La tour Eiffel.
Nos lecteurs parisiens sont déjà familiarisés avec cette gigantesque construction, dont les assises dominent déjà tout Paris. Vus du jardins du Trocadéro, les quatre énormes piliers métalliques ce cinquante-cinq mètres de hauteur, dont l'effrayante inclinaison paraît être le dernier mot de la témérité architecturale, ressemblent à quelque fabuleuse carcasse d'animal antédiluvien; et lorsqu'on s'en approche, l'immense charpente de fer paraît plus colossale encore, dominant en plein milieu ce que fut le jardin de l'Exposition de 1878, écrasant de ses sabots de maçonnerie les pelouses disparues, comblant les lacs où nageaient les cygnes... tandis que le long des palissades qui clôturent le chantier, les curieux se pressent en foule, échangeant leurs impressions.
Entrons: une simple barrière franchie, nous sommes dans le domaine concédé à M. Eiffel. Devant nous se dresse le fameux échafaudage central, dont la base couvre environ neuf cents mètre de surface. Aux angles du chantier, les quatre piliers de fer semblent devoir se renverser. Là-haut les ouvriers travaillent à grands coups de marteau; c'est comme la nef d'une gare de géants, coupés d'escaliers suspendus, de ponts volants..., les câbles d'acier manœuvrent, montant les pièces vers les sommets, ou, fixes croisent leurs courbes gracieuses de fils aériens; des passerelles jetées dans le vide, filent droit, très haut, et tout ce fer, sous le ciel brumeux de février, découpe une architecture légère, "une dentelle compliquée où passe le jour, la réalisation moderne d'un palais de rêve, d'une Babel entassant les étages, ouvrant des échappées sur d'autres étages, à l'infini."
On comprend que la moindre irrégularité dans la construction, la plus petite erreur de calcul, pouvaient avoir pour conséquence une différence appréciable de niveau entre le sommet des quatre piliers, éloignés l'un de l'autre de cent vingt-cinq mètres, et faire pencher plus ou moins la tour.
On a prévu cet inconvénient en réservant la possibilité de faire jouer au dernier moment, et le tablier central, et les piles elles-mêmes.
Oui, quelque invraisemblable que cela paraisse, on pourra, s'il en est besoin, imprimer un mouvement sensible à ces quatre gigantesques piliers si hardiment inclinée dans l'espace. Et, dans la visite du chantier Eiffel, ce qui frappe le plus, ce n'est pas la vertigineuse hauteur des échafaudages, ni les dimensions inusitées des poutres de fer, c'est une petite pompe, n'occupant pas même la surface d'un mètre carré, reliée à un cylindre de soixante centimètre de diamètre par un tuyau à peine gros comme le doigt, et qui va se perdre sous le sabot d'une des piles.
Déjà, il y a quelques jours, deux ouvriers ont pu, à l'aide de cette pompe, soulever de quelques centimètres l'énorme masse métallique que forme un des pieds de la tour; rien n'est plus imposant que la faiblesse apparente de l'appareil employé, eu égard à la grandeur du résultat.
Et, la tour ainsi équilibrée, reprend vers le ciel son ascension; et bientôt les Parisiens pourront, sans sortir de leur ville, contempler un panorama qui s'étendra de Compiègne à Fontainebleau. Un jet lumineux projeté du haut de la tour Eiffel parcourrait en effet une circonférence de soixante-cinq kilomètres de rayon, et, pour ajouter notre modeste contingent aux nombreux calculs et hypothèses de toute sorte auxquels sa construction a déjà donné lieu, disons qu'un ascensionniste mettrait près d'une heure à gravir les quinze cents marches de ce phénoménal immeuble, haut de soixante quinze étages ordinaires. Une balle, qu'un homme d'une force moyenne, placé au niveau du sol, lancerait à vingt mètres, irait, jetée du haut de la tour, tomber sans plus d'élan, à quatre-vingt huit mètres de son point de départ.
Hâtons-nous de dire que l'expérience ne sera point à tenter, et risquerait d'être peu agréable aux curieux qui stationneraient au pied de la tour; car, une plume métallique pesant un gramme, tombant, dans le vide, il est vrai, de trois cents mètres de hauteur, mettrait à parcourir cette distance, environ huit secondes; son poids, en arrivant au sol, serait de quinze grammes, et sa vitesse de soixante-dix sept mètres à la seconde; ce qui revient à dire que cet engin, réputé jusqu'ici inoffensif, à ce point de vue du moins, pourrait presque assommer un homme. Ajoutons, enfin, que la tour croîtra de quatre millimètres par degré de chaleur et que, par une température de soixante degrés, elle atteindrait la hauteur de trois cents mètres, vingt-deux centimètres.
Le petit Moniteur illustré, 17 février 1889.
Hâtons-nous de dire que l'expérience ne sera point à tenter, et risquerait d'être peu agréable aux curieux qui stationneraient au pied de la tour; car, une plume métallique pesant un gramme, tombant, dans le vide, il est vrai, de trois cents mètres de hauteur, mettrait à parcourir cette distance, environ huit secondes; son poids, en arrivant au sol, serait de quinze grammes, et sa vitesse de soixante-dix sept mètres à la seconde; ce qui revient à dire que cet engin, réputé jusqu'ici inoffensif, à ce point de vue du moins, pourrait presque assommer un homme. Ajoutons, enfin, que la tour croîtra de quatre millimètres par degré de chaleur et que, par une température de soixante degrés, elle atteindrait la hauteur de trois cents mètres, vingt-deux centimètres.
Le petit Moniteur illustré, 17 février 1889.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire