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mardi 3 octobre 2017

Sur les jouets nouveaux.

Sur les jouets nouveaux.


Ne croyez pas que ce soit un sujet frivole. Il a passionné de hauts esprits. Quelques savants se sont appliqués à suivre l'histoire du jouet à travers les âges et à en dégager la philosophie. Ils ont fait remarquer que le jeu, sous toutes ses formes, demeurait la passion favorite de l'humanité. L'homme joue, l'enfant joue. Mais ce qui chez l'homme est un délassement, est, chez l'enfant, un besoin essentiel. Pour tous deux, le jeu représente une des formes de l'instinct héréditaire...
L'enfant possède, en puissance, les qualités qui se développeront chez l'adulte. Il est appelé à travailler, à se mesurer avec ses semblables, obéissant aux lois de la concurrence vitale. Or, les jeux enfantins sont la parfaite image des labeurs futurs. L'enfant joue, comme l'homme travaille, dans le but de vaincre ses rivaux, d'arriver au premier rang. L'amour de la victoire suscite l'admiration; l'émulation engendre, selon les tempéraments, l'énergie, le courage, l'ardeur de bien faire, ou encore l'envie, l'orgueil et même, en certains cas, la férocité.
J'ai voulu, à l'occasion du 1er janvier, conduire les lecteurs des Annales dans le monde des jouets. Ils se trouvent exposés, en ce moment, à la devanture des petites baraques du boulevard... Pauvres baraques! Elles sont en butte, presque chaque année, à la sourde réalité des magasins. Les grands commerçants craignent la concurrence de ces boutiques improvisées. S'ils en avaient le pouvoir, ils les balayeraient sans miséricorde; ils leur interdiraient l'accès des voies publiques. Cependant, les baraques se font bien humbles, elles ménagent l'amour-propre de leurs superbes rivales:
- Qu'a-t-on à redouter de nous? A qui pouvons-nous porter ombrage? Est-ce à Boissier, à Marquis, aux célèbres confiseurs? Ils vendent des bonbons de luxe dans des boîtes de satin, à l'usage des millionnaires. Nous débitons aux grisettes et aux écoliers des pralines économiques et des débris de marrons glacés... Notre coutellerie à treize sous n'a pas la prétention de supplanter la coutellerie anglaise. Et nos objets d'art ne sauraient soutenir la comparaison avec ceux de Barbedienne. Qu'on nous laisse donc en paix gagner notre pauvre vie. L'hiver est si dur et les loyers si chers à Paris!
... J'avoue que ces plaintes me vont au cœur... Les boutiques m'inspirent de la considération, les baraques m'inspirent de la pitié. Ces marchands forains, campés dans les quartiers élégants me font l'effet de petits moineaux parisiens qui picorent sur la neige. Et je suis heureux qu'on leur abandonne quelques miettes...
Et si vous saviez combien leur existence est précaire, quelles lourdes charges leur incombent, eu égard à leurs modestes ressources! J'ai fait, hier, un bout de causerie avec une femme qui vend, à l'angle du faubourg Poisonnière et du boulevard Bonne-Nouvelle, les jouets d'actualité...
- Eh bien! comment marchent les affaires? Etes-vous contente?
- Couci, couça, monsieur... Le "Pégoud*" est bien parti et relève la moyenne. Le "Pégoud" est notre sauveur! Mais nous gagnons si peu sur chaque objet! ce que nous vendons vingt-neuf sous, nous le payons vingt-quatre. Cinq sous de bénéfice. C'est maigre. Retirez de cela nos frais de location, de déplacement, de nourriture. Qu'est-ce qui nous reste?...
- Mais vous vendez des bibelots inventés et fabriqués par vous-mêmes. Et dans ce cas vos profits sont meilleurs...
- On ne trouve pas toujours ce qui plait au public. Je sais bien que l'on cite en exemple ce serrurier de la rue Lafayette qui inventa la "Question romaine*" et qui gagna en son hiver 250.000 francs. Mais cela se passait il y a quarante ans. Maintenant les inventeurs sont trop nombreux et se bousculent les uns les autres...
- Alors vous n'avez rien trouvé personnellement pour les étrennes de 1914?
- Mon Dieu! je vais vous dire... Ce n'est pas moi ni mon mari qui nous mêlons de ces choses, c'est notre fils, un garçon capable et qui a de l'instruction. Et le pauvre petit vient de partir au régiment. Nous allons tâcher de vivoter jusqu'à son retour. Telle que vous me voyez, je rapporte chaque soir à la maison une pièce de trois francs. Avec ça on ne meurt pas de faim...
Et la commère rit d'un bon rire, d'un rire communicatif. Je suis tombé sur une marchande optimiste et qui envisage la vie sous ses bons côtés. N'est-ce pas le plus sûr moyen d'être heureux?...
Je ne sais si le musée Carnavalet possède une collection complète des petits jouets qui se sont vendus dans les rues de Paris depuis trois siècles... On y trouverait résumées l'histoire des mœurs, l'évolution des modes, et même l'influence des événements littéraires qui ont contribué à former le goût public.
Savez-vous à quelle époque fut fabriqué le premier pantin?
Ouvrez Le Mercure Galant de l'an de grâce 1760, vous y trouverez cette information:

"Dans le courant de décembre dernier, on a imaginé à Paris des joujoux qu'on appelle des pantins et qui, destinés d'abord à être donné en cadeaux, le 1er janvier, aux petit enfants, amusent, à présent, les grandes personnes. Ce sont des petites figures faites en carton dont les membres sont taillés séparément et attachés par des fils qui les font remuer et danser. Ces petites figures représentent un Arlequin, un Pierrot, un Scaramouche, et sont peintes, en conséquence, de toutes sortes de façons. Il y en a qui sont l'ouvrage d'excellents peintres, notamment de M. Boucher, un des fameux de l'Académie. On ne peut plus aller dans aucune maison qu'on en trouve de pendues à toutes les cheminées. Et ces bagatelles, qui se vendaient dans l'origine une livre six deniers, coûtent, à présent, jusqu'à quatre livres."
Un peu plus tard, la vogue fut à l'Emile. Jean-Jacques ayant déclaré que tout enfant devait apprendre un métier manuel, on débitait à tous les carrefours des boîtes à ouvrage de couture pour les filles et, pour les garçons, des outils de menuisier, de charron, de jardinier...
La Révolution éclate. Et l'on invente le ça ira, étrennes nationales (toupie ronde et tricolore montant, en ronflant, le long d'une ficelle); on fabrique des poupées coiffées "à la grecque" et "à la victime". Le présent le plus rare à offrir à un jeune homme élégant est un "jeu de bagues pour ses doigts de pieds". Chez les confiseurs, on choisit parmi les bonbons les plus demandés des "terroristes" à la vanille et des "émigrés" en chocolat.
Sous l'Empire, les joujoux prennent naturellement une physionomie belliqueuse. C'est la "Sentinelle en Armes", le "Cosaque", papillote à pétarade... Puis, on amène une girafe au Jardin des Plantes et, pendant un an, tout se fait à la girafe...
Je pourrais poursuivre l'énumération. Chaque époque dépose son empreinte sur les menus objets construits par le peuple et offerts au peuple. Ces objets ne se trouvent pas dans les riches magasins, mais dans le panier des camelots et dans les humbles cabanes, peintes en bleu, qui s'alignent du 20 décembre au 10 janvier, de la Madeleine à la Bastille.
Les baraques du boulevard sont le miroir de nos mœurs. Vous voyez bien qu'il faut les  protéger et les conserver.

                                                                                                              Le Bonhomme Chrysale.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 18 décembre 1913.

*Nota de Célestin Mira: J'imagine que le "Pégoud" est une figurine représentant le célèbre aviateur, Adolphe Pégoud, qui, entre autres looping, a réalisé le premier vol tête en bas à Juvisy-sur-Orge.
Quant à "la question romaine", j'ignore totalement ce que pouvait être ce jouet, ni s'il avait un quelconque rapport avec le conflit qui opposa le Vatican à l'Etat Italien.

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