Accordailles rustiques.
L'homme, Célestin Rondot, dit Le Rat, à cause de son avarice sordide, était mort l'automne précédent, d'un accident provoqué justement par son vice. En effet, pendant le battage, craignant de laisser perdre le moindre grain, il s'était mis à fureter dans tous les interstices, fourrant sa main jusqu'autour des coussinets, où tourne l'axe des rouages et des volants. Aussi la batteuse lui avait happé cette main, la tranchant net au poignet.
Deux mois après, on l'avait mis en terre, victime encore moins de sa blessure mal soignée que du regret de voir partir son bel argent à payer les journaliers, pris nécessairement pour achever le travail toujours pressant de l'arrière-saison.
Sa veuve et sa fille, dès le printemps, voulurent seules suffirent à la tâche: de grand matin, trimant, suant, par les champs, ne prenant même plus le temps de cuire des aliments, nourries de pain dur et de fruits secs. Mais, vers la fin de l'été, toutes deux terrassées, n'en pouvant plus, elles durent songer à nouveau à prendre des ouvriers. La mère, qui, tout en traînant sa fatigue sur la glèbe, avait ruminé cent projets, dit un beau jour à sa fille:
- Victorine, j'ai réfléchi à une chose: te voilà sur tes dix-huit ans! si tu te trouvais un homme, nous aurions moins de mal, tout en nous passant des journaliers, qu'en dis-tu?
- Je veux bien. Ça serait tout de même plus commode!
Voilà donc la mère en campagne, vainement d'ailleurs. Elle eut beau faire le tour du village, nul ne voulait s'empêtrer d'une souillon imbécile, dominée par une vieille acariâtre et avare. Un seul n'avait dit ni oui, ni non, à cause de l'argent, mais il était pris par le service militaire.
Désespérées et hâves, on les vit encore, tout l'automne, accouplées à leur labeur de galériennes.
Mais, vers décembre, arriva d'un hameau voisin un gars qui avait entendu parler des enquêtes matrimoniales de la vieille, et se disait disposé à tout.
La mère réfléchit un instant. Elle le trouvait à point. Sa figure niaise indiquait une nature veule de bête de somme prête au joug; la force et l'endurance de ses vingt-cinq ans assurait un rude travailleur. Elle allait donner son consentement au marché, quand sa ladrerie, comme ces bulles qui remontent brusquement à la surface des mares, creva soudain en ces mémorables paroles:
- Ben oui! ça irait assez, mais c'est que maintenant tout est fini par les champs. Vous repasserez au printemps. Nous n'avons pas besoin de nourrir un homme à rien faire, tout cet hiver!
Charles Dornier*.
Le Magasin pittoresque, 1913.
* Nota de Célestin Mira: Charles Dornier (1873-1954), est un poète et un romancier, originaire de Franche-Comté. Une rue de Besançon porte son nom. Il fut professeur de lettres au Lycée Henri IV.
Pour la petite histoire, il a écrit un hymne à la Comté, oublié de nos jours.
Paroles de Charles Dornier. |
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