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lundi 30 octobre 2017

Ceux de qui on parle.

M. Chauchard, "Articles de Paris".


M. Chauchard est l'un des rares millionnaires que la France s'honore de compter parmi ses enfants. Aussi est-elle fière de lui et l'entoure-t-elle de toutes sortes d'attentions et de prévenances. M. Chauchard a reçu successivement tous les ordres de la Légion d'honneur, sans qu'on puisse donner de ces distinctions d'autres raisons que son grand âge et sa grosse fortune.
L'année dernière, il fut fait grand-croix, et, à cette occasion reçut à sa table dans sa villa de Longchamps, le Président de la République, son prédécesseur M. Loubet, l'ancien ministre Leygues, qui fréquente assez souvent chez M. Chauchard et des personnalités comme le général Brugère, le docteur Pozzi, M. Bonnat, etc. Toutes ces personnes qu'il n'est pas facile de déranger, s'étaient réunies non pas parce que M. Chauchard a plus d'honneur que le commun des mortels dans la proportion d'une cravate de grand-croix à une médaille de sauvetage, ce qui serait absurde, mais qu'il a beaucoup, beaucoup d'argent.




Il est évident qu'en s'abaissant ainsi à flatter la vanité d'un parvenu dont la mesquinerie est notoire, ces personnes de qualité escomptent la mort prochaine de M. Chauchard et espèrent voir attribuer par testament, qui au musée du Louvre, qui à l'Oeuvre de Bienfaisance qu'il patronne, une somme rondelette.
Mais M. Chauchard, narquois, s'entête à ne pas mourir et épuise tous les degrés de notre ordre national sans dévoiler ses intentions, si bien que le gouvernement commence à se demander avec inquiétude quelle distinction on pourra maintenant lui accorder.
Jean-Louis est un trop petit petit personnage pour être reçu a la table du Calicot National. Il peut donc, sans manquer aux lois de la délicatesse, dévoiler les modestes origines et les petites faiblesses de M. Chauchard.
Il y avait autrefois, rue Montesquieu trois magasins de nouveautés: le Coin de Rue, la Ville de Paris et le Pauvre Diable. M. Chauchard fut employé au Coin de Rue et au Pauvre Diable, M. Hériot à la Ville de Paris.
Un jour, tous deux quittèrent leurs patrons et s'associèrent pour fonder les Magasins du Louvre*, grâce à l'aide d'amis fortunés qui leur prêtèrent 250.000 francs.
Le propriétaire de l'immeuble où le nouveau magasin s'était installé était M. Péreire. Voyant l'affaire de MM. Hériot et Chauchard prospérer, il offrit spontanément de les commanditer.
Son concours favorisa le développement du Louvre et l'accroissement de la fortune de ses fondateurs.
Mais ce qui décupla cette fortune, ce fut une de ces extraordinaires chances qui permettent ce que les financiers appellent candidement d'heureux "coups de Bourse".
Afin d'augmenter le capital des magasins, on avait mis le Louvre en actions. Le trio Chauchard-Hériot-Péreire avait naturellement une bonne partie des actions.
Au moment précis où les bénéfices progressaient avec une rapidité inespérée, le bruit se répandit, venu on ne sait d'où, que l'entreprise périclitait. Le cours des actions baissa, des actionnaires inquiets vendirent leurs titres.
Il y eut ainsi des gens ruinés, au grand profit du trio Chauchard-Péreire-Hériot qui rachetait toutes les actions mises en vente et s'assurait la propriété du Louvre, les faveurs du Gouvernement et l'estime des honnêtes gens.
M. Chauchard habite avenue Velasquez, un hôtel magnifique.
Il est très coquet de sa personne, porte un corset et se fait émailler la figure.
Il a grand peur de mourir et ne voyage jamais, par crainte des accidents.
Il ne sort pas sans se faire accompagner par son médecin.
Il achète dans les ventes les tableaux de maîtres, quand ils atteignent des prix très élevés.
Il a fondé un prix annuel de trois mille francs décerné à la Société des gens de Lettres.
Il dépense sans compter quand il peut étaler publiquement sa magnificence, mais on dit qu'il est fort ladre et qu'il mesurait chichement à sa vieille mère les mensualités de trois cents francs qu'il lui octroyait alors qu'il vivait somptueusement en joyeuse compagnie.

                                                                                                                     Jean- Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 1er novembre 1908.

* Nota de célestin mira: 







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