La
mine des bons calembours.
Les
aïeux du calembour.
Qui
le croirait? Des ouvrages ont été publiés traitant tout entier des
calembours.
En
1630, Deveau de Caros fit paraître: L'histoire de ma mie (de
pain mollet) et, vers la même époque, le comte de Cramail
écrivit presque tout son volume des "Jeux de l'inconnu".
Mais
le maître des maîtres, le plus illustre des fabricants de
calembours fut le marquis de Bièvre.
M.
de Bièvre, né en 1747 et mort à Spa en 1789 était le petit fils
du premier chirurgien de Louis XIV. Dès 1770, il fit paraître La
lettre écrite à Mme la comtesse Tation par le sieur de Bois Flotté,
étudiant en droit (fil).
Cette
plaisanterie ayant obtenu beaucoup de succès, il continua par
l'Histoire de la Fée Lure et de l'Ange Lure et porta la
calembour jusque dans la tragédie en donnant un "Vercingétorix"
traité dans le même goût.
Citons,
au hasard, parmi ses saillies qui parfois étaient vraiment
spirituelles:
Le
chirurgien Darau venait d'inventer les bougies élastiques pour les
maladies de l'urètre. Une dame demanda à de Bièvre ce qu'était
Darau.
-
C'est, répondit-il, un homme qui prend nos vessies pour des
lanternes.
Lorsqu'on
lui annonça la mort du maréchal de Conflans, le marquis s'écria:
-
Fausse nouvelle!
On
lui fit remarquer que le fait était absolument certain.
-
Eh! je ne doute pas que cela soit vrai, mais ce qui l'est également,
c'est que voilà une nouvelle fosse à creuser,
c'est ce que je voulais dire.
Une
dame très bien peinte lui disait un jour qu'elle l'aimait follement.
-
Allons, madame, répliqua-t-il, parlez-moi sans fard!
Dans
une pièce de Pellerin, pauvre diable d'auteur, on entendit cet
hémistiche:
L'amour
a vaincu Loth.
-
Qu'il en donne une à l'auteur! s'écria le marquis.
Les
mots du grand peintre.
M.
de Bièvre avait un terrible concurrent dans le peintre Carle Vernet
dont les mots constitueraient un volume.
Un
jour, les deux calembouristes se trouvaient invités à dîner.
Au
moment où l'on apporte le pain:
-
Ah! monsieur Vernet, dit de Bièvre, voilà qui est bien peint.
-
Peuh! riposta le peintre, je ne vois là qu'une croûte.
Les
tragédies de la Révolution n'arrêtèrent pas les faiseurs de
calembours.
Le
journaliste Martainville d'opinion légitimiste très prononcée,
avait été traduit devant le tribunal révolutionnaire. Le
président, pour l'incriminer davantage, affectait de
l'appeler de Martainville. Celui-ci, impatienté,
lui dit:
-
Citoyen président, je suis ici pour qu'on me raccourcisse et non
pour qu'on m'allonge.
-
Eh bien, cria un jacobin du prétoire en accès de belle humeur,
qu'on l'élargisse!
Fouquier-Tinville
ne put s'empêcher de rire et le journaliste fut sauvé.
Terminons
en montrant que les hautes fonctions où la gravité habituelle de
certains personnages ne réussissent point toujours à tuer le
calembour.
Aux
premières années de l'Empire fut fondé par des savants le Club des
ânes. Chaque membre s'appelait membre âne et
portait en outre un nom particulier qui devait contenir le mot âne et
s'appliquer au personnage: c'est ainsi que Monge, dont la femme
s'appelait Lise, se nommait analyse; Chaptal, anagramme;
Larrey, anapeste; l'abbé Grégoire, fils de
Jean-Baptiste, anabaptiste; de Fontanes, grand maître de
l'Université, anathème.
La
maréchal Lannes occupait le fauteuil présidentiel. Un homme très
petit fut admis sous le nom de Basane, mais plusieurs
personnes illustres se virent refusées, faute d'un nom qui remplit
les conditions exigées par le règlement. On s'amuse comme on peut.
La
pape lui-même en dit!
Nous
nous en voudrions d'ailleurs d'oublier ce joli mot d'un souverain
pontife:
Le
pape Grégoire XVI se trouvait à une fenêtre du Vatican avec un de
ses cardinaux.
La
princesse X... vint à passer, rayonnante de beauté; le cardinal fit
remarquer à Sa Sainteté la belle croix d'or qui brillait au soleil
sur la gorge demie-nue de la dame.
-
E più bello il calvario che la croce! répondit le Saint-Père en
souriant.
(Le
calvaire est plus beau que la croix!)
Enfin,
pour clore, rappelons l'origine d'un surnom familier donné au
ministre Decazes.
Le
roi Louis XVIII se trouvait dans son cabinet de travail lorsqu'une
porte s'ouvrit derrière lui.
-
C'est vous, Zoé? fit le roi, croyant à l'entrée de Mme du Cayla.
Ce
n'était pas Zoé, mais Decazes qui venait soumettre au roi un
fastidieux travail.
Le
ministre fut légèrement interloqué et le roi assez déconfit.
Decazes
raconte l'histoire et ses collègues ne l'appelèrent plus que
Robinson (puisqu'il avait été cru Zoé)
Arrêtons-nous
ici, et que les amateurs de calembours se consolent du discrédit
tombé sur leur innocente distraction, en pensant qu'ils ont une
lignée de nobles aïeux.
Mon
Dimanche, revue populaire illustrée, 8 août 1908.
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