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mercredi 6 juillet 2016

Le troisième centenaire du couvent des Carmes.

Le troisième centenaire du couvent des Carmes.

On sait que les carmes réformés furent appelés carmes déchaussés ou déchaux. Bien que ce nom de Carme soit évidemment une réminiscence du mont Carmel, un savant jésuite, célèbre pour ses idées originales, lui attribue une origine très différente et qui vaut d'être mentionnée.
On lit, en effet, dans Piganiol de la Force (Description historique de Paris): 
"Le Père Jean Hardouin, qui rêvoit souvent les yeux ouverts, prétend que leur nom vient de leur chapelle des Charmes ou Carmes, pour quelques arbres de ce nom qui y étoient plantés, de même qu'on a donné le surnom de Chardonnet à une église voisine pour avoir été bâtie sur un terrain jadis plein de ronces et de chardons...."
Voici comment le P. Hyacinthe a décrit l'emploi de la journée d'un Carme:
"Il se lève à minuit pour descendre dans la chapelle où il passe une heure en prières, après quoi, il retourne se coucher jusqu'à cinq heures, heure de la méditation. La sixième heure du jour le convie de nouveau à la chapelle jusqu'à midi, heure à laquelle il mange maigre toute l'année. L'après-midi se passe dans diverses pratiques jusqu'au soir qui l'invite au repos: il le goûte tout habillé sur une planche nue..."
De plus, sans doute afin de se rapprocher le plus possible de la règle monastique suivie par les premiers solitaires du mont Carmel, chaque couvent provincial de Carmes déchaux possédait une sorte d'ermitage comprenant plusieurs cellules isolées dans lesquelles les religieux allaient s'enfermer tour à tour pour y vivre, pendant un an, en véritables anachorètes; l'un de ces ermitages, qui est demeuré célèbre, fut bâti par Louis XIV aux environs de Louviers.
Le couvent de la rue de Vaugirard possédait à cette époque une bibliothèque contenant plus de douze mille volumes et de précieux manuscrits, parmi lesquels on remarquait celui de l'érudit chanoine Flodoard, curé de Commercy, intitulé Chronique et Histoire de l'Eglise de Rheims...
On doit, en outre, à ces religieux, plusieurs découvertes industrielles, notamment celui du blanc de Carme, produit qui donne à certaines substances un poli durable analogue à celui du marbre, et surtout l'eau de Mélisse qui a gardé leur nom et fut longtemps réputée pour combattre les vertiges et les faiblesses.
Au commencement de la Révolution, ce couvent abritait soixante-cinq religieux ayant pour prieur Joseph Gillet de Bassonville (Père Ambroise de Saint-Joseph) et, grâce à la haute considération dont ils jouissaient dans le quartier, leur immeuble fut désigné comme lieu de réunion du district et de la garde nationale: le prieur accepta de recevoir les contributions volontaires des citoyens et proposa même un de ses bâtiments pour servir de caserne, mais aucun des locaux ne s'étant trouvé assez spacieux pour cet usage, la communauté les fit agrandir, aménager et dépensa dans cette pensée patriotique plus de 32.000 livres.
Néanmoins, les Carmes ne purent se soustraire aux rigueurs de la loi du 17 août 1792 prescrivant la dissolution complète de tous les couvents, et ils reçurent sommation d'avoir à se disperser pour le 1er octobre suivant.
Ici se placent de sanglants épisodes; on avait été obligé, dès le mois d'août, d'enfermer dans l'église des Carmes transformée en prison plus de cent soixante prêtres réfractaires, faute de place pour eux dans les cachots de l'Abbaye et parmi eux se trouvait Mgr du Lau, archevêque d'Arles, deux frères de la la maison de La Rochefoucauld, l'un évêque de Saintes, l'autre évêque de Beauvais, les supérieurs de Saint-Sulpice, d'Issy, de Vaugirard, etc., tous traités avec les plus grands égards par les gardes nationaux du quartier qui les laissaient même communiquer avec le dehors pour faire venir de chez eux du linge et d'autres effets nécessaires.
Chaque jour, dans l'après-midi, les prisonniers étaient autorisés à se promener dans les jardins du couvent, mais, le 2 septembre, cette récréation, qui avait lieu ordinairement vers deux heures, fut retardée jusqu'à quatre heures, et en voici la raison: la section révolutionnaire du Luxembourg était en ce moment réunie dans l'église Saint-Sulpice convertie depuis peu en temple de la Victoire, club et bureau de recrutement pour les enrôlements volontaires, et le président Joachim Ceyrat, juge de paix, juché dans la chaire, après avoir proposé différentes mesures à prendre contre les ennemis de l'intérieur s'écria:
" Tous les prisonniers détenus aux Carmes sont coupables et il est grand temps que le peuple en fasse justice."
" Par la mort!" hurlent les assistants. Quelques minutes plus tard, une horde de bandits, dont beaucoup étaient ivres, envahit les jardins du couvent sous la conduite de Maillard, grandissant des sabres, des piques et des armes à feu: ce fut pendant quelques instants une abominable chasse à l'homme, une tuerie d'autant plus lâche que plusieurs de ces ecclésiastiques étaient vieux ou infirmes: plusieurs d'entre eux furent égorgés au fond du jardin en cherchant un refuge dans une chapelle de la Sainte-Vierge, qui se trouvait là.




Auprès d'un banc de pierre se voit une petite colonne portant l'inscription suivante:
"Ici a été tué L. Guérin, prêtre, première victime du massacre des Carmes, le dimanche 2 septembre 1792."
Il y a là, paraît-il, une erreur, et la première victime aurait été en réalité l'abbé Girault, âgé, un peu sourd et qui, absorbé par la lecture de son bréviaire, n'avait pas été averti de l'arrivée des égorgeurs: Maillard, à ce moment, arrêta le carnage et, s'étant installé devant une petite table placée au bas d'un escalier de la communauté, procéda à un grossier simulacre de jugement, à la suite duquel, les prêtres qu'on fit sortir deux par deux furent assassinés sur le perron conduisant au jardin. On voit à cet endroit une inscription d'un laconisme impressionnant: "Hic ceciderunt."




Le nom de massacre des Carmes, qui est resté à cette journée odieuse, semblerait indiquer que les religieux de ce couvent en furent les victimes: il n'en fut rien, car les habitants du quartier qui avaient souvent eu part à leurs bienfaits les enfermèrent dans leurs cellules tant que durèrent ces scènes d'horreur et leur sauvèrent ainsi la vie; seuls périrent, ce jour-là, les prêtres insermentés et avec eux un vieux gentilhomme, le comte Régis de Valfons, ancien officier au Royal Champagne, qui avait tenu à partager leur captivité.
Suivant certains auteurs, les corps amoncelés auraient été précipités dans un puits du jardin; d'autres ont prétendu qu'ils furent tous inhumés dans le cimetière de Vaugirard; ce qui est établi, c'est qu'en 1867, au cours de travaux effectués près de la statue de la Sainte-Vierge pour le percement de la rue de Rennes, on découvrit dans un ancien puits comblé quantité d'ossements humains provenant, les uns d'un ossuaire ancien, les autres très vraisemblablement des victimes de septembre.




Les religieux, ayant réussi à se retirer sains et saufs, se dispersèrent sans attendre la date du 1er octobre, et leurs jardins encore ensanglantés furent loués d'abord à un maraîcher pour le prix de 4.780 livres, et peu après à un entrepreneur de fêtes publiques, qui y installa sans succès le bal des Tilleuls; l'église, redevenue prison cette même année, abrita dans l'espace de quelques mois plus de huit cents suspects, parmi lesquels Joséphine de Beauharnais et son mari, la duchesse d'Aiguison, l'amiral de Montbazon-Rohan, le général Hoche, le marquis de Soyecourt, le savant Boucher d'Argis, le trop fameux Santerre, etc. Mais en dépit de la légende accréditée par Lamartine dons son Histoire des Girondins, aucun Girondin n'y fut enfermé.
Après le 9 thermidor, le couvent reçut les approvisionnements que la commission des musées nationaux emmagasinait alors à Saint-Sulpice; la caserne devint l'imprimerie du Directoire et fut ensuite abattue lors du tracé de la rue d'Assas; en 1797, un spéculateur allait acquérir l'immeuble, quand Mlle de Soyecourt, ex-carmélite, dont l'ordre avait été dissous, le racheta dans l'intention d'y reconstituer son ancienne congrégation; elle obtint même des subsides du gouvernement, ce qui s'explique par ce détail que l'église des Carmes avait été érigée en paroisse pour remplacer Saint-Sulpice, occupé depuis quelque temps par la secte des théophilanthropes organisée par Lareveillère-Lepeaux, et par l'évêque constititionnel Grégoire. Installée dans la cellule même qu'avait habitée son père, le marquis de Soyecourt, et qu'il n'avait quitté que pour l'échafaud révolutionnaire, elle réussit en moins de dix ans à recomposer une communauté de Carmélites qui plus tard alla s'établir avenue de Saxe.
Vendus en 1849 pour la somme de 600.000 francs à Mgr Affre, archevêque de Paris, les bâtiments furent affectés à une école des Hautes Etudes ecclésiastiques, et une partie en fut occupée par des Dominicains, qu'y avait appelés Lacordaire; à ce propos, M. l'abbé Guibert raconte une piquante anecdote: le célèbre dominicain exécrait les chats, ces animaux lui inspiraient même une sorte d'épouvante, aussi, un séminariste s'amusait-il souvent, caché derrière un des tilleuls où Lacordaire aimait aller rêver le soir, à l'effrayer par une série de miaulements savamment imités: le jeune espiègle, qui se nommait Lavigerie, est devenu cardinal et primat d'Afrique.
Après le départ des Dominicains, on installa dans le couvent des Carmes le séminaire universitaire puis, en 1875, on y installa l'Institut catholique qui, grâce à ses éminents directeurs, a su conquérir une réputation mondiale de science et de piété.

                                                                                                                  Tournal de Mauclair.

Le Magasin pittoresque, 1913.

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