Une nouvelle hypothèse sur l'affaire Lafarge.
On sait que la fameuse affaire Lafarge redevient une brûlante actualité, et qu'il est fort possible que l'on arrive à la réhabilitation de la "dame du Glandier".
Aujourd'hui, comme il y a soixante treize ans, les partisans de l'innocence disent, avec une conviction jamais lassée: "Lafarge n'a pas été empoisonné, le chimiste Orfila s'est trompé, donc Mme Lafarge n'est pas coupable."
C'est entendu: mais enfin, supposons que l'on ne puisse pas suffisamment démontrer, au point de vue scientifique, le non-empoisonnement, faut-il donc que la malheureuse Mme Lafarge reste ensevelie sous le poids accablant d'une effroyable accusation?
Eh bien! non. Même si l'on admet que Lafarge a été empoisonné avec de l'arsenic (nous faisons la part belle à l'accusation), même dans ce cas, Mme Lafarge peut parfaitement être innocente! Et c'est en partant de ce point de vue nouveau que nous allons examiner un certain nombre de détails intéressants que l'instruction et les débats ne mirent malheureusement pas assez en relief: lourde responsabilité, soit dit en passant, pour les accusateurs de Mme Lafarge.
Les grandes lignes de l'affaire sont bien connues: dans le courant de 1839, une jeune et charmante Parisienne, très bien apparentée - elle était même cousine de Louis-Philippe- épousait un rustaud limousin, brutal et grossier, un veuf: Pouch Lafarge.
Six mois après, le 14 janvier 1840, Lafarge décédait.
Six mois après, le 14 janvier 1840, Lafarge décédait.
Le contre-maître de sa forge, Denis Barbier, louche et mystérieux personnage, criait partout que le malheureux avait été empoisonné par sa femme. Celle-ci arrêtée, et, malgré ses angoissantes protestations d'innocence, étaient condamnée aux travaux forcés à perpétuité.
Lafarge avait-il été véritablement empoisonné? Non, disent les partisans de Mme Lafarge; et il semble bien qu'ils aient raison.
Admettons pourtant que de l'arsenic ait été administré: est-ce fatalement Mme Lafarge qui l'a donné? Pas le moins du monde.
Mme Lafarge n'avait aucune raison de faire disparaître son mari, et tout mobile d'intérêt doit être écarté.
En effet, les affaires de Lafarge étaient des plus embarrassées, il frisait même la correctionnelle, et Mme Lafarge avait dû répondre pour 30.000 francs de billets!
Alors, qui a pu verser le poison, si poison il y a?
Deux hypothèses sont possibles, et rigoureusement appuyées sur des faits précis.
D'abord, Lafarge lui-même a parfaitement pu s'empoisonner. Sa situation financière était effroyable, et c'est ce que l'instruction aurait du établir d'une façon précise.
Il laissait un passif de trois cent mille francs, et sa succession fut mise en faillite. Un procès posthume entre cette succession et la famille de sa première femme montra tout l'embarras de ses affaires.
Ce procès montra aussi que cette première femme était morte au bout de sept mois de mariage, exactement cinq jours après la confection d'un testament où elle abandonnait toute sa fortune à son mari!
La ruine de celui-ci n'avait d'ailleurs été que retardée; donc, suicide très possible.
Seconde hypothèse: Lafarge n'avait-il pas dans son entourage, quelqu'un qui fût nettement intéressé à sa disparition?
Si: et ce quelqu'un n'était autre que son étrange contre-maître, Denis Barbier.
Bien étrange, en effet! C'était un ancien marchand de vins, et Lafarge l'avait connu à Paris, en juillet 1839, au moment où il venait dans la capitale pour chercher à se remarier.
La connaissance s'était faite chez un agent d'affaires véreux. Lafarge avait négocié la vente de fonds de vins-liqueurs (lui, un maître de forges habitant à 130 lieues de Paris!) et s'était servi de l'argent, puis, ç'avait été entre ces deux individus toute une série d'opérations louches, de billets de complaisance, etc. et, finalement, Lafarge avait, ramené au Glandier son nouvel ami (?) à peu près en même temps que celle qui était depuis peu Mme Lafarge.
En Limousin, les mêmes relations énigmatiques continuèrent entre les deux hommes, et, au chapitre 49 de ses Mémoires, Mme Lafarge remarque à propos de Barbier: "Il se grisait; et passait tout son temps dans des voyages mystérieux."
Il y a plus. A la fin de cette année, 1839, Lafarge part pour Paris. Barbier vient le rejoindre dans le plus grand secret. Que se passa-t-il alors entre eux? A quelles manœuvres se livrèrent-ils exactement? On ne l'a jamais su.
Mais, quand Barbier revient au Glandier, il laissa échapper ce propos terriblement grave: "Maintenant, c'est moi le maître ici."
En outre, on établit ceci: Mme Lafarge avait prié Barbier de lui acheter une grosse quantité d'arsenic pour détruire les rats qui infestaient le Glandier. Barbier acheta l'arsenic, mais ne le remit pas à Mme Lafarge: alors, qu'en fit-il? Et si vraiment de l'arsenic fut donné à Lafarge, d'où provenait ce poison?
Ajoutons également que, quand Lafarge ressentit ses premiers malaises, c'était pendant son fameux séjour à Paris à la fin de 1839. Et qui se trouvait près de lui, en cachette? Toujours Barbier.
Et qui parla, le premier, d'empoisonnement par Mme Lafarge? Qui parcourut la région en excitant l'opinion publique contre la malheureuse? Qui se montra si abominablement hostile lors des assises, que les autres témoins le surnommèrent "le féroce". Encore et toujours Barbier.
Faisons remarquer qu'aux audiences du 7 et 8 septembre 1840, des témoins établirent nettement des propos très graves tenus par Barbier; on rechercha celui-ci pour une confrontation: il avait disparu!
Maintenant, quel intérêt pouvait avoir cet homme à la disparition de Lafarge? C'est bien simple: on n'a pas oublié le voyage mystérieux de décembre, où Lafarge et son factotum s'étaient livrés à de louches besognes: Barbier n'avait-il pas grand besoin de faire disparaître un témoin gênant?
Autre chose: Barbier était un besogneux, il n'ignorait point le mauvais état des affaires de Lafarge, il prévoyait bien que l'usine serait, après la mort, revendue bien en dessous de sa valeur: n'avait-il point, là aussi, un intérêt puissant à supprimer son maître, pour le remplacer?
Nous avons eu la curiosité de le suivre un peu dans la vie, et, quatre ans après, nous l'avons retrouvé devant les Assises de la Seine, sous l'inculpation d'abus de confiance. Il fut acquitté, faute de preuves suffisantes, et la Président le félicita de son attitude... dans l'affaire Lafarge!
Il faut lire dans les Heures de Prison, la façon dont la malheureuse condamnée juge Barbier.
Deux magistrats allemands, Toemme et Noërner étudièrent jadis le procès Lafarge: ils conclurent ainsi: "Nous ne voulons point accuser Denis Barbier, mais nous dirons que nous aurions trouvé, de la part de l'avocat général, une accusation contre lui beaucoup plus fondée que contre Mme Lafarge."
Et dire que celle-ci ne put obtenir que l'on ouvrit une instruction en faux témoignage contre "le féroce".
Paul Peltier.
Le Magasin pittoresque, 1er août 1913.
Ce procès montra aussi que cette première femme était morte au bout de sept mois de mariage, exactement cinq jours après la confection d'un testament où elle abandonnait toute sa fortune à son mari!
La ruine de celui-ci n'avait d'ailleurs été que retardée; donc, suicide très possible.
Seconde hypothèse: Lafarge n'avait-il pas dans son entourage, quelqu'un qui fût nettement intéressé à sa disparition?
Si: et ce quelqu'un n'était autre que son étrange contre-maître, Denis Barbier.
Bien étrange, en effet! C'était un ancien marchand de vins, et Lafarge l'avait connu à Paris, en juillet 1839, au moment où il venait dans la capitale pour chercher à se remarier.
La connaissance s'était faite chez un agent d'affaires véreux. Lafarge avait négocié la vente de fonds de vins-liqueurs (lui, un maître de forges habitant à 130 lieues de Paris!) et s'était servi de l'argent, puis, ç'avait été entre ces deux individus toute une série d'opérations louches, de billets de complaisance, etc. et, finalement, Lafarge avait, ramené au Glandier son nouvel ami (?) à peu près en même temps que celle qui était depuis peu Mme Lafarge.
En Limousin, les mêmes relations énigmatiques continuèrent entre les deux hommes, et, au chapitre 49 de ses Mémoires, Mme Lafarge remarque à propos de Barbier: "Il se grisait; et passait tout son temps dans des voyages mystérieux."
Il y a plus. A la fin de cette année, 1839, Lafarge part pour Paris. Barbier vient le rejoindre dans le plus grand secret. Que se passa-t-il alors entre eux? A quelles manœuvres se livrèrent-ils exactement? On ne l'a jamais su.
Mais, quand Barbier revient au Glandier, il laissa échapper ce propos terriblement grave: "Maintenant, c'est moi le maître ici."
En outre, on établit ceci: Mme Lafarge avait prié Barbier de lui acheter une grosse quantité d'arsenic pour détruire les rats qui infestaient le Glandier. Barbier acheta l'arsenic, mais ne le remit pas à Mme Lafarge: alors, qu'en fit-il? Et si vraiment de l'arsenic fut donné à Lafarge, d'où provenait ce poison?
Ajoutons également que, quand Lafarge ressentit ses premiers malaises, c'était pendant son fameux séjour à Paris à la fin de 1839. Et qui se trouvait près de lui, en cachette? Toujours Barbier.
Et qui parla, le premier, d'empoisonnement par Mme Lafarge? Qui parcourut la région en excitant l'opinion publique contre la malheureuse? Qui se montra si abominablement hostile lors des assises, que les autres témoins le surnommèrent "le féroce". Encore et toujours Barbier.
Faisons remarquer qu'aux audiences du 7 et 8 septembre 1840, des témoins établirent nettement des propos très graves tenus par Barbier; on rechercha celui-ci pour une confrontation: il avait disparu!
Maintenant, quel intérêt pouvait avoir cet homme à la disparition de Lafarge? C'est bien simple: on n'a pas oublié le voyage mystérieux de décembre, où Lafarge et son factotum s'étaient livrés à de louches besognes: Barbier n'avait-il pas grand besoin de faire disparaître un témoin gênant?
Autre chose: Barbier était un besogneux, il n'ignorait point le mauvais état des affaires de Lafarge, il prévoyait bien que l'usine serait, après la mort, revendue bien en dessous de sa valeur: n'avait-il point, là aussi, un intérêt puissant à supprimer son maître, pour le remplacer?
Nous avons eu la curiosité de le suivre un peu dans la vie, et, quatre ans après, nous l'avons retrouvé devant les Assises de la Seine, sous l'inculpation d'abus de confiance. Il fut acquitté, faute de preuves suffisantes, et la Président le félicita de son attitude... dans l'affaire Lafarge!
Il faut lire dans les Heures de Prison, la façon dont la malheureuse condamnée juge Barbier.
Deux magistrats allemands, Toemme et Noërner étudièrent jadis le procès Lafarge: ils conclurent ainsi: "Nous ne voulons point accuser Denis Barbier, mais nous dirons que nous aurions trouvé, de la part de l'avocat général, une accusation contre lui beaucoup plus fondée que contre Mme Lafarge."
Et dire que celle-ci ne put obtenir que l'on ouvrit une instruction en faux témoignage contre "le féroce".
Paul Peltier.
Le Magasin pittoresque, 1er août 1913.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire