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dimanche 3 décembre 2017

Jean-Henri Fabre.

Jean-Henri Fabre.


Pour bien connaître le père Fabre, ainsi que les Sérignanais désignaient naguère l'illustre savant, il faut le voir dans le modeste domaine qui, situé à l'entrée du village vauclusien, est à la fois l'Eden des insectes et la résidence de leur Virgile.
La première rencontre, j'allais dire le premier choc, avec le naturaliste, surprend et déconcerte; Fabre n'a ni geste d'accueil, ni parole amène; analyste toujours, de ses prunelles brillantes il observe, examine, scrute.



Jean-Henri Fabre.

Si le visiteur à l'heur de le conquérir, il enlève le large chapeau de feutre noir comme vissé à sa tête; chez lui, la politesse banale prend l'allure d'un hommage.
Alors il témoigne vite de la confiante simplicité des êtres qui ont vécu sans se préoccuper des mesquineries d'une civilisation toute de façade.
Au sens ordinaire et mondain, rien de saillant dans sa longue existence, qu'un labeur obstiné a entièrement remplie.
Fabre n'a guère vu de rose que les bruyères de Saint-Léons, localité du haut Rouergue où il est né en 1823; ses parents, de rudes cultivateurs, arrachaient péniblement au sol aride le pain de la nichée.
Comment dans ce milieu d'ignorance et de gêne, s'éprit-il, dès l'enfance, des sciences naturelles? Il ne se l'explique point.
Mais il a, déclare-t-il, été entomologiste, étudiants papillons, chenilles, abeilles, vermisseaux, têtards, etc., à l'âge des jeux de balles et de billes.
Plaisamment, il conte ce qu'était en 1830 une école de hameau, énumère les attributions diverses de l'instituteur. Le malheureux cumulait les emplois d'horloger communal, de crieur public, chantre paroissial, sacristain, sonneur de cloches, secrétaire de mairie; ses élèves passaient au dernier rang de pareils soucis.
Si quelques-uns apprenaient à lire, tant mieux! ils y avaient mis de la bonne volonté.
Fabre, lui, ne tarda pas à déchiffrer l'alphabet, grâce à un livre orné d'illustrations que son père rapporta d'une foire. les initiales de reproduction d'animaux facilitèrent ce début.
- Les bêtes me favorisaient déjà, remarque-t-il; et il cite le commencement de leurs communes relations.
Dans l'une de ces promenades d'exploration chères aux enfants, au creux d'un rocher, l'écolier découvrit un nid renfermant six jolis œufs bleu pâle. Sans égard pour le père et la mère qui voletaient en jetant des cris plaintifs, il prit l'un des œufs, se réservant de venir s'emparer plus tard des oisillons.
La rencontre du vicaire modifia ce beau projet.
- Ah! tu as volé un œuf de saxicole! tu vas vite le remettre dans son nid...
Le petit Fabre, qui, d'ailleurs, obéit à l'abbé, retint surtout de sa remontrance le mot de saxicole.
"Tout comme nous, les bêtes ont des noms" songeait-il.
Un peu plus tard, le latin lui en révélait la signification: saxicole, habitant des rochers: "Ainsi, dit-il, naissait le vocabulaire qui devait un jour me permettre de saluer par leurs vrais noms les acteurs de la scène des champs, les mille fleurettes nous souriant au bord des sentiers."
Du village de Saint-Léons, Jean-Henri Fabre va à Rodez; les professeurs du petit séminaire, dont il sert la messe, l'admettent dans leurs classes, mais son invincible penchant vers la science entomologique l'empêche de profiter beaucoup de l'aubaine qui ne fut que momentanée.
Chez ses parents, la gêne était devenue de l'extrême misère: ils n'avaient plus que de quoi subvenir aux dépenses absolument nécessaires.
Alors commencèrent pour le jeune écolier des années d'études fantaisistes et vagabondes qui, fait extraordinaire, aboutirent à son admission à l'école normale d'Avignon.
Aujourd'hui, levant bien haut sa tête fine et intelligente, le savant célèbre peut nous dire:
"Je n'ai jamais eu de maîtres, et c'est tant mieux; ils auraient gâté ce qui était en moi."
La même idée, il la développe dans ses Souvenirs:
"L'étude solitaire a sa valeur: elle ne nous coule pas dans un monde officiel; elle laisse pleine originalité. Le fruit sauvage, s'il arrive à maturité, offre un mélange d'amertume et de douceur dont le mérite s'accroît par le contraste."
Maintenant, le voilà professeur à Carpentras en 1841. Que sera l'enseignement d'un tel maître?
La chose la plus intéressante et la plus originale du monde.
Quoique privé de ressources, loin de chercher les répétitions bien payées, il en prodigue de gratuites aux élèves doués et studieux, dans le but, il nous l'avoue, d'augmenter son bagage personnel de science.
"Je me suis instruit en instruisant les autres." Jamais il n'a perdu ni ne perd de vue la mystérieuse entomologie; mais il doit acheter la liberté des voies au milieu des insectes. A Carpentras, Fabre prépare examens et thèse de licence ès science; muni de ce nouveau diplôme, il est envoyé à Ajaccio. Son enthousiasme pour l'île de beauté est grand. Il en aime l'aspect étrange, le littoral abrupt couvert de coquillages bizarres, mais les fièvres du pays malsain l'obligent à fuir; le lycée d'Avignon le revoit malingre, besogneux, forcé de peiner davantage pour assurer le pain quotidien à sa femme et à ses enfants. Cette période douloureuse de la vie de Fabre fut illuminée par un rayon de faveur officielle. Tandis qu'il espérait retirer de sérieux bénéfices d'un procédé chimique de teinture, Victor Duruy, inspectant les établissements d'instruction du Combat, lui rendit la plus inattendue et la plus flatteuse des visites.
Le fils de l'ouvrier des Gobelins, qui fut un ministre éminent, apprécia les exceptionnelles facultés du fils des paysans aveyronnais. Bientôt le ruban rouge se noua à la boutonnière de J.-H. Fabre; mais de l'honneur, il ne battit pas monnaie. On était alors en 1863.
Son invention avait été nulle en résultats pratiques, et ses idées trop indépendantes mécontentaient de maladroits directeurs.
Heureusement la notoriété qu'il commençait à conquérir lui permit de vendre, à une maison d'édition, toute sorte d'ouvrages destinés à l'enseignement des enfants.
Enfin, après une station dans un faubourg d'Orange, Fabre réalise le rêve toujours caressé, toujours fuyant dans la nébulosité de l'avenir; il arrive à posséder l'Harmas de Sérignan: il lui avait fallu quarante ans de lutte pour obtenir ce laboratoire!



Entrée de l'Harmas de Sérignan. 

"Un peu tard, ô mes beaux insectes! s'écrie-t-il; je crains bien que la pêche me soit présentée alors que je n'ai plus de dents pour la manger."
Dans le midi, on appelle harmas un champ en friche; l'ancien professeur n'a point cultivé la petite étendue de terre située au sommet du coteau, en face du Ventoux, le géant provençal.
Il l'a entouré de murs, y a fait construire une habitation simple, gaie, rustique, et n'en est sorti que pour suivre les fuyards de l'Eden. s'ils s'éloignaient des touffes de thym, de lavande, des buissons de romarin, des plantes de serpolet, de sauge, des arbousiers, des pins, des tas de sable, de l'eau dormante, le tout disposé selon leurs goûts, leurs habitudes, leurs préférences, c'est que l'instinct commandait cette émigration.




Vue de l'Harmas de Sérignan. 

Le grand admirateur des insectes ne leur accorde pas autre chose que l'instinct, sens mystérieux, mobile naturel et immuable:
"L'instinct sait tout dans les voies invariables qui lui ont été tracées; il ignore tout en dehors de ces voies."
Superbe pensée de savant et de philosophe! D'ordinaire, les lecteurs profanes déclarent fort ennuyeux tout livre scientifique; les Souvenirs Entomologistes éveillent un intérêt que dix volumes n'épuisent pas. Avec Fabre, les scènes se renouvellent sans cesse: il y a de tendres idylles, de sublimes dévouements maternels, des amours tragiques, de terribles combats; tout cela dans le petit monde des hyménoptères, des scarabées, des locustes, des grillons, des vers luisants, qui vont, viennent, s'agitent, luttent et meurent comme menés par l'aimant de quelque baguette magique.
"Je n'ai fait qu'une incursion dans l'infini des connaissances entomologiques, conclut l'Ermite de Sérignan; d'autres continueront l'oeuvre ébauchée."
Mais la gloire du pionnier demeurera à J. H. Fabre. Maintenant au crépuscule d'une belle journée de Provence, entouré de ses enfants, il offre l'exemple de son admirable vieillesse fortifiée par la foi dans le réveil dans l'au-delà.

                                                                                                            B. d'Orsan.

Le Magasin pittoresque, 15 septembre 1913.

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