Comment on pince les voleurs dans les magasins anglais.
Mon Dimanche a déjà révélé les divers procédés mis en usage par les voleurs de Londres pour dérober des marchandises sous le nez des petites demoiselles qui en ont reçu la garde. Voici maintenant comment les directeurs des grands magasins londoniens défendent leurs coupons et leurs bijoux, des voleurs et des kleptomanes.
Le grand commerçant doit lutter en effet contre deux ennemis: le visiteur qui fait main basse sur toute sorte de butins par profession et le malade qui vole par manie.. En réalité, ces deux catégories se confondent quelque peu. Tout client surpris en flagrant délit pour la première fois plaide les circonstances atténuantes et prétend n'avoir agi que sous l'influence d'un accident psychologique. Il n'a pu résister, dit-il, au désir maladif, anormal, de prendre... pour prendre.
Un négociant anglais confiait ainsi à l'un de nos confrères son opinion sur les kleptomanes:
- Les voleurs arrêtés dans les grands magasins se recommandent trop souvent de la kleptomanie... , de la maladie de voler. C'est une excuse qui finit par devenir insupportable. La kleptomanie a bon dos. Elle permet à des jeunes femmes qui ont envie de dentelles trop chères pour leurs bourses, quantité de larcins. Prises sur le fait, les coquettes remboursent, c'est vrai! Mais quand elles échappent à notre surveillance!... Et il est curieux que leur kleptomanie ne consente à s'exercer que sur des objets de prix. Je n'ai rencontré dans mon existence que deux véritables malades:
une dame fort riche qui me déroba un gril à côtelettes et un vieux savant qui m'emporta un jour deux volumes de Robinson Crusoé!
Les voleurs de profession semblent moins redoutables aux directeurs des grands magasins que les chapardeurs... par accident. Et c'est surtout pour prévenir les distractions de leur clientèle qu'ils confient la police de leurs établissements à des employés spéciaux (comme cela se fait au Louvre, au Bon Marché*), à des détectives ou au public lui-même. Comme nos "inspecteurs" parisiens, les surveillants anglais se mêlent à la foule, stationnent longuement près des comptoirs les plus éprouvés (gants, dentelles, rubans, bijoux)., ou se campent au sommet d'un escalier pour mieux surveiller le jeu des mains qui leur paraît suspect. Seulement à Paris, les employés de l'inspection se désignent clairement à l'attention de messieurs les filous par une impeccable redingote noire et une très cérémonieuse cravate blanche. Ils semblent dire aux clients: "Attention, ne volez pas! M. l'inspecteur vous regarde!" Tandis qu'en Angleterre les employés-policiers n'endossent aucun uniforme spécial et parviennent à pincer dans un seul magasin cinq cents "mauvais garçons" par an.
Détectives mâles et femelles.
Aux voleurs professionnels certains palais de la mode préfèrent opposer des policiers de carrière: vingt-cinq détectives et trois ou quatre femmes expertes en l'art de flairer les voleuses. Mais le nombre de policières augmente de beaucoup durant la saison des affaires au printemps, en automne. Alors chaque agent emmène sa femme au magasin et la charge de suivre les dames, dont les allures et surtout les vêtements pourront lui paraître singuliers.
Des détectives mâles se tenant près des portes pour signaler les "têtes qui ne leur reviennent pas" confient tel visiteur ou telle visiteuse aux bons soins de leur moitié. Et il est plaisant de voir comment la détective femelle joue au naturel son rôle de simple cliente. Rouge, chargée de paquets, , tiraillant un marmot accroché à ses jupes, elle fait une trouée dans les groupes de femmes stationnant devant les comptoirs de menus objets. Les employés gourmandent sa manie de tout bousculer. Elle riposte en fourrageant les dentelles, les guipures, les rubans. Elle va, affairée, mais ne surveillant pas autre chose que les mains de ses voisines et sondant discrètement du poignet, du coude, les manteaux, les pèlerines des clientes.
Puis on la voit se diriger, souriante, vers quelque jolie dame qui semble fort dédaigneuse de tous les étalages. Conversation rapide. Dénégations de la visiteuse. Policière et voleuse passent dans une petite pièce réservée aux fouilles. La détective femelle ne commet jamais d'impairs. Elle n'intervient que lorsqu'elle a vu le larcin. Parfois même si la personne qu'elle a surprise dérobant un objet lui semble par sa tenue, sa mise, ses allures, appartenir au meilleur monde, la policière n'agit pas immédiatement, mais suit sa victime avec une discrétion toute diplomatique, attendant une nouvelle faute. Et cela explique pourquoi certaines kleptomanes sont arrêtées par les détectives au moment même, où elles allaient, toutes joyeuses, quitter la maison.
Puis on la voit se diriger, souriante, vers quelque jolie dame qui semble fort dédaigneuse de tous les étalages. Conversation rapide. Dénégations de la visiteuse. Policière et voleuse passent dans une petite pièce réservée aux fouilles. La détective femelle ne commet jamais d'impairs. Elle n'intervient que lorsqu'elle a vu le larcin. Parfois même si la personne qu'elle a surprise dérobant un objet lui semble par sa tenue, sa mise, ses allures, appartenir au meilleur monde, la policière n'agit pas immédiatement, mais suit sa victime avec une discrétion toute diplomatique, attendant une nouvelle faute. Et cela explique pourquoi certaines kleptomanes sont arrêtées par les détectives au moment même, où elles allaient, toutes joyeuses, quitter la maison.
La police faite par les clients.
Si les détectives reconnaissent les voleurs, ceux-ci ne sont pas moins habitués à découvrir le policier sous les vêtements du gentleman. C'est pour parer à cet inconvénient que des commerçants de Londres ont eu l'ingénieuse idée de confier la police de leur magasin à tout le monde. et l'armée des clientes et des clients en procédant à ses acquisitions, fait meilleur besogne qu'une compagnie d'agents de la Sûreté.
Tout visiteur faisant pincer un filou reçoit une prime de dix à vingt francs et un pourcentage sur l'objet dérobé.
Mon dimanche, revue populaire illustrée, dimanche 26 février 1905.
* Nota de célestin Mira: Le Bon Marché est le premier grand magasin parisien, fondé en 1838 par les frères Videau. Il s'agissait au début d'une mercerie. C'est en 1852 qu'ils s'associèrent avec Aristide et Marguerite Boucicaut et fondèrent ainsi le véritable grand magasin avec comme concepts novateurs la proximité des produits que les clients peuvent ainsi toucher, le prix indiqué par des étiquettes et la possibilité de se faire rembourser ses achats.
Le Grand Magasin du Louvre, concurrent du Bon Marché, fut fondé en 1855, par Alfred Chauchard et Auguste Hériot.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire