La crise de l'industrie automobile.
La semaine dernière, le Salon de l'Aéronautique nous amenait à constater le marasme de l'industrie si française de l'aviation qui ne reçoit plus aucune commande civile; il faut, aujourd'hui, constater que l'industrie, si florissante jadis, de l'automobile, subit une crise douloureuse.
Le bruit a couru que l'une de nos plus anciennes maisons allait fermer ses portes; qu'une autre, plus récente, mais encore d'une certaine notoriété, reportait ses paiements de deux mois en deux mois; que quantité d'autres firmes n'envisageaient pas sans effroi un avenir où les commandes vont se raréfiant. Et si l'on recherche la cause de ce malaise profond et grandissant, on arrive à constater que les clients nouveaux, les néophytes de l'automobilisme, se font de plus en plus rares. En Allemagne, en Angleterre, pour ne parler que de nos très proches voisins, il en va tout autrement. Les automobilistes s'y multiplient de façon prodigieuse, les usines n'arrivent pas à suffire.
Pourquoi ces divergences radicales, tout en faveur des étrangers?
Parce qu'en France, l'automobiliste n'a plus de bonnes routes pour circuler;
Parce qu'en France, l'automobiliste est écrasé sous le poids formidable des impôts directs et indirects;
Parce qu'en France, l'automobiliste n'a pas le droit de circuler, aucune loi de circulation des automobiles n'ayant vu le jour, et les tribunaux étant toujours décidés à le traiter en ennemi;
Parce qu'en France, loin d'être encouragé, pour favoriser en lui le développement d'une industrie, l'automobiliste est en butte aux plus sottes et aux plus odieuses vexations.
Je reviendrai à l'occasion sur tous ces points: aujourd'hui, de ces vexations, je tiens à donner une preuve aussi autorisée que "littéraire", en passant la plume à l'auteur de Pelléas et Mélisande. M. Mæterlinck va nous démontrer avec esprit tout l'odieux de ce moyen de basse police qui a un nom "la contravention en vol". Voici un extrait de lettre:
"Il paraît donc que le 6 septembre dernier, aux Thilliers-en Vexin (Eure), j'ai, au dire du Pandore, "entre deux points préalablement repérés et situés partie en rase campagne et partie dans une agglomération" dépassé la vitesse permise.
"J'avoue que ce "partie située en rase campagne" ouvre la porte à tous les rêves! Par quels calculs compliqués ce Pandore-Inaudi est-il parvenu à déduire du chemin parcouru dans l'agglomération le chemin parcouru en rase campagne où la vitesse n'est pas limitée? C'est ce que je ne me charge pas d'expliquer.
"Inutile de vous dire qu'au moment où je transgressais ainsi, à mon insu, les lois de la grand'route, je n'ai pas aperçu le moindre gendarme, sinon j'eusse très docilement "obtempéré" aux ordres de l'autorité et peut être ne m'eût-il pas été difficile de me justifier.
"D'autre part, comme je faisais remarquer au commissaire de police qui, il y a huit jours (près de trois mois après le crime!), me convoquant à son bureau, que je croyais la contravention au vol définitivement abolie, il m'a très obligeamment expliqué qu'il n'y a, à proprement parler, "contravention au vol" que lorsqu'on est condamné sans avoir été entendu, sans avoir été avisé de la plainte ou du délit.
"Dès lors, il n'y avait plus rien à dire. Il n'y avait plus qu'à laisser faire le destin, car à quoi bon lutter contre des forces qu'on ne peut pas comprendre?"
Maurice Mæterlinck.
Et voilà comment la richesse industrielle de la France est compromise.
Jean du Taillis.
Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 14 décembre 1913.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire