Mme Mathilde Serao.
Marcelle Tinayre, aimable dame qui professe le même dédain pour le cordon bleu et pour le cordon rouge, Marcelle Tinayre, vous avez une rivale. Je me trompe, vous avez des rivales dans tous les pays du monde. Ils en ont en Angleterre, des femmes de lettres, ils en ont en Allemagne, ils en ont même en Italie.
Mme Mathilde Serao, la plus heureuse des romancières italiennes, qui compte aujourd'hui cinquante-deux printemps, commença à vingt ans le métier de journaliste en écrivant au Capitaine Fracasse, de Rome, des chroniques qu'elle signait Chiquita.
Elle chassait de race. Son père était lui-même un journaliste et ses articles audacieux l'avaient fait proscrire par le gouvernement des Bourbons à Naples. Réfugié en Grèce, il avait épousé une Grecque de noble famille. Sa fille naquit dans ce pays, à Patras.
Le talent de Mlle Mathilde Serao plut à un journaliste du nom d'Edoardo Scarfoglio, et autre chose lui plut apparemment que son talent, puisqu'il en fit sa femme.
On verra comment cet homme imprévoyant fut récompensé de son choix.
En 1885, les époux Scarfoglio fondent à Rome le Courrier de Rome, qu'ils transportent deux ans plus tard à Naples et qu'ils baptisent le Courrier de Naples. Ils dirigent aussi en commun une revue hebdomadaire appelée le Matin. C'est l'époque bienheureuse de cette association sentimentale et commerciale. La concorde et l'harmonie la plus complète règnent dans la salle de rédaction qu'illumine une lune de miel épanouie.
De longues années s'écoulent dans cette union paisible au cours desquelles Mme Mathilde Serao publie des romans, des nouvelles, des récits de voyage. Sa verve est intarissable et son succès n'est pas mince.
Quelle folle gloriole saisit tout à coup le cerveau de cette dame? Quel besoin d'indépendance au bout de dix-huit ans d'association, la sépare brutalement de son mari et du Matin? Décidément les femmes de lettres sont encore plus agitées que leurs confrères masculins, et les complications qu'elles créent autour d'elles sont inattendues.
Que deux époux brisent leur union et s'en aillent vivre chacun chez soi, l'événement est banal. Mais on n'avait pas encore vu deux journaux concurrents, dirigés l'un par le mari, l'autre par la femme: c'est ce qui arriva quand Mme Mathilde Serao quitta le Matin pour fonder une feuille analogue.
Ce sont là des caprices que le public pardonne à ses enfants chéris. Mme Mathilde Serao est très aimée du public italien pour l'intérêt dramatique de ses romans, pour sa verve, et pour la vérité saisissante de ses tableaux, peut-être aussi pour son style, un peu abandonné, et au besoin incorrect. Le peuple aime à retrouver quelques unes de ses locutions dans les livres qu'on lui fait lire, il se fatigue vite d'un style soutenu et châtié: c'est une des causes de succès des auteurs médiocres.
Mme Mathilde Serao ne doit pourtant pas être confondue avec les auteurs médiocres. Elle s'éloigne d'eux par un certain art d'animer les masses et de peindre les scènes de la vie populaire. Elle s'en rapproche par les défauts de son style et par sa fécondité, ce don funeste à qui nous devons l'encombrement de nos librairies et nos indigestions mentales.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 20 septembre 1908.
Mme Mathilde Serao, la plus heureuse des romancières italiennes, qui compte aujourd'hui cinquante-deux printemps, commença à vingt ans le métier de journaliste en écrivant au Capitaine Fracasse, de Rome, des chroniques qu'elle signait Chiquita.
Elle chassait de race. Son père était lui-même un journaliste et ses articles audacieux l'avaient fait proscrire par le gouvernement des Bourbons à Naples. Réfugié en Grèce, il avait épousé une Grecque de noble famille. Sa fille naquit dans ce pays, à Patras.
Le talent de Mlle Mathilde Serao plut à un journaliste du nom d'Edoardo Scarfoglio, et autre chose lui plut apparemment que son talent, puisqu'il en fit sa femme.
On verra comment cet homme imprévoyant fut récompensé de son choix.
En 1885, les époux Scarfoglio fondent à Rome le Courrier de Rome, qu'ils transportent deux ans plus tard à Naples et qu'ils baptisent le Courrier de Naples. Ils dirigent aussi en commun une revue hebdomadaire appelée le Matin. C'est l'époque bienheureuse de cette association sentimentale et commerciale. La concorde et l'harmonie la plus complète règnent dans la salle de rédaction qu'illumine une lune de miel épanouie.
De longues années s'écoulent dans cette union paisible au cours desquelles Mme Mathilde Serao publie des romans, des nouvelles, des récits de voyage. Sa verve est intarissable et son succès n'est pas mince.
Quelle folle gloriole saisit tout à coup le cerveau de cette dame? Quel besoin d'indépendance au bout de dix-huit ans d'association, la sépare brutalement de son mari et du Matin? Décidément les femmes de lettres sont encore plus agitées que leurs confrères masculins, et les complications qu'elles créent autour d'elles sont inattendues.
Que deux époux brisent leur union et s'en aillent vivre chacun chez soi, l'événement est banal. Mais on n'avait pas encore vu deux journaux concurrents, dirigés l'un par le mari, l'autre par la femme: c'est ce qui arriva quand Mme Mathilde Serao quitta le Matin pour fonder une feuille analogue.
Ce sont là des caprices que le public pardonne à ses enfants chéris. Mme Mathilde Serao est très aimée du public italien pour l'intérêt dramatique de ses romans, pour sa verve, et pour la vérité saisissante de ses tableaux, peut-être aussi pour son style, un peu abandonné, et au besoin incorrect. Le peuple aime à retrouver quelques unes de ses locutions dans les livres qu'on lui fait lire, il se fatigue vite d'un style soutenu et châtié: c'est une des causes de succès des auteurs médiocres.
Mme Mathilde Serao ne doit pourtant pas être confondue avec les auteurs médiocres. Elle s'éloigne d'eux par un certain art d'animer les masses et de peindre les scènes de la vie populaire. Elle s'en rapproche par les défauts de son style et par sa fécondité, ce don funeste à qui nous devons l'encombrement de nos librairies et nos indigestions mentales.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 20 septembre 1908.
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