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samedi 2 juillet 2016

Le décadent.

Le décadent*.

Il est fils du modernisme.
Petit-fils de l'idéaliste.
Neveu de l'impassible.
Un peu bâtard du réalisme.
Et cousin au douzième degré de l'ancien romantique.
Le décadent s'est ainsi appelé lui-même pour indiquer à quel niveau l'a mené la poésie.
Ne pouvant s'élever, il s'est résigné à demeurer par terre; il y est bien, il s'en vante, et voilà pourquoi il est" le décadent".




Le décadent est un jeune homme, très pâle, maigre, estimé dans certaines brasseries littéraires.
Il n'a aucune personnalité, aucune originalité; mais il appartient à une école spéciale, où l'on est convenu d'adopter certains mots et d'user certaines tournures.
Il prétend procéder de Schopenhauer et de Joseph Delorme** avec une pointe de darwinisme. Il a adopté ces noms, parce qu'ils sont baroques et peu compris des bourgeois. Au fond, le décadent ignore lui-même Schopenhauer et n'a jamais étudié Darwin.




Le décadent procède également du bock et de l'absinthe verte.
Le décadent imite de loin la manière de Baudelaire. Il a des désespérances, des dégoûts et des rancœurs.
Son nez est plein de relents.
Ses oreilles remplies de sonnailles d'or.
Son cœur a des héroïsmes amers.
Le décadent n'a pas d'idées. Il n'en veut pas. Il aime mieux les mots; et quand le mot ne lui vient pas, il l'invite.
C'est au lecteur à comprendre et à mettre des idées sous les mots. Le lecteur s'y refuse généralement. De là, le mépris du décadent pour le lecteur.




Le décadent croit faire neuf. Ce qui laisserait croire qu'il n'a jamais lu Werther, ni Paul de Kock. Le Werther du décadent est en pain d'épice, et son Paul de Kock est macabre.
Toutefois, le décadent, si bas qu'il ait mis la poésie, n'est pas encore le dernier. Il a sous lui un têtard qui commence à s'exhiber sous le nom de "déliquescent". C'est le commencement d'une suprême série, qui ira des "infusés" aux "putréfiés", en passant par les "liquéfiés".

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.




*Nota de Célestin Mira: Le décadentisme, appelé aussi mouvement décadent, est un mouvement littéraire et artistique controversé développé en France pendant les vingt dernières années du XIXe siècle. On parle aussi de littérature fin-de-siècle. (Source: Wikipédia)



Pierrot assassinant sa femme en lui chatouillant les pieds.
Pantomime décadente de Paul Margueritte (1881).
Gravure d'Adolphe Willette.




Félicien Rops: Pornokratés. (1878)



** Joseph Delorme: pseudonyme adopté par Sainte-Beuve pour la publication d'un livre de jeunesse: Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme, qu'il a prétendu avoir simplement recueillies.

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