M. Henri Chéron.
Père des soldats, terreurs des fournisseurs.
Père des soldats, terreurs des fournisseurs.
Vous vous rappelez, mes chers lecteurs, cet individu au col crasseux, que vous trouviez toujours devant vous, au collège, quand vous veniez de donner un coup de canif au règlement? Cet impitoyable représentant de la morale qui vous dégoûta de l'étude, ce Père Pensum solennel et affairé, éternel candidat à une vague agrégation, le pion, pour tout dire, dois-je l'avouer? chaque fois que j'entends parler de M. Henri Chéron, je me le représente sous la figure d'un de ces maussades gardiens de l'ordre.
Dès qu'il a été nommé sous-secrétaire d'Etat à la Guerre, M. Chéron a commencé à distribuer des pensums. Il se rendait à l'improviste et parfois la nuit, dans une caserne, et s'ingéniait à trouver quelqu'un en faute. Il a obtenu ainsi une certaine popularité, mais pas celle qu'il cherchait. Nos soldats ont trouvé que sa sollicitude devenait pesante.
Ces visites inopinées ont eu un autre inconvénient: des mystificateurs ont imité M. Chéron, dont la physionomie n'est pas encore aussi connue que celle du Petit Caporal l'était dans son armée.
Des casernes se sont ainsi ouvertes à des noctambules non officiels. Par contre, M. Chéron s'est vu ensuite tenu en respect par un planton, qui lui dit qu'on allait bien voir s'il était vraiment le sous-secrétaire d'Etat!
M. Chéron s'est alors replié dans son ministère. Ayant constaté que plusieurs employés ne venaient pas à leur bureau, il a décidé que tout le monde devrait signer à l'avenir, matin et soir, une feuille de présence. Il a même proposé de supprimer les emplois de ceux qui ne viennent pas, ce qui procurerait une grosse économie, car ce sont précisément les mieux payés.
Il a proposé encore la simplification des écritures et la suppression des pièces inutiles. Toutes ces naïvetés ont fait sourire le Ministre qui a renvoyé M. Chéron à ses chères garnisons.
Le sous-secrétaire d'Etat s'est avisé alors que la nourriture des troupes pourrait bien laisser à désirer. Et le voilà de nouveau parti à travers la France pour surveiller les fournitures. Son zèle est infatigable, et ses décisions sont promptes. Il vient à peine d'arriver à Reims qu'on le rencontre à Bordeaux. Lille applaudit encore à son dernier discours: on le signale à Toulon. Il est la providence des pioupious, la terreur des adjudicataires, le premier adjudant de France.
Il a fait étudier la composition d'un pain nouveau où il entrera de la vraie farine, et qui remplacera la boule de son. Ce n'est rien, mais il fallait y penser. M. Chéron pense à tout. Dernièrement, il était à Versailles pour assister à des livraisons de fourrages. Il fit dresser procès-verbal pour mauvaise fourniture. Les officiers de distribution étaient absents. Gare au zéro de conduite!
Il serait injuste pourtant de nier que l'activité de M. Chéron ne s'est pas dépensée en pure perte et qu'il a fait apporter d'heureuses améliorations au bien être du soldat.
Chemin faisant, M. Chéron remplit tout comme un autre ses devoirs de député. Il préside des comices agricoles et des concours de pompes et prononce des allocutions où il demande que tous les républicains fassent oeuvre de fraternité et pratiquent "une tolérance toujours plus large". Le mot a été dit à Saint-Denis. Il est piquant. Si l'Histoire retient le nom du terrible enquêteur, elle l’appellera: Chéron le tolérant.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 8 novembre 1908.
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