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jeudi 16 juin 2016

Ceux dont on parle.

Albert Lambert fils.


Le plus fougueux de nos tragédiens. Jeune premier de belle prestance et plein de conviction. Au point de vue purement théâtral, on peut lui reprocher d'avoir adopté un verbe haut et violent qu'il parvient rarement à adoucir et dont la persistance émousse notre intérêt.
Si M. Albert Lambert fils pèche encore par quelque endroit, ce n'est pas par excès d'originalité. Il est le digne et consciencieux élève du Conservatoire où il obtient à dix-sept ans, un premier accessit de comédie, et, à dix-huit, un premier prix de tragédie.
Malgré ses quarante-et-un ans d'âge et ses vingt-trois ans de planches, on croirait toujours que M. Albert Lambert joue devant un jury et qu'il récite un morceau de concours. Il est sincère à force de travail, il atteint par ses efforts la chaleur et l'émotion, mais il ne peut arriver qu'à nous donner l'idée d'un tragédien. Le souffle vivifiant lui manque: il est à un grand artiste ce que serait une copie bien faite à un original dont on aurait perdu jusqu'au souvenir.
M. Albert Lambert n'est pas un vulgaire imitateur. S'il doit quelques parties de son jeu à Mounet-Sully, il n'est pas, loin de là, le simple reflet de son aîné. D'autres artistes, et en particulier son maître Delaunay, ont laissé sur cet esprit docile, une empreinte ineffaçable.
Puisque M. Albert Lambert est le tragédien indiqué pour succéder à Mounet Sully, puisqu'aucun autre astre de première grandeur n'a brillé depuis longtemps sous les ciels factices de nos scènes subventionnées, prenons notre parti de l'interprète officiel que nous possédons, et ne le chicanons pas sur ses dons d'acteur.
Aussi bien, M. Albert Lambert n'est-il pas dépourvu de toutes les qualités.
Il en possède une qui fait à elle seule, bien souvent, le succès des actrices.




Il est beau, beau comme un athlète antique, beau comme les héros des romans de Georges Ohnet. Etant doué de quelque sens artistique, il n'a pas la sotte modestie d'ignorer sa beauté. Il la connait, la cultive et la pare de la manière la plus avantageuse. Il aime les costumes de l'ancien régime parce qu'il y trouve des ressources variées pour faire valoir ses lignes. L'habit moderne, au contraire, est très sévèrement jugé par M. Albert Lambert, bien qu'il permette encore, à son avis, à tout homme véritablement élégant, de montrer son goût personnel par le choix d'un nœud de cravate, par la nuance d'un gant, par le pli d'un pantalon. Il n'est pas de détails méprisables pour les grands tailleurs et pour les comédiens d'élite.
Quand l'étude de ses rôles et l'essayage de ses vêtements lui en laissent le loisir, M. Albert Lambert prend un crayon et dessine. Il ne dessine pas plus mal qu'il ne joue. Ses dessins sont honnêtes; ils sont délicats et corrects, comme il convient aux œuvres d'un sociétaire de la Comédie Française qui a fait, étant jeune, des études d'architecture.
La carrière de M. Albert Lambert fils est de celles qui ne courent pas de risques. A pas comptés, sans défaillance et sans bruit, il atteindra l'heure de la retraite et dans une vingtaine d'années, quand il prendra congé de Chimène et de Dona Sol, il emportera les sympathies du public à qui cet homme de tact sut toujours éviter les émotions vives.

                                                                                                              Jean-Louis.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 27 janvier 1907.

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