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jeudi 16 juin 2016

Le théâtre nègre.

Le théâtre nègre.

Malgré l'ostracisme dont ils sont l'objet, les nègres occupent chaque jour une situation plus considérable aux Etats-unis.
Récemment, ils ont offert une véritable représentation de gala dans un théâtre de New-York. Les acteurs, les musiciens, les machinistes, ainsi que tous les spectateurs étaient nègres.
L'événement artistique était sensationnel, car il s'agissait de la première représentation que donnait une grande troupe d'opéra nègre qui venait de se constituer.
La salle offrait un coup d’œil magnifique. Non seulement étaient présents les plus riches noirs de New-York, mais encore chacune des villes importantes des Etats-Unis avait tenu à envoyer des délégations nègres pour assister à cette imposante manifestation. Toutes les dames étaient somptueusement vêtues; beaucoup d'entre elles étaient décolletées. Les corsages étaient richement décorés de fleurs.
On devait représenter Carmen, l'opéra de Bizet.
Il n'y eut qu'un point noir... non, un point blanc, au milieu de tant d'allégresse. La cantatrice qui devait tenir le rôle de Carmen et qui, comme cela va sans dire, était nègre, se trouva subitement indisposée une heure avant d'entrer en scène. On chercha bien en vain à substituer une autre chanteuse de même couleur. Il fallut donc s'adresser à une blanche; celle-ci accepta, mais ne voulut rien entendre, malgré la somme considérable qu'on lui offrait en plus, lorsqu'on lui demanda de se "colorer" le visage, afin que l'homogénéité de la troupe fût sauvegardée.
En Europe, une actrice aurait peut-être accepté facilement cette mascarade, mais en Amérique, où le préjugé de race est si fort, elle aurait été complètement disqualifiée si elle avait consenti à une telle abdication, en sorte que Carmen fut la seule blanche au milieu de ce grand tableau noir. La représentation n'en souffrit nullement.

Mon Dimanche, revue populaire illustrée, 3 février 1907.

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