Le chien du chasseur.
Les physiologistes on décrit les chasseurs, depuis Nemrod jusqu'à M. Grévy; depuis Gérard, le tueur de lions, jusqu'au fanfaron, qui achète son gibier à la halle. Personne ne s'est occupé du chien, de ce compagnon fidèle, qui est le seul et véritable auteur des triomphes cynégétiques de son maître.
Cette abstention des écrivains de portraits s'explique facilement. Avant la grande extension du chemin de fer, on voyait peu le chien du chasseur. Il vivait à la campagne et ne sortait qu'au moment psychologique.
Aujourd'hui, le chien du chasseur jouit de la tolérance des Compagnies. On lui épargne le box dans le fourgon. Il voyage en première classe. A partir du 1er septembre, on n'est plus huit dans un compartiment de huit; on est quatorze, dont six chiens. Malheur au voyageur qui voyage sans chiens! C'est une victime. Le chien du chasseur qui s'ennuie contemple ce solitaire avec une curiosité de mauvais augure. Pour lui, c'est un intrus.
Rien n'est inquiétant pour un touriste comme un chien qu'on ne connaît pas, et avec lequel il faut vivre pendant plusieurs heures. La bête n'aime pas le railway; aussi s'agite-t-il avec impatience, grognant, flairant, haletant, tirant sur sa corde et ouvrant une gueule avide d'un gibier quelconque: à défaut de lapins, un mortel. Ajoutez que lorsque deux chiens se rencontrent dans un compartiment, ce qui est fréquent, puisque les chasseurs aiment à s'assembler, les banquettes, dessus et dessous, deviennent le théâtre de pugilats, sauts, bonds, culbutes, et autre ébats qui troublent profondément les âmes pures et méditatives.
Il devrait y avoir dans les trains de banlieue des wagons avec compartiments réservé pour "chiens seuls". On sépare les fumeurs, et cependant les fumeurs ne sentent pas plus mauvais que les chiens.
Au demeurant, le chien du chasseur est le meilleur enfant du monde. Il est intelligent, comprend à demi-mot, fait des prodiges et rapporte à son maître gloire et profit. Il devrait servir d'exemple et de leçon aux égoïstes. Il prend toute la peine et ne goûte aucun plaisir; il déniche le gibier et ne le mange pas. Il a pour devise de Sic vos non mobis de Virgile.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.
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