dirigeait vers un but figuré par un piquet. Avant de parvenir à ce but, il fallait leur faire franchir une série d'obstacles, à savoir de légers arceaux de fer... 




Mais n'est-ce point là le jeu dont les Anglais ont fait le "crocket" et qui est passé chez nous sous le nom de croquet? Regardez, en effet, une ancienne estampe représentant une partie de mail: vous jugeriez assister à une partie de croquet d'aujourd'hui: mêmes dispositions du jeu, même attitudes des joueurs. Et voilà encore un jeu anglais qui est bien français.



De nos jours, une partie de croquet.

Le "golf", l'un des derniers venus en France parmi les jeux dits britanniques, ne l'est pas moins. Sur un terrain spécial ou "link", semé de trous séparés par des obstacles, il s'agit de faire passer successivement dans tous les trous une balle en caoutchouc durci que l'on frappe avec un "club", bâton terminé par une "masse" recourbée, le plus souvent en métal. Le joueur qui a fait passer sa balle dans tous les trous avec le plus petits nombre de "coups" gagne la partie.
Le golf, qui exige un vaste terrain spécialement aménagé et d'un entretien assez coûteux, est et restera longtemps encore un divertissement aristocratique. Parmi les fervents du jeu, on cite l'homme d'Etat anglais Balfour. Du temps que M. Balfour était premier ministre, après avoir subi un assaut d'interpellations à la Chambre des Communes, il allait se détendre l'esprit au golf. M. Rockefeller, le milliardaire américain, est également un grand joueur de golf. En Angleterre, les clubs de joueurs de golf et les links sont légion. En France, toutes les plages, toutes les stations thermales ou hivernales possèdent des terrains de golf; de Boulogne, Biarritz, Dinard, Trouville, Dieppe, Pau, Nice. Mais les deux links les plus célèbres sont ceux de Dieppe et de la Boulie, près de Versailles, fréquentés à la fois par des Français, des Anglais et des Américains.
Eh bien, on jouait au golf en France au XIIIe siècle! Cela s'appelait alors le jeu de la "crosse". 


Un ancêtre du golf: le jeu de la Crosse.

En Normandie, il était très en faveur; à Avranches notamment, il y avait de grandes parties qui s'ouvraient avec un important cérémonial; au jour fixé, tous les habitants se rendaient sur la grève de la Saudière, non loin du pont Guibert, et l'évêque lui même donnait le signal en frappant le premier la boule de sa crosse; au même instant, les cloches de la cathédrale sonnaient à toute volée.
Jusqu'au "foot-ball" qui est français! Et pourtant, le foot-ball est le jeu britannique par excellence, qui passionne le lord aussi bien que le cockney et qui, tous les samedis, pousse hors de Londres la population avide d'assister aux matches sensationnels entre les "teams" ou équipes célèbres!
Au moyen âge, dans les villages de Bretagne et de Picardie, le jeu populaire était la "soule au pied". On lançait en l'air avec le pied un gros ballon que les joueurs se disputaient avec acharnement. La victoire était à celui qui parvenait à s'en rendre maître. Cela n'allait pas sans de véritables pugilats, car tous les moyens étaient de bonne guerre: crocs en jambe, coups de pied et coups de poing. telle était la brutalité du foot-ball... déjà!
Un à un, tous les jeux de la vieille France ont ainsi repris parmi nous leur place après un long stage de l'autre côté de la Manche. Notre anglomanie en cette circonstance ne nous a pas mal servis, puisqu'elle nous a fait renouer une tradition, celle des jeux en plein air, momentanément interrompus en France.

Lectures pour tous, 1907-1908.

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