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jeudi 12 octobre 2017

Ceux de qui on parle.

M. Légitimus, nègre et député.

Je n'ai pas, je vous assure, de préjugés de couleur. A voir les procédés perfectionnés employés par les blancs pour se massacrer ou pour se voler, je suis même tenté d'éprouver quelque sympathie pour la façon beaucoup plus simple avec laquelle les nègres arrivent au même résultat. Mais ce qui m'a toujours paru irrésistiblement comique, c'est leur politique. Tout ce qu'il y a de noble dans les actes d'un homme qui se dévoue tout entier aux intérêt de son pays, le désintéressement, l'abnégation de ces homme d'Etat que leurs mérites désignent seuls aux suffrages des électeurs, ces hautes vertus qui font que nos députés, nos sénateurs, et nos ministres bien-aimés ont si justement et si profondément vénérés, les noirs les ignorent totalement.
Pour ces esprits simplistes, être député, cela consiste à se promener les mains dans les poches ou dans les poches de ses concitoyens.
M. Légitimus ne pense point autrement. Affligé d'un nom qui ferait croire qu'il s'est échappé d'une galerie du Muséum, ce remarquable échantillon de la race guadeloupéenne s'est dit qu'au Palais-Bourbon où toutes les nuances sont représentées, la sienne ne manquerait assurément pas de produire son petit effet. C'est ainsi qu'on a pu, pendant quatre ans, contempler à Paris la silhouette fine, la face arrondie et le teint couleur brou de noix de M. Légitimus le câpre (c'est le nom qu'on donne aux produits de l'union du sang nègre et du sang mulâtre.)




Après cette première apparition au Parlement où son rôle fut tout à fait effacé, M. Légitimus se reposa, toute la législature suivante, il l'employa à méditer sur les moyens les plus avantageux de s'occuper des affaires publiques.
En 1906, il fut réélu député.
Il a couru au sujet de son élection des bruits de fraude. Ce n'est pas pour nous étonner. Il faudrait être ridiculement pointilleux pour demander que ces sortes d'opérations se passent plus régulièrement aux Antilles qu'en France, où les élections annulées ne sont pas rares.
Mais le bon nègre ne brouille pas seulement les bulletins de vote. Nommé par ses amis, d'aussi digne réputation, maire de Pointe-à-Pitre, il a trouvé bon d'arrondir les quinze mille francs qu'il empoche à la Chambre en puisant dans la caisse de la commune. Des dénonciations étant parvenues au gouverneur de la Guadeloupe, on demanda des comptes à M. Légitimus qui répondit avec un bon rire:
- Moi pas seulement maire. Moi aussi député! moi aller voter et revenir à Pointe-à-Pitre quand petits ennuis terminés.
Depuis lors, on n'a plus revu M. Légitimus et, de Paris aux Antilles, on se demande où ce représentant de la Nation peut bien exercer ses fonctions. A en croire certaines rumeurs, il se serait réfugié dans les bois qui couvrent les mornes ou élévation de terre, dans l'intérieur de l'île. Ce député filant dans la forêt comme un simple lapin manque vraiment de prestige.
Des poursuites sont aujourd'hui exercées contre lui. Il a changé son mandat de député contre un mandat d'amener. Les juges auront-ils égard à la situation qu'il a occupé dans la République? S'ils sont accessibles à l'indulgence, ils pourront tenir compte de la ponctualité avec laquelle, grâce au concours d'un de ses amis, il n'a pas cessé, qu'il fût à Pointe-à-Pitre ou caché dans les mornes, de prendre part à tous les scrutins. Ce qui fait toute la force de nos institutions, c'est qu'il suffit d'une dizaine de voix de nègres concussionnaires et tapis dans la brousse pour décider des réformes les plus graves.

                                                                                                    Jean-Louis.

Mon dimanche, revue populaire illustrée, 27 septembre 1908.

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