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mercredi 6 juillet 2016

Le château natal de la Montespan.

Le château natal de la Montespan.


On a mis en vente, il y a peu de temps, le château natal de la Montespan. A l'évocation de ce nom célèbre, tout un monde disparu ressuscite, le grand roi, la cour de Versailles, Marly, les fêtes prestigieuses, la magnificence d'une époque peut être unique dans les annales, malgré ses défauts et ses faiblesses, où la favorite de Louis XIV tint l'une des premières places.
Ce qui ne serait qu'un fait divers capable d'intéresser les marchands et les acquéreurs de biens, devient ainsi presque un événement. Car le triomphe et le faste insolent de "l'altière Vasthi", ses sacrilèges, puis sa disgrâce, sa fin pénitente et lamentable, forment un ensemble splendide, effroyable et touchant à la fois, dont l'intérêt ne se périme point.
Françoise-Diane-Athénaïs de Rochechouart de Mortemart, dite Mlle de Tonnay-Charente, fille de Gabriel, duc de Mortemart, premier gentilhomme de la Chambre, gouverneur de Paris, et de Diane de Grandseigne, naquit en 1641 au château de Tonnay-Charente, qui appartenait à la famille depuis 1494. Aimery IV de Mortemart ayant épousé Jeanne de Rochechouart-Pontville, fille du seigneur de Tonnay-Charente, avait échangé avec son beau-père cette châtellenie contre la seigneurie non lointaine de Mauzé.
Françoise eut un frère, le duc de Vivonne, et deux soeurs, la marquise de Thianges et l'abbesse de Fontevrault. A tous les quatre, on reconnaissait, avec la beauté de leur figure, cette vivacité de l'intelligence et ce don de l'ironie que l'on a appelés l'esprit des Mortemart, mais qui existait bien avant eux et dont ils héritèrent, comme le nom, l'influence et les honneurs.
L'abbesse de Fontevrault semble leur avoir été supérieure par sa dignité, sa science et une admirable noblesse de traits. Françoise fut, pour son malheur, plus brillante, plus amie du luxe et de la parure. Sa jeunesse ne faisait pourtant prévoir en rien le reste de sa vie.
Après avoir passé ses premières années à Tonnay-Charente, ou dans les autres châteaux de sa famille, elle fut envoyée au couvent de Sainte-Marie, à Saintes où elle reçut une sérieuse éducation.
Au sortir du couvent, Françoise, se souvenant des leçons qu'elle y avait entendue, aimait, dit-on, à donner sa protection comme marraine aux nouveaux-nés de l'endroit, et les archives locales gardent des traces de ces témoignages de bienveillance. Elle signait alors Françoise de Rochechouart, ne devant préférer qu'à l'époque de sa toute-puissance ce prénom quelque peu païen et voluptueux d'Athénaïs.
Un peu plus tard, son père l'emmena à Paris. A l'âge de vingt-deux ans elle épousa Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan, gentilhomme d'une très vielle lignée, mais dénué de sens moral et extravagant. Quelque temps après son mariage, elle devint dame du palais de la reine. Sa beauté surprenante, dont M. de Noailles a laissé un si élogieux portrait, la mit tout de suite au premier rang.
" La nature, dit M. de Noailles, avait prodigué tout ses dons à Mme de Montespan; des flots de cheveux blonds, des yeux bleus ravissants avec des sourcils plus foncés, qui unissaient la vivacité à la langueur, au teint d'une blancheur éblouissante, une de ces figures enfin qui éclairent les lieux où elles paraissent."




Cette beauté n'allait pas tarder à lui acquérir la faveur de Louis XIV.
Mais au faite des grandeurs, Athénaïs eut le tact de ne jamais oublier son pays natal. Elle aimait Tonnay-Charente qui lui rappelait tant de doux souvenirs, le vieux château où elle avait vu le jour, l'église Saint-Etienne où elle avait été baptisée, l'église des Capucins, fondée par son père et par sa mère. Elle n'employa pas moins de trois cent mille écus pour remettre en état le domaine paternel qui avait subi à maintes reprises les outrages des guerres, des sièges et de l'incendie. A l'église Saint-Etienne, elle fit des libéralités, et à celle des Capucins elle envoya un retable qui est un chef-d'oeuvre de sculpture. Il se trouve actuellement à l'église Saint-Etienne où il orne le maître autel.




Lorsqu'elle fut, pour ainsi dire, détrônée, et pour une compatriote, Mme de Maintenon étant elle-même d'origine saintongeaise, Mme de Montespan quitta Paris et revint à Tonnay-Charente d'où elle passa au manoir de Serre, en Angoumois.
C'est donc à l'air natal qu'elle vint demander un apaisement à son irritation et à sa douleur. Dans ses châteaux où elle avait été adulée, sans être enviée, car des cœurs sincères l'entouraient alors, elle pouvait, accoudée et rêveuse, à la balustrade, et promenant ses regards sur des paysages familiers, se croire encore du temps de sa jeunesse, se figurer que son mariage malheureux, la mort de quelques uns de ses enfants, l'ingratitude des autres, la méchanceté de ses obligés n'étaient qu'un cauchemar vite évanoui au souffle pur qui venait rafraîchir son front brûlant.
Le château où elle est née, et qui revient d'actualité par sa mise en vente, n'est plus qu'un débris de ce qu'il était jadis. une très curieuse gravure de 1560 le montre avec son immense donjon, ses douves, ses ponts-levis, son appareil de défense redoutable. Tout cela a disparu. Il ne reste qu'un bâtiment central, à un seul étage, le second ayant été détruit. Ce bâtiment relie entre elles, au nord et au sud, deux grosses tours. C'est dans celle du nord que la fameuse marquise est venue au monde. 




Tel qu'il est, cependant amoindri, délaissé, il forme encore une admirable résidence à cause du parc ombreux, du site, et de la vaste terrasse en hémicycle d'où l'on découvre un panorama d'une étendue extraordinaire. 
Combien de fois la Saintongeaise qui fut presque reine de France, attirée par la magie du spectacle, a-t-elle promené là ses pas?
Et c'est là que doit errer parfois encore, effleurant à peine le sable des allées, le fantôme de celle qui porta ce nom sonore comme une victoire et brutal comme une chute, la Montespan!

                                                                                                         Maurice Letellier.

Le Magasin pittoresque, 1913.

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