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samedi 21 octobre 2017

Ceux de qui on parle.

Pierre Mille, providence des nègres.

Après avoir fait ses études au collège Rollin, M. Pierre Mille entreprit la conquête de deux diplômes: celui de l'Ecole des sciences politiques et celui de la licence en droit. Il obtint ses parchemins.
Mais il s'aperçut bientôt qu'on lui avait vendu fort cher une marchandise dépréciée et absolument inutilisable. A telle enseigne que, voulant un jour transcrire des vers qu'une inspiration subite lui soufflait, il ne put même pas tracer une lettre sur ses peaux d'âne.
M. Pierre Mille déchira ses diplômes et fit du journalisme. Il eut la chance d'être présenté à M. Hébrard, le directeur du Temps, qui lui demanda s'il savait l'anglais. Pressentant avec beaucoup de bon sens que cette question avait un but, M. Mille répondit qu'il savait l'anglais. Or, M. Mille était licencié en droit, il était diplômé de l'Ecole des Sciences politiques, mais il ne savait pas l'anglais. Il le sait à présent, parce que M. Hébrard l'envoya à Londres comme correspondant du Temps et qu'il eut l'excellente idée de profiter de son séjour dans cette ville pour en apprendre la langue. Je vous raconte cette histoire en cachette. Il ne faut pas que M. Hébrard se doute qu'il a eu un correspondant anglais qui ne savait pas l'anglais et qui l'a appris à ses frais. Que deviendrait le prestige du Temps?
M. Pierre Mille avait alors vingt-cinq ans. Il revint au bout de trois ans et entra au Journal des Débats où il rédigea des articles sur la politique intérieure. Cette fonction l'intéressait peu, mais elle le nourrissait, et ce n'est pas sans inquiétudes qu'il se vit obligé par les circonstances, au bout de quelques mois, de quitter les Débats.
Madagascar venait d'être conquise. Il réussit à se faire admettre comme chef de cabinet du secrétariat général de la nouvelle colonie. Il partit un peu anxieux, car il n'avait pas encore été chef de cabinet, un peu fier aussi. Il fut vite rassuré: le secrétaire général et le gouverneur étaient brouillés de sorte qu'aucun travail utile n'était confié au secrétariat. M. Mille comprit avec sa perspicacité native que le moyen le plus sûr de rester à son poste était de faire en sorte qu'on l'oublie.
Pendant les deux années qu'il passa à Madagascar, il étudia seulement deux questions: celle de la contrebande de guerre et une autre un peu plus spéciale à laquelle M. Mille n'était point préparé: celle des vidanges de Tananarive.




Mais ce n'est pas la seule surprise que lui ménageaient ses fonctions. Un jour, il dut, lui qui n'avait pas fait de service militaire, se mettre à la tête d'un détachement de treize hommes pour repousser une attaque de Hovas. M. Mille est un de ces hommes qu'on ne prend jamais au dépourvu.
Il ne revint de Madagascar que pour repartir en Grèce, puis au Soudan, au Congo belge, en Palestine, où l'envoyèrent tantôt le Journal des Débats, tantôt le Temps.
A l'Exposition universelle de 1900, il fut Commissaire de l'Exposition de l'Ouest-Africain, ce qui lui valut la croix de la légion d'honneur.
A la même époque, M. Hébrard découvrit que M. Mille pourrait faire autre chose que de la correspondance anglaise:
- Tu seras notre Mark Twain, s'écria-t-il, et il lui offrit la rubrique En passant où M. Mille put faire apprécier ses qualités d'écrivain et d'observateur.
Mais, avec la gloire, l'ambition est venue à M. Mille, il ne veut pas finir ses jours comme journaliste, ni même comme humoriste. Il sera désormais romancier et compte sur son dernier ouvrage: Quand Panurge ressuscita pour gravir les premiers échelons de la nouvelle célébrité qu'il convoite.
Si M. Mille réussira dans le roman, je l'ignore. Mais ce n'est pas un homme à faire fausse route et à publier des livres qu'on ne lit point. Il se résignerait plutôt à refaire de la sociologie et à entrer à l'Académie des Sciences morales et politiques.

                                                                                                                    Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 25 octobre 1908.

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