Poitiers: Porte du Pont-Joubert.
Poitiers est l'une des plus anciennes cités des Gaules; elle existait bien avant la conquête des Romains; c'est la même ville que l'antique Limonum, place forte du temps de César.
On a beaucoup écrit pour connaître l'origine des noms de Poitiers, Poitou, Poitevins; il ne nous appartient pas d'entrer dans toutes ces discussions qui ont produit des volumes in-folio; nous nous bornerons à citer l'ingénieux raisonnement d'un érudit du XVIe siècle, et l'on avouera au moins que si non è vero, ben è trovato:
"Le pays du Poitou, dit-il, fut premièrement appelé Pictavia, à cause de ce qu'il est peint et enrichi par des arbres, blés, vignes, fontaines, rivières, bois, bocage et pâturage, et la cité de Poitiers fut appelée Pictavis, ab ave pictâ, parce qu'elle fut édifiée au lieu où l'on avait trouvé un oiseau peint. Autres ont écrit que la cité de Poitiers eut ce nom du temps de Jules César, à cause d'un sien chevalier qui ainsi nomma ladite cité. Et quant à moi, je n'ai pu trouver que les poitevins soient venus et procédés d'autres gens que des Scythes, et je crois que Poitiers fut premièrement appelée Pictavis, qui signifie force peinte, car les Scythes étaient cruels et forts, et semblait qu'ils eussent les visages peints de rouge, à cause du sang des hommes qu'ils buvaient.
Les poitevins, descendus des Scythes, ont été entre les mains des Romains, des Goths, des Français et des Anglais; et parce que, par longue fréquentation de personnes, on retient de leurs mœurs et conditions, les Poitevins, à cause des Scythes, sont vindicatifs, hardis et cruels; à cause des Romains, sont assez mûrs et pesants; à cause des Goths, lourds et grossiers en leurs gestes et façons de faire; assez beaux de corps à cause desdits Scythes et aussi des Anglais; aigus d'esprit et honnêtes en leur forme de vivre, à cause des Français."
La ville de Poitiers est bâtie sur une colline escarpée, environnée de rochers circonscrits par deux vallons, au milieu desquels coule le Clain et la Boivre, qui se réunissent au-dessous de cette cité, et l'entourent presque en entier. Le confluent de ces deux rivières, la jolie promenade du pont Guillon, les vieilles tours, débris imposants d'un château gothique dont cette promenade a pris la place, la pureté des eaux, les belles allées de boulevards qu'elles baignent, le bâtiment de l'abbaye de Moutierneuf qui s'élève derrière ce tableau, tout cet ensemble forme une perspective des plus gracieuses.
Poitiers est une des grandes villes de France, mais elle n'est pas peuplée en raison de son étendue; elle est ceinte de murailles antiques, flanquée de tour de distance en distance, et généralement mal bâtie; les rues sont, pour la plupart, étroites, excessivement escarpées et pénibles à parcourir, tant par la rapidité des pentes que par la mauvaise nature des pavés; l'intérieur n'offre qu'un immense amas de maisons sans goût, sans architecture, séparées, dans quelques endroits, par de vastes jardins, et même par des terres labourables.
Ce pays, envahi par les Sarrasins et les Normands, théâtre de longues guerres contre les Anglais, et que le fanatisme religieux a tant de fois ensanglanté, a dû être souvent ravagé; cependant, on y trouve encore quelques monuments. On montre à Poitiers les débris de trois aqueducs construits avec toute la solidité que les Romains donnaient à leurs ouvrages, et les ruines d'un amphithéâtre, dont il ne reste plus qu'un petit nombre d'arcades engagées dans des constructions modernes.
La porte du Pont-Joubert, la seule existante des six par où l'on pénétrait dans la vaste enceinte de l'ancienne Pictavia, en était la principale entrée.
On attribue à guillaume VII, comte de Poitou, la construction d'une tour voisine de cette porte, bâtie en 1106, afin d'ajouter à ses moyens de défense; elle formait l'extrémité du pont qui communiquait de la rue principale à la rive opposée du Clain.
On attribue à guillaume VII, comte de Poitou, la construction d'une tour voisine de cette porte, bâtie en 1106, afin d'ajouter à ses moyens de défense; elle formait l'extrémité du pont qui communiquait de la rue principale à la rive opposée du Clain.
Mais ce qui est digne de fixer l'attention à Poitiers, ce sont les édifices religieux. Et d'abord l'église cathédrale dédiée à saint Pierre, un des plus beaux monuments d'architecture gothique que possède la France. S'il faut en croire une vieille chronique, voici à quelle circonstance cette église devait sa fondation:
"Le même jour que saint Pierre fut crucifié à Rome, saint Martial prêchait publiquement en la ville de Poitiers, au lieu où est à présent l'église cathédrale, et, en faisant sa prédication, fut ouïe une voix qui dit:"Martial, je suis ton maître Jésus, qui te notifie que cejourd'hui mon bien-aimé apôtre Pierre a été crucifié à Rome, et veux qu'à l'honneur de lui et commémoration de son martyre tu fasses ici une église." Incontinent, elle fut commencée par saint Martial. Trois cent ans après ou environ, saint Hilaire, étant à un concile à Rome, raconta l'histoire de son église de Poitiers dont il était évêque, et par ce moyen lui fut donné une partie de la barbe de saint Pierre qui repose en une châsse dans icelle église. Depuis, la chose a été approuvée par un miracle que Dieu fit en l'église Saint-Hilaire, pour la guérison d'un paralytique qui était allé se recommander aux prières dudit saint, parce qu'en cette église avaient souvent été faits plusieurs beaux et grands miracles; et sitôt que le collège de la cathédrale y alla avec ladite chasse où était la barbe de saint Pierre, le paralytique fut guéri; et ceci est au long écrit en l'histoire et légende de saint Hilaire."
La cathédrale de Saint-Pierre est remarquable par sa large façade à trois porches, flanquée de deux tours d'inégale grandeur; le grandiose de l'art y respire tout à la fois, et dans sa vaste étendue, et dans la hardiesse de ses voûtes; elle n'a rien de cet éclat frivole emprunté à la superfluité des ornements; le mauvais goût n'y a point chargé le beau gothique d'un mélange confus de figures, de feuillages et de festons; on y reconnait une époque de transition vers le modèle plus simple que les œuvres du vieil âge, plus hardi que celles des temps nouveaux. Les tours qui accompagnent la principale entrée ne sont ni d'un même dessin, ni de la même architecture; la tour de l'horloge s'élève avec élégance, une galerie dentelée la couronne, et le même ordre règne autour de l'église; la tour des cloches est plus simple, d'un style moins sévère et moins agréable à la vue.
L'église Notre-dame, superbe échantillon de l'architecture romane, présente une façade d'une rare beauté; son portail est orné de sculptures et de statues, flanqué de faisceaux de colonnes qui soutiennent deux forts jolies tourelles à dôme pointu et sculpté en écailles de poisson. On prétend que cette église fut fondée par Constantin. Mais la chose la plus merveilleuse et ravissante était assurément la fondation de la basilique Saint-Pierre-le-Puellier, ainsi nommée parce qu'un grand nombre de jeunes filles religieuses s'y rendirent après sa construction; et ici laissons encore parler, dans sa langue naïve, le bon annaliste des vieux temps:
"Or, comme sainte Hélène passait par le pays de Poitou pour aller à Luçon, une sienne servante, nommée Loubète, qui était contrefaite et boiteuse, toutefois de bonne et sainte vie, étant indisposée, demeura en la ville de Poitiers; sa maîtresse lui donna une petite portion de la vraie croix avec autres reliques, qu'elle mit en un coffret; et avant de prendre logis, se reposa en une place sous un arbre, mit son coffret sous sa tête, et s'endormit. A son réveil, ne trouva plus son coffret, dont fut fort ébahie et dolente, et, jetant les yeux vers le ciel, elle aperçut ledit coffret pendu et attaché au plus haut de l'arbre où il avait été divinement transporté. Pour lors, la bonne pèlerine Loubète fut trouver le gouverneur du Poitou, et lui demanda la permission de bâtir en ce lieu une chapelle, afin d'y mettre des religieuses; à quoi le comte s'accorda; et voyant l'imperfection corporelle de ladite Loubète, qui était boiteuse des hanches, et cheminait à fort grand peine, lui donna autant de terre qu'elle pourrait en tournoyer depuis soleil levé jusqu'à midi, ce qu'elle accepta; et en la compagnie des gens du comte, le lendemain matin, commença son chemin, et en fit plus en deux heures qu'on ne pensait qu'elle en ferait en un jour. Incontinent après, la bonne pèlerine Loubète fit bâtir, par l'aide et aumône de l'évêque de Poitiers, une petite église, avec un logis pour elle et les filles qui voudraient venir servir Dieu avec chasteté et pureté, et fut nommée ladite église Saint-Pierre-le-Puellier, Sanctus Petrus puellarum."
Parmi les nombreux rochers qui dominent la ville de Poitiers dans une étendue considérable, on distingue une pointe qui a l'apparence d'un pilier; on l'appelle l'Amiral Coligny, parce que c'est le poste périlleux où l'amiral se tenait, en 1569, pour diriger les opérations du siège de Poitiers. Ce rocher est voisin des anciens murs de la ville qui touchent les bord du Clain. La Pierre Levée est à peu de distance, soutenue par un seul pilier en pierre aussi brute que la Pierre Levée elle-même; elle a 18 pieds de longueur sur 14 pieds de largeur. Selon une tradition populaire sainte Radegonde apporta cette pierre sur sa tête, et le support dans son tablier, et les plaça comme ils sont; on ajoute que la sainte portait encore un autre pilier, mais qu'elle le laissa tomber; le diable, qui la suivait, le ramassa et l'emporta. Quelques auteurs ont prétendu qu’Éléonore, fille de Guillaume X, avait fait élever cette masse pour servir de limite au champ destiné à une foire qui lui doit sa fondation, et qui se tient tous les ans au mois d'octobre.
Rabelais s'est servi de la Pierre Levée pour donner une haute idée de la force de son Pantagruel; le fils de Gargantua étudiait en droit à Poitiers, et un jour il n'avait rien à faire, il alla se promener dans les vignes, et en rapporta cette pierre: "De fait, écrit Rabelais, le bon Pantagruel vint à Poitiers pour étudier, et profita beaucoup; auquel lieu voyant que les écoliers étaient aucunes fois de loisir, et ne savaient à quoi passer le temps, en eut compassion. Et un jour prit d'un grand rocher une grosse roche de 12 toises en carré, et la mit sur pilier au milieu d'un champ bien à son aise, afin que lesdits écoliers, quand ils ne sauraient autre chose faire, passassent le temps à monter sur ladite pierre, et là banqueter à force flacons, jambons et pâtés, et écrire leurs noms dessus avec un couteau; et de présent l'appelle-t-on la Pierre Levée. Et en mémoire de ce, n'est aujourd'hui passé aucun en la matricule de l'université de Poitiers, sinon qu'il ait bu en la fontaine de Croustelle et monté sur la Pierre Levée.
Poitiers rappelle de grands souvenirs; ce nom est surtout célèbre dans notre histoire par deux batailles, dont l'une fut une grande victoire, l'autre une grande défaite. Charles Martel détruisit les bandes sarrasines en 732; en 1356, le roi Jean, fait prisonnier, abaissa son gonfanon devant les archers du prince Noir.
Les historiens arabes ont écrit que les Sarrasins furent dispersés par Charles Martel aux environs de Tours, et non à Poitiers; mais la plupart des chroniques françaises, notamment celle de l'abbaye de Moissac, rédigée à l'époque même de l'événement, affirment que le combat eut lieu près de Poitiers, et même dans un de ses faubourgs. On sait que les Musulmans, maîtres depuis l'an 710 de l'Espagne, l'ancienne terre des Wisigoths, avaient formé le projet de subjuguer les Francs; en l'année 732, Abdérame passa les Pyrénées à la tête de forces formidables, et, après avoir vaincu le duc d'Aquitaine, il se présenta devant Poitiers, où se trouvait Charles Martel avec ses carrés de lances et d'arbalètes. Ce furent les sarrasins qui commencèrent l'action; ils cherchèrent en vain, par la légèreté de leurs mouvements, à mettre le désordre dans les rangs des chrétiens; mais ceux-ci, pesamment armés, et, suivant l'expression d'un contemporain, semblables à un mur ou à une glace qu'aucun effort ne peut rompre, virent se briser devant eux les attaques les plus impétueuses.
Les historiens arabes ont écrit que les Sarrasins furent dispersés par Charles Martel aux environs de Tours, et non à Poitiers; mais la plupart des chroniques françaises, notamment celle de l'abbaye de Moissac, rédigée à l'époque même de l'événement, affirment que le combat eut lieu près de Poitiers, et même dans un de ses faubourgs. On sait que les Musulmans, maîtres depuis l'an 710 de l'Espagne, l'ancienne terre des Wisigoths, avaient formé le projet de subjuguer les Francs; en l'année 732, Abdérame passa les Pyrénées à la tête de forces formidables, et, après avoir vaincu le duc d'Aquitaine, il se présenta devant Poitiers, où se trouvait Charles Martel avec ses carrés de lances et d'arbalètes. Ce furent les sarrasins qui commencèrent l'action; ils cherchèrent en vain, par la légèreté de leurs mouvements, à mettre le désordre dans les rangs des chrétiens; mais ceux-ci, pesamment armés, et, suivant l'expression d'un contemporain, semblables à un mur ou à une glace qu'aucun effort ne peut rompre, virent se briser devant eux les attaques les plus impétueuses.
Tout à coup un détachement, conduit par le duc d'Aquitaine, envahit le camp des sarrasins; ceux-ci courent à sa défense, et, à ce moment, un trait, habilement dirigé, renverse mort Abdérame leur chef. Un désordre effroyable se mit parmi eux; la plus grande partie resta sur le champ de bataille, tandis que le peu qui survécut reprit en toute hâte le chemin des Pyrénées. le lendemain, Charles Martel distribua à ses soldats les richesses immenses que les sarrasins avaient abandonnées; il repassa la Loire, fier de l'éclatant triomphe qu'il venait de remporter, et joignit à son nom de Charles, déjà illustré par tant de victoires, le titre de Martel ou Marteau, parce que, suivant la Chronique de saint Denis: "Comme li martiau débrise et froisse le fer et l'acier et tous les autres métaux, aussi froissait-il et brisait-il par la bataille tous ses ennemis et toutes autres nations."
Les champs de Poitiers, témoins de tant de vaillance, virent, six siècles plus tard, la terrible défaite où la chevalerie de la France succomba. Toute la fleur des gentilshommes fut moissonnée: la plupart se montrèrent lâches, et les batailles de lances les plus épaisses prirent la fuite devant les archers anglais.
Les fils du roi, à l'exception de Philippe, le plus jeune, à peine âgé de 13 ans, firent bien triste mine; lorsqu'ils aperçurent la bannière du prince de Galles, ils se partirent, dit Froissard, en fuyant avec plus de huit cents lances pleines et entières. Le roi Jean, seul, déploya un grand courage; il allait au devant de tous, une hache d'armes à la main. Il y avait presse autour de lui, et on lui criait: "Rendez-vous, rendez-vous." Le roi combattait toujours, lorsqu'un chevalier fend la foule, s'approche, lui disant en bon français:
"Sire, sire, donnez-vous à moi.
-Où est mon cousin le prince de Galles? s'écria le roi Jean; si je le voyais, je lui parlerais.
-Sire, répondit le chevalier, il n'est pas ici; mais rendez-vous à moi, et vous y conduirai: je suis Denis de Morbèque, chevalier d'Artois, servant du roi d'Angleterre, car je ne puis demeurer au royaume de France, j'ai forfait."
Et le pauvre roi Jean se rendit au chevalier. Il y avait toujours presse, et chacun s'écriait: "Je l'ai pris, je l'ai pris." afin d'avoir l'honneur et récompense; et Jean, presque étouffé, disait:" Seigneurs, seigneurs, menez-moi courtoisement devers le prince mon cousin, je suis assez grand pour faire riche chacun de vous."
Ce fut une triste journée que cette bataille de Poitiers; presque toute la noblesse de France fut dispersée; il y eut dix-sept comtes de pris, sans compter les barons et les chevaliers, "et y furent morts cinq cents et sept cents hommes d'armes, et bien six mille hommes des communes."
A. Mazuy.
Magasin universel, avril 1837.
Les fils du roi, à l'exception de Philippe, le plus jeune, à peine âgé de 13 ans, firent bien triste mine; lorsqu'ils aperçurent la bannière du prince de Galles, ils se partirent, dit Froissard, en fuyant avec plus de huit cents lances pleines et entières. Le roi Jean, seul, déploya un grand courage; il allait au devant de tous, une hache d'armes à la main. Il y avait presse autour de lui, et on lui criait: "Rendez-vous, rendez-vous." Le roi combattait toujours, lorsqu'un chevalier fend la foule, s'approche, lui disant en bon français:
"Sire, sire, donnez-vous à moi.
-Où est mon cousin le prince de Galles? s'écria le roi Jean; si je le voyais, je lui parlerais.
-Sire, répondit le chevalier, il n'est pas ici; mais rendez-vous à moi, et vous y conduirai: je suis Denis de Morbèque, chevalier d'Artois, servant du roi d'Angleterre, car je ne puis demeurer au royaume de France, j'ai forfait."
Et le pauvre roi Jean se rendit au chevalier. Il y avait toujours presse, et chacun s'écriait: "Je l'ai pris, je l'ai pris." afin d'avoir l'honneur et récompense; et Jean, presque étouffé, disait:" Seigneurs, seigneurs, menez-moi courtoisement devers le prince mon cousin, je suis assez grand pour faire riche chacun de vous."
Ce fut une triste journée que cette bataille de Poitiers; presque toute la noblesse de France fut dispersée; il y eut dix-sept comtes de pris, sans compter les barons et les chevaliers, "et y furent morts cinq cents et sept cents hommes d'armes, et bien six mille hommes des communes."
A. Mazuy.
Magasin universel, avril 1837.
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