Le marché matrimonial en Angleterre.
Les Anglais, qui savent concilier l'instinct des affaires avec les sentiments de la plus délicate philanthropie, reconnaissent la nécessité de réorganiser le marché matrimonial de Londres.
L'éditeur de la Review of Reviews, qui désirait connaître à fond l'organisation et le fonctionnement de ce genre de commerce, a ouvert une de ces enquêtes privées que les directeurs des organes les plus importants de la presse anglaise entreprennent volontiers à leurs risques et périls. En voici les curieux résultats:
Je chargeai, dit M. Stead, l'une de mes collaboratrices de visiter toutes les agences matrimoniales de Londres en ayant soin de se présenter comme une jeune fille à la recherche d'un époux. Elle laissa, dans chacun de ces établissements, la petite annonce où elle faisant valoir ses mérites et ses charmes.
Cette première partie de l'expérience une fois terminée, je fis parvenir dans les mêmes conditions aux directeurs de toutes ces agences, dont je connaissais maintenant les tarifs, le prospectus d'un jeune homme à marier.
L'agence devrait rendre des services.
Toutes les lettres envoyées aux adresses indiquées dans ces deux annonces ont passé par mes mains, ajoute le directeur de la Review of Reviews, et, après en avoir pris connaissance, j'ai pu me faire une idée des services que pourrait rendre un bureau matrimonial honnêtement administré. Je suis absolument sûr qu'à l'époque où j'ai procédé à mon enquête, aucune des agences établies à Londres ne s'acquittait utilement de sa mission. Neuf fois sur dix la clientèle de ces établissements ne cherche que des aventures ou ne voit dans le mariage qu'un moyen de se procurer de l'argent.
Pourtant, en lisant les lettres de ces isolés de l'un et de l'autre sexe qui voulait mettre fin à leur veuvage ou à leur célibat, j'ai été frappé, dit M. Stead, du ton d'indiscutable sincérité de quelques-uns de ces malheureux et j'ai été convaincu de l'urgente nécessité d'organiser une corporation de courtiers honnêtes et désintéressés qui seraient chargés du soin de négocier les transactions matrimoniales.
Il va de soi que, dans le monde où l'on vit du travail de ses mains, cette nouvelle catégorie d'intermédiaires rendrait peu de services. Aux champs et à l'usine, les jeunes gens de l'un et l'autre sexe n'ont pas besoin de recourir aux bons offices d'un courtier pour entrer en pourparlers matrimoniaux. Chacun des deux époux connait l'autre de longue date et l'a vu à l'oeuvre dans l'exercice de sa profession. Avant de devenir la femme d'un de ses camarades de travail, une jeune fille est pleinement édifiée sur les qualités et les défauts de l'homme dont elle va partager la destinée. Il n'est pas rare qu'elle fasse un choix déplorable, mais si elle épouse un paresseux, un prodigue ou un ivrogne, c'est en pleine connaissance de cause et elle n'est en réalité trompée que par ses propres illusions. Elle se figure qu'à force d'amour, elle ramènera son mari dans le droit chemin.
Si l'institution philanthropique et désintéressée ne peut rendre aucun service sérieux dans les champs ou à l'usine, est-il bien sûr qu'elle soit plus utile dans les salons? Une fille de lord disait récemment: "Pour faire une chasse au mari, je ne connais pas de meilleur terrain que le parquet d'une salle de bal." Cette parole d'une saveur toute anglo saxonne indique combien la compétition est ardente et animée. Dans les hautes sphères de l'aristocratie britannique, le mariage est à la fois une chasse et un marché, une chasse parce qu'il faut à une jeune fille des prodiges de flair et de très savantes manœuvres pour découvrir un soupirant dont les visées soient sérieuses., et un marché parce que les apports de diverse nature des deux futurs époux seront discutés pied à pied et pesés avec une balance de précision.
Les agences consciencieuses et désintéressées, dont il est question dans l'enquête ouverte, ne pourraient évidemment rendre que peu de services dans un milieu social où les dîners et les réceptions, les parties de plaisirs et les distractions mondaines sont exclusivement organisées pour fournir aux jeunes filles le moyen de trouver un mari.
Restent les innombrables isolés qui n'exercent pas de profession manuelle et n'ont pas une situation et un train de vie qui leur permettent d'aller dans le monde. Ces parias n'ont pas de marché matrimonial. Ils n'envient pas seulement le sort des privilégiés qui font la chasse à la dot ou la chasse au mari sur les parquets des salons ou sur les pelouses du lawn-tennis, mais encore ils ne peuvent se défendre d'une tristesse profonde en comparant leur existence condamnée aux horreurs de la solitude perpétuelle avec la destinée des ouvriers des champs et de la ville qui n'ont que l'embarras du choix.
En France, les célibataires du sexe masculin s'habituent en général avec tant de facilité au régime de l'indépendance qu'ils ne l'abandonnent pas sans regrets, tandis que, de leur côté les vieilles filles se résignent presque toujours assez facilement à leur sort. Ce goût pour la vie isolée est presque inconnu en Angleterre et nos voisins d'outre-Manche n'ont pas à se plaindre outre mesure, des conséquences d'un sentiment qui se traduit par un rapide accroissement de la population. Le royaume de Grande-Bretagne et d'Irlande est aujourd'hui le pays dont les habitants se multiplient le plus vite. Que serait-ce donc si toutes les bonnes volontés étaient utilisées et si tant de célibataires des deux sexes ne se voyaient pas dans la force de l'âge, condamnés à l'isolement à perpétuité.
Les agences consciencieuses et désintéressées, dont il est question dans l'enquête ouverte, ne pourraient évidemment rendre que peu de services dans un milieu social où les dîners et les réceptions, les parties de plaisirs et les distractions mondaines sont exclusivement organisées pour fournir aux jeunes filles le moyen de trouver un mari.
Restent les innombrables isolés qui n'exercent pas de profession manuelle et n'ont pas une situation et un train de vie qui leur permettent d'aller dans le monde. Ces parias n'ont pas de marché matrimonial. Ils n'envient pas seulement le sort des privilégiés qui font la chasse à la dot ou la chasse au mari sur les parquets des salons ou sur les pelouses du lawn-tennis, mais encore ils ne peuvent se défendre d'une tristesse profonde en comparant leur existence condamnée aux horreurs de la solitude perpétuelle avec la destinée des ouvriers des champs et de la ville qui n'ont que l'embarras du choix.
En France, les célibataires du sexe masculin s'habituent en général avec tant de facilité au régime de l'indépendance qu'ils ne l'abandonnent pas sans regrets, tandis que, de leur côté les vieilles filles se résignent presque toujours assez facilement à leur sort. Ce goût pour la vie isolée est presque inconnu en Angleterre et nos voisins d'outre-Manche n'ont pas à se plaindre outre mesure, des conséquences d'un sentiment qui se traduit par un rapide accroissement de la population. Le royaume de Grande-Bretagne et d'Irlande est aujourd'hui le pays dont les habitants se multiplient le plus vite. Que serait-ce donc si toutes les bonnes volontés étaient utilisées et si tant de célibataires des deux sexes ne se voyaient pas dans la force de l'âge, condamnés à l'isolement à perpétuité.
Que pensez-vous d'un "Marché matrimonial" en France?
A peine Mme Annie Swann avait-elle posé ce problème dans le Woman at home, que de toutes parts lui arrivaient des lettres de détresse. Un jeune homme qui avait sa famille dans l'Inde et était venu achever ses études en Angleterre, a passé deux années à Londres sans avoir l'occasion d'adresser la parole à une autre femme qu'à sa maîtresse d'hôtel. Mais c'est surtout du côté des célibataires du sexe féminin que retentissent les cris de désespoir. Aux yeux de toute fille d'Albion qui tient note de ses impressions quotidiennes sur un livret dont l'inviolabilité est protégée par une petite serrure, le dernier mot de l'isolement ici-bas est de ne pouvoir parler à aucun homme en l'appelant Harry, Dick, Tom ou Bob, et de ne connaître que des gens à qui elle est toujours obligée de donner la qualification cérémonieuse de Monsieur Un Tel.
Chacun voit le mal, mais le remède est à découvrir. Une société de philanthropes qui s'acquitterait à titre gratuit de la mission dont les agences patentées se chargent moyennant une assez large rémunération, ne rendrait probablement que de médiocres services. Si désintéressés que soient les intermédiaires, il paraît assez difficile qu'une jeune fille puisse, sans manquer aux règles les plus élémentaires de la réserve imposée à son sexe, donner un aperçu succinct de ses mérites et de ses charmes dans la petite note enregistrée sur le grand livre où chaque candidate au mariage inscrirait, par ordre de date, sa demande accompagnée de sa photographie. Pourtant qu'en pensent nos lectrices?
G. Labadie-Lagrave.
Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 16 août 1908.
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