Trévoux.
Trévoux, capitale, parlement et châtellenie de la principauté de Dombes, est bâtie sur le penchant d'une colline entre le Mâconnais et le Lyonnais. La Saône baigne sur toute cette rive les plaines fertiles de la Bresse, de ce département de l'Ain qui défend à la fois ses limites contre Lyon et contre Genève
La ville de Trévoux est très ancienne; il en est question dans l'Itinéraire d'Antonin, et c'est devant ses murs que Septime-Sévère remporta, contre son compétiteur Albinus, qu'il tua, la grande bataille de Trévoux, qui le fit plus réellement empereur que ses droits et le titre dont il était revêtu depuis quatre ans.
Bâtie à l'endroit même où l'un des grands chemins, qu'Agrippa avait fait établir dans les Gaules, se partageait en trois voies, la ville fut d'abord nommée Trivium ou Triviœ, puis par corruption on a dit et nous répétons encore aujourd'hui Trévoux.
Onze châtellenies se développaient autour de cette châtellenie principale, et résumaient toute la puissance du pays: c'étaient Beauregard, Montmerle, Toissey, Lent, Chalamont, Châtillon, Saint-Trivier, Villeneuve, Amberieu, Lignieu et Baneins.
De la domination romaine la principauté de Dombes passa sous la domination des Bourguignons, et fit partie de leur royaume. Elle fut reconnue absolument indépendante dès le temps du roi Philippe-Auguste; François 1er la confisqua pour la réunir à la couronne, et, dans la suite, Charles IX, l'abandonna à Louis de Bourbon, ne voulut en retenir autre chose que la bouche et les mains, c'est à dire le respect de la parole et le secours par les armes. Ainsi, sujets seulement d'hommage, ses princes, en véritables rois, établirent à Trévoux un parlement qui y rendait la justice sans appel; ils anoblirent et imposèrent les taxes à leur gré, et frappèrent monnaie à leur effigie. Ce dernier droit leur valut d'immenses richesses pendant tout le temps que dura le commerce des pièces de cinq sous et des sequins d'or avec le Levant. Les Vénitiens voulurent se plaindre de la fabrication des sequins au coin de saint Marc; mais il leur fut répondu que saint Marc était et demeurerait le patron de la ville libre de Trévoux, aussi bien qu'il l'était de Venise.
Le roi Louis XIV consacra de nouveau l'indépendance et les droits de Trévoux par des lettres patentes qui déclarent que "son souverain n'est point à son égard comme un vassal à l'égard de son seigneur, mais simplement comme un souverain à l'égard d'un plus puissant."
Le faible intérêt qu'inspire l'histoire particulière des princes de Trévoux ne s'accroît qu'à de bien rares intervalles de l'intérêt de quelques événements généraux auxquels ils ont été associés. On n'aime pas à les retrouver aussi complètement étrangers à leur propre fortune; il y a dans leur puissance quelque chose de trop octroyé par les rois, et leur résignation dans les mauvais jours est trop prompte et tient trop de la faiblesse. Ce qu'ils devaient à la couronne leur imposait le devoir de prendre une part réelle à ses luttes, et rien ne saurait les relever d'avoir manqué d'énergie avec leur terrible voisin, le puissant duché de Bourgogne, dont la fortune balança deux fois celle de la France, et l'inquiéta pendant un siècle. Toutes ces pages de leur histoire n'ont ni caractère ni couleur, et se confondent dans l'histoire même de la Bourgogne.
Trévoux est située au milieu de l'un des plus magnifiques et des meilleurs pays du royaume. A voir les bords de la Saône et la riche apparence des vastes vignobles qui s'étendent au-delà de Mâcon, à cette végétation puissante baignée par les flots purs d'un si beau fleuve, à tout ce littoral qui semble avoir été enlevé au paradis de nos premiers pères, qui pourrait reconnaître le théâtre de tant de misères et de tant de douleurs? Depuis l'époque de la construction de Trévoux et du pont de Mâcon jusqu'aux guerres religieuses du XVIe siècle, que n'ont pas eu à souffrir toutes ces populations? Elles devinrent tour à tour la proie des conquérants de la Bourgogne; la peste les assaillit trois fois et trois fois les décima. Et vers le milieu du XIIIe siècle, saint Louis, partant pour la Palestine, et croyant faire une oeuvre pie, acheta de ses deniers le comté de Mâcon, et lui laissa son étendard comme protecteur; mais le saint roi, en y faisant broder la double croix qui ornait son justaucorps, voua toute cette contrée et la principauté de Dombes aux luttes incessantes et aux haines vivaces de religion. Sur la rive droite et par opposition constante aux rivages de Trévoux, s'enchaînaient de hautes montagnes d'une forme sévère, qui, s'éloignent progressivement et laissent le fleuve s'élargir vers le Lyonnais; bientôt elles s'éloignent davantage, se rapetissent, se fertilisent et gagnent en richesse tout ce qu'elles perdent en caractère.
L'ancienne Trévoux, la ville primitive, avait été bâtie presque au sommet de la colline, et domine entièrement la cité moderne, sur laquelle, s'il faut en croire une légende, elle laisse méchamment rouler une pierre chaque fois qu'on y parle mal de ses ruines. Les druides rendaient des oracles dans la forêt qui l'avoisinait, sorte de succursale de la célèbre forêt druidique qui couvrait la partie de la Côte-d'Or où s'élève aujourd'hui Saulieu, la ville incrédule, trois fois rebelle à Louis XI et toujours fidèle à Henri IV.
Trévoux n'a rien de remarquable dans ses monuments; l'habitation seule des jésuites porte leur écusson sculpté: c'est une épée en sautoir, comme pour rappeler que saint Ignace de Loyola, blessé à la prise de Pampelune, fut obligé de renoncer à porter les armes, et, embrassant l'état ecclésiastique, devint le fondateur de cet ordre.
Les terres qui s'étendent derrière Trévoux, coupées de plaines et de collines, sont arrosées par des étangs poissonneux et les trois petites rivières de Chalaronne, de la Veille et du Forment. Les forêts et les bois offrent la chasse la plus abondante, et presque toute la population de ce pays est une population de chasseurs. Cette passion de la chasse était même si forte chez les anciens habitants de la principauté de Dombes, que, soit pour la légitimer à leurs propres yeux, soit que leur dévotion fut réellement mal éclairée, on raconte que, dans une procession solennelle, ils rendaient un culte à tous les saints et à tous les rois chasseurs dont il est parlé dans l'Ecriture, et notamment au grand saint Hubert. En réfléchissant qu'il était d'usage de graver sur les tombeaux des saints martyrs des croix d'où jaillissait un jet d'eau, et au pied un cerf ou tout autre animal des bois se désaltérant, et que ces symboles était aussi gravé sur les tombeaux de saint Hubert et de saint Eustache, on serait porté à reconnaître là l'origine de cette croyance populaire qui veut que ces deux saints aient vu un crucifix entre les cornes d'un cerf qu'ils chassaient.
Dépourvues d'histoires locales qui présentent un haut intérêt, se traînant pendant des siècles à la suite des événements, exemptes même de ces petits combats intestins avec l'autorité pour la défense d'un privilège, l'exemption ou le rachat d'une taille, les Annales de Trévoux sont aujourd'hui nulles pour nous, et c'est dans l'histoire du pays qu'il faut chercher des événements; car nous sommes ainsi faits, que nous n'écoutons plus un récit paisible qu'avec indifférence ou dégoût; et la partie de l'histoire des hommes qui nous charme et nous captive davantage est celle de leurs dissensions et de leurs douleurs.
Le Magasin universel, juin 1837.
La ville de Trévoux est très ancienne; il en est question dans l'Itinéraire d'Antonin, et c'est devant ses murs que Septime-Sévère remporta, contre son compétiteur Albinus, qu'il tua, la grande bataille de Trévoux, qui le fit plus réellement empereur que ses droits et le titre dont il était revêtu depuis quatre ans.
Bâtie à l'endroit même où l'un des grands chemins, qu'Agrippa avait fait établir dans les Gaules, se partageait en trois voies, la ville fut d'abord nommée Trivium ou Triviœ, puis par corruption on a dit et nous répétons encore aujourd'hui Trévoux.
Onze châtellenies se développaient autour de cette châtellenie principale, et résumaient toute la puissance du pays: c'étaient Beauregard, Montmerle, Toissey, Lent, Chalamont, Châtillon, Saint-Trivier, Villeneuve, Amberieu, Lignieu et Baneins.
De la domination romaine la principauté de Dombes passa sous la domination des Bourguignons, et fit partie de leur royaume. Elle fut reconnue absolument indépendante dès le temps du roi Philippe-Auguste; François 1er la confisqua pour la réunir à la couronne, et, dans la suite, Charles IX, l'abandonna à Louis de Bourbon, ne voulut en retenir autre chose que la bouche et les mains, c'est à dire le respect de la parole et le secours par les armes. Ainsi, sujets seulement d'hommage, ses princes, en véritables rois, établirent à Trévoux un parlement qui y rendait la justice sans appel; ils anoblirent et imposèrent les taxes à leur gré, et frappèrent monnaie à leur effigie. Ce dernier droit leur valut d'immenses richesses pendant tout le temps que dura le commerce des pièces de cinq sous et des sequins d'or avec le Levant. Les Vénitiens voulurent se plaindre de la fabrication des sequins au coin de saint Marc; mais il leur fut répondu que saint Marc était et demeurerait le patron de la ville libre de Trévoux, aussi bien qu'il l'était de Venise.
Le roi Louis XIV consacra de nouveau l'indépendance et les droits de Trévoux par des lettres patentes qui déclarent que "son souverain n'est point à son égard comme un vassal à l'égard de son seigneur, mais simplement comme un souverain à l'égard d'un plus puissant."
Le faible intérêt qu'inspire l'histoire particulière des princes de Trévoux ne s'accroît qu'à de bien rares intervalles de l'intérêt de quelques événements généraux auxquels ils ont été associés. On n'aime pas à les retrouver aussi complètement étrangers à leur propre fortune; il y a dans leur puissance quelque chose de trop octroyé par les rois, et leur résignation dans les mauvais jours est trop prompte et tient trop de la faiblesse. Ce qu'ils devaient à la couronne leur imposait le devoir de prendre une part réelle à ses luttes, et rien ne saurait les relever d'avoir manqué d'énergie avec leur terrible voisin, le puissant duché de Bourgogne, dont la fortune balança deux fois celle de la France, et l'inquiéta pendant un siècle. Toutes ces pages de leur histoire n'ont ni caractère ni couleur, et se confondent dans l'histoire même de la Bourgogne.
Trévoux est située au milieu de l'un des plus magnifiques et des meilleurs pays du royaume. A voir les bords de la Saône et la riche apparence des vastes vignobles qui s'étendent au-delà de Mâcon, à cette végétation puissante baignée par les flots purs d'un si beau fleuve, à tout ce littoral qui semble avoir été enlevé au paradis de nos premiers pères, qui pourrait reconnaître le théâtre de tant de misères et de tant de douleurs? Depuis l'époque de la construction de Trévoux et du pont de Mâcon jusqu'aux guerres religieuses du XVIe siècle, que n'ont pas eu à souffrir toutes ces populations? Elles devinrent tour à tour la proie des conquérants de la Bourgogne; la peste les assaillit trois fois et trois fois les décima. Et vers le milieu du XIIIe siècle, saint Louis, partant pour la Palestine, et croyant faire une oeuvre pie, acheta de ses deniers le comté de Mâcon, et lui laissa son étendard comme protecteur; mais le saint roi, en y faisant broder la double croix qui ornait son justaucorps, voua toute cette contrée et la principauté de Dombes aux luttes incessantes et aux haines vivaces de religion. Sur la rive droite et par opposition constante aux rivages de Trévoux, s'enchaînaient de hautes montagnes d'une forme sévère, qui, s'éloignent progressivement et laissent le fleuve s'élargir vers le Lyonnais; bientôt elles s'éloignent davantage, se rapetissent, se fertilisent et gagnent en richesse tout ce qu'elles perdent en caractère.
L'ancienne Trévoux, la ville primitive, avait été bâtie presque au sommet de la colline, et domine entièrement la cité moderne, sur laquelle, s'il faut en croire une légende, elle laisse méchamment rouler une pierre chaque fois qu'on y parle mal de ses ruines. Les druides rendaient des oracles dans la forêt qui l'avoisinait, sorte de succursale de la célèbre forêt druidique qui couvrait la partie de la Côte-d'Or où s'élève aujourd'hui Saulieu, la ville incrédule, trois fois rebelle à Louis XI et toujours fidèle à Henri IV.
Trévoux n'a rien de remarquable dans ses monuments; l'habitation seule des jésuites porte leur écusson sculpté: c'est une épée en sautoir, comme pour rappeler que saint Ignace de Loyola, blessé à la prise de Pampelune, fut obligé de renoncer à porter les armes, et, embrassant l'état ecclésiastique, devint le fondateur de cet ordre.
Les terres qui s'étendent derrière Trévoux, coupées de plaines et de collines, sont arrosées par des étangs poissonneux et les trois petites rivières de Chalaronne, de la Veille et du Forment. Les forêts et les bois offrent la chasse la plus abondante, et presque toute la population de ce pays est une population de chasseurs. Cette passion de la chasse était même si forte chez les anciens habitants de la principauté de Dombes, que, soit pour la légitimer à leurs propres yeux, soit que leur dévotion fut réellement mal éclairée, on raconte que, dans une procession solennelle, ils rendaient un culte à tous les saints et à tous les rois chasseurs dont il est parlé dans l'Ecriture, et notamment au grand saint Hubert. En réfléchissant qu'il était d'usage de graver sur les tombeaux des saints martyrs des croix d'où jaillissait un jet d'eau, et au pied un cerf ou tout autre animal des bois se désaltérant, et que ces symboles était aussi gravé sur les tombeaux de saint Hubert et de saint Eustache, on serait porté à reconnaître là l'origine de cette croyance populaire qui veut que ces deux saints aient vu un crucifix entre les cornes d'un cerf qu'ils chassaient.
Dépourvues d'histoires locales qui présentent un haut intérêt, se traînant pendant des siècles à la suite des événements, exemptes même de ces petits combats intestins avec l'autorité pour la défense d'un privilège, l'exemption ou le rachat d'une taille, les Annales de Trévoux sont aujourd'hui nulles pour nous, et c'est dans l'histoire du pays qu'il faut chercher des événements; car nous sommes ainsi faits, que nous n'écoutons plus un récit paisible qu'avec indifférence ou dégoût; et la partie de l'histoire des hommes qui nous charme et nous captive davantage est celle de leurs dissensions et de leurs douleurs.
Le Magasin universel, juin 1837.
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