Le vrai Parisien.
On peut être Parisien, sans être un vrai Parisien. Le vrai Parisien est né à Paris et garde, quand même, un fumet de terroir, une saveur de clocher qui lui est personnelle. Un Anglais, un Russe, un provincial peut être un Parisien, parce qu'il habite Paris, qu'il le connait et qu'il sait en jouir; mais il lui manquera l'élément constitutif de l'enfant de Paris.
Le Parisien pur sang se reconnait à un déhanchement particulier, quand il marche, et sa continuelle flânerie.
Dès qu'un passant s'arrête pour regarder en l'air ou pour se réunir à d'autres passants rassemblés, soyez sûrs que c'est un Parisien. Le Parisien est avant tout badaud. Il regarde passer une noce ou un enterrement, comme s'il n'en avait jamais vu.
Il aime les militaires et les suit, sur le trottoir, quand il a un chapeau et sur la chaussée quand il a une casquette.
Le Parisien ne sait pas grand chose; mais il se mêle de tout, et dit son opinion avec autorité. Il adore pérorer le public et trouve que tout ce qu'on fait est mal. Si on l'écoutait, on ferait mieux. Il y a toujours une galerie pour écouter ce discours et l'approuver.
Le Parisien est très crédule, parce qu'il est ignorant et très mouton de Panurge, parce qu'il est habitué à vivre sous une éternelle tutelle. Il n'a aucune initiative, et ne sait pas encore, quand il prend le chemin de fer, à quel guichet il faut s'adresser. Il aime la foule et le bruit et méprise tous ceux qui ne sont pas de Paris.
Le vrai Parisien n'admet que son Paris personnel, c'est à dire le quartier où il est né et qu'il habite. Le Parisien de la rue Greneta se croit à l'étranger quand il arrive au parc Monceaux. Il y a peut être des Français qui voyagent; mais il n'y a pas de Parisiens.
Le vrai Parisien, quelque soit l'éducation qu'il a reçue, grasseye en parlant et se moquent des gens qui vibrent. Il y a toujours dans sa famille une tante ou une vielle bonne qui lui a appris à traîner en parlant, et il traîne tant qu'il peut. Le Parisien ne prononce les u qu'eu et les eu qu'u. Je connais des fils de famille qui disent "eune chaise" pour "une chaise" et Ugène pour Eugène, c'te pour cet, ed pour de. C'est dans le tempérament parisien. L'e muet le gène, il dira volontiers: C'est eune tuill quim' tombe su l'dos. Un académicien, né à Paris, parle absolument cette langue, quand il se laisse aller.
En dehors de ces vrais Parisiens, il y a à Paris cinquante mille privilégiés qui ont Paris à eux tout seuls et qui sont ceux dont on dit que "les Parisiens sont le peuple le plus spirituel du monde."
Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.
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