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dimanche 1 octobre 2017

La Joconde.

La Joconde.

La Joconde est retrouvée; et, avant peu, le temps de repasser les Alpes, elle aura retrouvé sa place au Musée du Louvre, dans ce Salon Carré, où son mystérieux sourire, ses yeux profonds soulevaient l'admiration, l'enthousiasme, et plus encore.
Elle nous revient, mais quel roman! Quelle fugue de Paris au Musée des Uffizzi, après son sacrilège emprisonnement de deux ans, dans le taudis d'un tâcheron étranger!
Car elle n'avait été dérobée ni par un passionné d'art, ni par un fervent de sa beauté pour la posséder à lui seul dans quelque musée secret, mais par un jeune Italien, Vincenzo Peruggia, assez longuement employé à la vitrerie du Musée, et qui ne l'aurait volée que pour se "venger des rapts de Napoléon" et la rendre à l'Italie. Il assure avoir agi avec une facilité stupéfiante.
"En rien de temps, j'eus décroché le tableau que je connaissais bien pour l'avoir mis sous glace, enlevé le cadre et pris le panneau que je cachai sous ma blouse, et m'en allait sans éveiller aucun soupçon."
Son récit est, d'ailleurs, plein d'obscurités et de contradictions. On ne le soupçonna pas; et cependant les empreintes relevées sur le cadre de La Joconde lui appartiendraient bien. Mais il se serait habilement dérobé aux investigations. Il aurait gardé le chef-d'oeuvre pendant deux ans. Puis, l'autre semaine, brusquement, il se rendait à Florence, s'abouchait avec un antiquaire, qui prévint aussitôt le directeur des Beaux-Arts de Rome. On l'attira au Musée des Uffizzi, où La Joconde fut identifiée pendant qu'on l'arrêtait lui-même, et cela à sa grande stupéfaction, car il affecte le patriotisme, patriotisme très mitigé, puisqu'il entendait tirer parti de son vol et s'assurer une fortune. Il joue aussi l'inconscience.
L'immortel chef-d'oeuvre reposait sous de vieux effets, dans une caisse à double fond. Il porte encore le cachet du Louvre et son numéro d'ordre.
Ceux qui l'ont identifié ne peuvent s'être trompés; et, d'ailleurs, M. Henry Marcel et l'un de ceux qui connaissent le mieux la Mona Lisa sont déjà à Florence et ils l'ont identifiée à leur tour. Car les fausses Joconde courent le monde, et l'une d'elle fit quelque bruit, que l'Anglais Rathborn voulut faire passer pour la vraie.
Le retour de La Joconde soulève autant d'enthousiasme que son départ provoqua de colère. M. Homolle et le pauvre Dujardin-Beaumetz en prirent, comme on dit, pour leur grade. Pendant plusieurs jours, la disparue eut partout la vedette: au théâtre, dans le journal; et sa photographie se vendit par milliers.



Dessin humoristique sur l'enlèvement de La Joconde, par Abel Faivre.
(publiés dans Le Figaro, en 1911)

Et comme tout, ici, finit par des refrains et des plaisanteries, la caricature et la chanson s'en emparèrent. Le bon poète Raoul Ponchon blagua son sourire; Dumeny parodia pour elle le "Carcassonne" de Nadaud:

J'ai vu Briand, Rostand, la brosse
A dents de Pelletan... J'ai vu
Le Lot, le Cantal, la Gironde,
Un sauvage d'Hononulu:
Je n'ai jamais vu La Joconde!

Un autre parodia Le Vase Brisé:

On l'a volée, ne cherchez pas!

On chansonna le directeur des Beaux-Arts sur l'ai du Petit fromage Blanc:

C'est Lisa que j'vous ramène;

et celui de Tagliafico:

Songez un peu, si, ne la voyant pas,
Dujardin s'amusait d'aller perdre la boule!



Dessin humoristique sur l'enlèvement de La Joconde, par Abel Faivre.
(publié dans Le Figaro, en 1911)

On chansonna ses gardiens. On les caricatura surtout. Dans le sourire de La Joconde, Abel Faivre se montra impitoyable. Bons gardiens! Les voilà relevés de leur ridicule faction. Aujourd'hui, tout le monde, au Louvre, a le sourire, - et le vrai.

Les Annales politiques et littéraires, revue universelle paraissant le dimanche, 21 décembre 1913.

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