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dimanche 31 juillet 2016

La censure.

La censure.


La censure théâtrale, bien connue sous le sobriquet populaire "d'Anastasie"*, est encore une fois menacée de mort. Depuis des années, cette menace se renouvelle périodiquement, tantôt proférée, sans motif immédiat, au nom des "immortels principes", tantôt provoquée par quelque incident retentissant dont les échos de la presse répercutent le bruit depuis le trou du souffleur jusqu'à la tribune du Parlement.
Cette fois, c'est l'interdiction de la pièce de M. Brieux, Les Avariés**, qui à tort ou à raison, a déchaîné la tempête contre une institution administrative si souvent battue en brèche et pourtant si résistante. Elle a eu de tout temps, elle a aujourd'hui plus que jamais ses détracteurs acharnés et ses défenseurs convaincus, et l'on peut dire que sa cause, bonne ou mauvaise, est un sujet de polémique épuisé.
Censure signifie proprement examen préventif des productions, plus ou moins littéraires, destinées à la scène, examen ayant pour sanction le droit d'interdire la représentation publique de toute oeuvre jugée capable d'offenser la morale, de troubler l'ordre, de causer de graves désagréments au gouvernement dans sa politique intérieure ou extérieure.
Ce droit de veto, avec la responsabilité qu'il implique, appartient au ministre de l'Instruction publique, lequel, sauf recours à son autorité suprême pour les cas importants, le délègue au directeur général des Beaux-Arts, sorte de surintendant des théâtres; mais, en fait, comme ce haut fonctionnaire aux attributions multiples n'a pas le loisir d'opérer en personne, il confie la besogne à des lecteurs spéciaux: les quatre inspecteurs des théâtres. La réunion de ceux-ci constitue la "commission d'examen", qu'on appelle couramment la Censure, par une confusion toute naturelle de la fonction elle-même et de son exercice.
Actuellement, les censeurs sont: M. Gauné, président de la commission, ancien attaché au cabinet de M. Turquet, sous-secrétaire d'Etat; M. julien Sermet, ancien journaliste et vaudevilliste, qui naguère fournit aux cafés-concerts des saynètes qu'il censurerait peut être sévèrement aujourd'hui; M. Georges Daudet, fils d'Ernest et neveu d'Alphonse; M. Marcel Fouquier, fils de l'éminent critique et chroniqueur Henry Fouquier. Tous les quatre jeunes ou jeunes encore, instruits, lettrés, accomplissant leur mission en conscience, au demeurant, de fort aimables gens.





Les hommes impopulaires, en raison de leurs fonctions redoutables, sont presque toujours charmants, personnellement. D'ailleurs, l'aspect de leur "antre" de la rue de Valois, de leur salle des délibérations, de leurs bureaux encombrés de fiches, garnis de cartons verts; l'assaut continuel des régisseurs, des garçons, sollicitant le visa, l'estampille libératrice pour les pièces de plus de vingt théâtres, les chansons de plus de cent cinquante cafés-concerts, attestent, en dépit du préjugé courant, que leur emploi n'est point une sinécure et qu'ils gagnent bien leur traitement annuel de 4.000 francs.
On parle de supprimer la censure; ces Messieurs, sans doute, renonceraient bien volontiers à leur ingrat labeur, s'ils trouvaient une légitime compensation dans un service moins chargé et moins compromettant.

L'Illustration, 23 novembre 1901.


*Nota de célestin Mira: caricature célèbre d'André Gill parue en 1870.




**Un roman fut tiré de la pièce censurée.



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