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jeudi 12 octobre 2017

On a volé le cœur des rois.

On a volé le cœur des rois.

Personne n'a oublié les détournements commis, au préjudice de l'Etat, non par de vulgaires cambrioleurs, mais par un individu, dont "l'honorabilité" fut longtemps indiscutée, et à qui ses titres d'architecte du gouvernement et de Grand Prix de Rome ouvraient des portes absolument closes à la masse. L'opinion publique s'est émue de ces pillages commis par celui-là même qui avait mission de veiller sur nos collections. Mais les vols de l'architecte Th... sont peu de choses comparés à l'extraordinaire vandalisme, dont se rendit coupable, il y a quelque cent quinze ans l'architecte Petit-Radel, dont voici la curieuse histoire:

A l'époque de la Révolution, la fureur iconoclaste du populaire aboutit à la destruction des monuments funéraires qui peuplaient les caveaux de certains monument tels que le Val-de-Grâce, Saint-Denis et l'église des Grands-Jésuites de la rue Saint-Antoine.
Un architecte, nommé Petit-Radel, fut commis à la surveillance de l'opération, il convia deux peintres de ses amis, Saint-Martin et Droling et tous trois descendirent dans les caveaux où, dans des urnes, reposaient les cœurs de certains rois et de membres de la famille royale.
Droling et Saint-Martin étaient tous deux désireux de se procurer de la momie, couleur brune se composant d'aromates provenant des corps embaumés. Cette substance, vendue très chère par des droguistes orientaux, était en outre difficile à se procurer; l'occasion était tentante.
Petit-Radel se prêta à merveille à la combinaison et vendit à Saint-Martin les cœurs de Louis XIII et de Louis XIV.
Droling, dont on peut admirer les œuvres au musée du Louvre, qui peignait des clairs-obscurs à la manière flamande et employait beaucoup de momies se rendit acquéreur de onze cœurs au nombre desquels ceux d'Anne d'Autriche, de Marie Thérèse, du Régent, de Gaston d'Orléans, de Mme Henriette et de la duchesse de Montpensier. Le tout fut mis en tube et employé selon les besoins.
Saint-Martin, lui, fut pris de scrupules, et se contenta d'entamer le cœur de Louis XIV.
A la vente des collections de l'architecte, en 1819, un amateur de bibelots, nommé Schunctz, acheta une plaque de cuivre gravée provenant de l'urne ayant contenu le cœur de Louis XIV.
Voulant reconstituer l'histoire de sa plaque, Schunctz se fit présenter à Saint-Martin qu'il savait ami de Petit-Radel, et qui, après bien des réticences, finit par dévoiler le pot aux roses et remit à Louis XVIII le cœur de Louis XIII intact, encore entouré de ses bandelettes et de sa médaille d'authenticité, ainsi que la partie subsistante du cœur de Louis XIV.
Le cœur de Louis XIII est actuellement à Saint-Denis, dans l'Armoire des cœurs, quant à celui de Louis XIV on ignore ce qu'il est devenu.
Il est fort probable que son authenticité ne pouvant plus être constaté, il ne figure pas dans la boîte portant le nom du Roi-Soleil.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 27 septembre 1908.

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