Monsieur le ministre.
On se rappelle ce cri des dernières années de l'Empire: "Monsieur Bourbeau manque de prestige."
Exception jadis, généralité à présent.
Tous les ministres, de nos jours, quand même ils auraient une valeur spéciale d'hommes politiques, ont ce manque de prestige qui fit la perte de l'infortuné M. Bourbeau.
Le ministre actuel n'a pas toujours, dès ses jeunes ans, rêvé la vie politique; avocat, médecin, journaliste de rencontre, il a pensé, un beau jour, qu'il pouvait échanger sa popularité de clocher pour un mandat électoral auquel il devrait un traitement, négligeable jadis, mais qui devient un appoint dans la fortune médiocre du grand homme de province.
Avec le parlementarisme, les députés vont vite. Le député a été mis en lumière par une ou deux commissions. Une crise est survenue.Un sauveur des ministères tombés a été appelé à l'Elysée. Il a vu un replâtrage possible dans la suppression possible d'un ou deux des ministres chancelants et leur remplacement par des figures nouvelles.
Plus on est connu, moins on est compromis; le nouveau ministre est venu au monde, étonné lui-même du rapide chemin qu'il a parcouru.
Le voici en fonctions.
Il gagne son ministère où des huissiers souriant d'une façon inamovible qui contient plus d'une ironie, lui indiquent et la place qu'il va occuper et le personnel qu'il devra consulter.
A partir de ce jour, Monsieur le ministre existe.
Il est grave comme il convient à un produit du parlementarisme, il est circonspect comme un homme sur qui repose désormais les destinées de l'Etat; de son attitude politique point n'est question ici. Bon ou mauvais, pâle ou transcendant, son rôle relève d'une autre critique que celle du physiologiste.
Mais des antécédents de l'homme politique se dégagent un autre côté défectueux qui appartient à l'observateur.
Le ministre porte des gilets mal coupés sur des chemises d'une mode ancienne qui n'a même pas l'avantage de rappeler l'époque des Royer-Collard et des Guizot. Dans la sous-préfecture où il a germé, on ne lui pas appris à tailler sa barbe.
Il a fait son stage d'homme politique à la parlote, si ce n'est même au café. La société des femmes lui est inconnue ou il les a rencontrées dans je ne sais quels milieux inavouables. Transportez-le dans un salon, l'aisance même des hommes bien élevés l'étonnera; que dire de celles des femmes du monde. Embarrassé, il deviendra timide ou grossier.
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.
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