Les huiles de pétrole
aux Etats-Unis.
aux Etats-Unis.
L'huile de pétrole se rencontre dans certaines localités en très-grande abondance; elle forme de véritables filons liquides au milieu des terrains compris entre le bas silurien et la période tertiaire. C'est une matière huileuse et noirâtre qui brûle au contact d'une flamme, mais qui est toujours purifiée par une distillation avant d'être utiliser dans l'industrie comme huile d'éclairage.
En Chine, en Perse, dans le Caucase, on connait des gisements de pétrole depuis des époques très-reculées: à certaines fêtes de l'année, le port de Bakou, aux confins de la mer Caspienne, est illuminé par les habitants au moyen des huiles de pétrole; plus légères que l'eau, elles y surnagent; on y met le feu, et bientôt les vagues lancent jusqu'au ciel mille flammes gigantesques.
Dans les Etats-Unis, à Bristol, à Middlesex, des effluves de gaz enflammés s'échappent des lacs, des rivières et des fissures du sol. Lorsque la campagne est couverte de neige, quand l'eau est protégée par un manteau de glace, rien n'est plus grandiose et plus imposant que le spectacle de la combustion des vapeurs de pétrole: la flamme, soulevée par les efforts du vent, glisse à la surface des glaçons; elle se promène sur les campagnes blanchies par la neige, elle s'élance en gerbes lumineuses, en feux d'artifices vraiment splendides. Ces phénomènes étaient connus des anciens; Pline le Naturaliste parle des feux naturels du mont Chimère en Asie mineure, signalés avec stupéfaction par les voyageurs.
C'est surtout aux Etats-Unis, dans la Pensylvanie, dans le pays de l'huile, que l'industrie extrait le combustible liquide des entrailles du sol.
On emploie différentes méthodes pour extraire le pétrole. A Rangoon dans le Birman, on fore des puits qui atteignent parfois une profondeur de 61 à 91 mètres, dont l'orifice est soigneusement consolidé par des échafaudages. On descend au fond du puits un vase de terre au moyen d'une corde qui glisse contre une poutre; quand le vase est rempli d'huile, il est ramené à la surface du sol par des ouvriers qui tirent la corde en s'éloignant du puits; on verse le liquide dans des cavités pratiquées dans le sol, l'eau se rassemble par le repos à la partie inférieure, et l'huile minérale est recueillie par décantation.
Aux Etats-Unis, le mode d'extraction est mieux conçu. C'est une pompe à vapeur qui amène à la surface du sol les huiles souterraines, au milieu desquelles s'enfoncent des puits plus ou moins profonds, qui atteignent jusqu'à 90 mètres de hauteur. Quelquefois, le pétrole jaillit spontanément, comme l'eau des puits artésiens; dans ce cas, il ne reste plus qu'à le recueillir dans des bassins ou de grandes cuves de bois.
C'est surtout en Pensylvanie que l'industrie américaine se livre à l'extraction des huiles minérales. Les deux gravures que nous donnons d'après des photographies représentent des exploitations en activité dans cette province, si riche en combustibles liquides que les Yankees l'ont appelée le pays de l'huile.
L'un de ces puits est situé au bas d'une colline, près d'une rivière qui permet facilement le transport des fûts remplis de pétrole. L'autre gravure représente plus en détail une des grandes cuves de bois où l'huile se rassemble après avoir été extraite des entrailles du sol.
L'aspect de ces pays est vraiment curieux et étrange: de toutes parts des puits munis de leurs charpentes; à terre, de l'huile et de la boue; le long des chemins, des ouvriers crasseux tout couvert d'huile, des fûts, des tonneaux; et ça et là, des poteaux avec de grandes affiches où on lit ces mots: On ne fume pas ici, qui rappellent que tout ce qui est alentour est combustible, et qu'une allumette pourrait mettre le feu à tout un pays.
Les veines de pétrole ne sont pas faciles à rencontrer dans les terrains où elles circulent. Il faut s'attendre, dans cette industrie, à bien des déceptions. Généralement l'approche du filon liquide se signale par des débris d'une argile bleue caractéristique. Laissons parler le journal américain le Toronto Globe, qui raconte naïvement l'enthousiasme du puisatier qui a le bonheur de trouver l'huile au bout de sa sonde, c'est à dire la fortune au fond de son puits.
"Quand le foreur rencontre les débris d'argile bleue saturée d'un liquide rougeâtre et huileux, il se livre à toute sa joie, il retourne sa chique dans sa bouche avec délices, et avec une figure rayonnante de satisfaction, ruisselante d'huile et de sueur, il s'écrie: "Comme c'est beau!" Oui, vraiment, si vous avez des intérêts engagés qui vous font rêver des bénéfices à venir; mais autrement, ce n'est certainement pas beau comme odeur et comme coup d’œil. Le foreur est joyeux, car l'huile qu'il va puiser à une valeur de cinq centimes le litre, avec la perspective d'en valoir le double! N'est-ce pas assez pour la rendre belle? Les oils springs sont remarquables par leur malpropreté, et des quatre points cardinaux, le bruit des pédales qui mettent en mouvement les forets se fait entendre désagréablement pendant la nuit entière.
"Chaque jour voit augmenter le nombre de voyageurs couverts de boue qui, le sac sur le dos, ont traversé la vase, escaladé les arbres abattus et franchi les fossés fangeux sur les chemins à peine tracés de Wyoming et Florence. Plusieurs viennent chercher une occupation qu'ils sont sûrs de trouver; d'autres, les poches garnies de dollars, viennent forer de nouveaux puits et grossir le nombre de ceux qui existent déjà."
Le rendement des différents puits est très-variable. Il en est à Idione, en Pensylvanie, qui ne fournissent que dix à douze fûts par jour; il en existe d'autres dans la même localité qui produisent plus de 45.000 litres en vingt-quatre heures, et lancent ce liquide dans l'atmosphère jusqu'à une hauteur de 18 mètres. Dans le comté d'Erié, un puits a donné 300 fûts par jour; à Mecca, dans l'Ohio, un trou de forage a vomi 90.000 litres en vingt quatre heures.
C'est surtout en Pensylvanie que l'exploitation du pétrole acquiert de jour en jour une plus grande importance; les puisatiers se livrent à la recherche des gisements avec une activité fébrile qui rappelle la passion du chercheur d'or allant à la recherche des pépites en Californie. C'est que l'huile minérale, comme l'or, a donné la richesse à quelques ouvriers obscurs; le Toronto Globe cite un exemple très-curieux de faveur subite de la fortune: nous reproduisons fidèlement le récit de ce journal:
Vers le commencement de l'année 1862, un pauvre homme, nommé John Shaw, arrivait dans le district d'Enniskillen, près de Victoria. Ruiné par de mauvaises affaires, il avait emporté le peu d'argent qui lui restait pour tenter la fortune et chercher des huiles minérales. Il achète un terrain et commence à forer un puits. Du matin au soir, il creuse péniblement le sol, à toute heure son foret frappe la roche avec activité. Le lendemain, il recommence son travail, mais l'huile ne se rencontre pas.
John Shaw dépense tout son argent, perd son crédit, ruine sa santé, épuise ses forces, et il se frappe le front de désespoir en voyant l'huile abonder chez ses voisins qui font fortune. Le malheureux est à bout de ressources; ses poches sont vides, ses vêtements tombent en lambeaux; il est ruiné, dead broke, perdu à tout jamais. On dit même que ses bottes percées à jour ne tiennent plus à ses pieds, et l'infortuné puisatier va se trouver forcé de quitter ses travaux, car il n'a plus de chaussures pour piétiner dans l'huile et la boue. Il va trouver humblement un cordonnier; il se présente tristement, accablé, abattu par la misère, et lui demande une paire de bottes à crédit. Le cordonnier repousse le malheureux avec arrogance; il chasse avec dédain le pauvre Shaw, qui, suivant l'expression américaine, ne vaut plus une paire de bottes.
Le malheureux foreur revient à son puits; il s'affaisse à terre de désespoir, et de grosses larmes coulent sur ses joues brunies par le travail. Cependant il ne se laisse pas longtemps décourager par sa douleur. Soudain il se dresse, et prend la résolution de tenter encore un dernier effort. Demain, se dit-il, je frapperai mon dernier coup de sonde, je donnerai mon dernier coup de pompe, et si l'huile ne vient pas, je quitterai cette terre pleine d'amertume pour gagner des parages plus favorables. John Shaw se couche accablé, et se lève de grand matin. Il reprend son outil perforateur, et en frappe le roc avec l'énergie du désespoir. Tout à coup, il croit entendre le clapotement d'un liquide. ce n'est pas un rêve, c'est l'huile qui monte sifflante et bouillonnante, c'est le pétrole qui s'échappe enfin de sa prison séculaire. Le courant augmente, le torrent se précipite, un bruit terrible se fait entendre. Voilà l'huile minérale qui déborde de l'orifice du puits, qui rugit comme la tempête et se précipite sur le sol comme l'inondation. Le pétrole remplit un bassin énorme, puis il déborde, il envahit tous les canaux, et roule sur le sol jusqu'au Black-Creek, où il est entraîné vers le lac et le Saint-Clair. Vous dire ce qu'éprouvait à ce moment John Shaw n'est pas facile à décrire; des spectateurs racontent qu'il éleva son chapeau avec enthousiasme, qu'il se mit à pousser des hourras en sautant de joie, sans respect pour ses pauvres bottes percées à jour.
Bientôt tous les voisins accourent et s'empressent d'aider le puisatier à recueillir son huile. Comme la fortune de l'humble travailleur a changé l'allure de ses voisins! Ils ne l'appellent plus avec mépris le père John, mais le saluent respectueusement sous le nom de monsieur Shaw. Quelle belle heure pour celui-ci, et quel fortuné moment! Sans se livrer plus longtemps à sa joie si légitime, il se met en mesure, en bon commerçant, de jauger le volume du liquide que fournit son puits. Il reconnaît que le trou de forage produit deux fûts de 180 litres en une minute et demie, ce qui fait (le cours de l'huile étant de 1 fr. 40 cent. l'hectolitre) 3 fr. 36 cent. par minute ou 201 fr. 60 cent. par heure, c'est à dire 4.838 fr. 40 cent. en vingt-quatre heures, et un million et demi de francs par an, sans compter les dimanches et en négligeant les fractions.
"Ni les auteurs célèbres des Mille et une Nuits, ajoute le Toronto Globe, ni même Alexandre Dumas, n'ont pu imaginer une transformation si subite que celle de John Shaw: le matin, c'est un mendiant; le soir, c'est un millionnaire capable de satisfaire toutes les fantaisies qu'on se procure au prix de l'or."
Riche et célèbre, John Shaw ne devait pas longtemps jouir des faveurs de sa destinée. Un an après cet heureux événement, il tomba dans son puits, et trouva la mort dans le gouffre d'huile qui un instant lui avait donné la fortune.
L'exploitation de l'huile minérale offre parfois de grands périls, et son histoire est remplie d'épouvantables catastrophes. Des incendies terribles ont quelquefois anéanti en peu de temps le travail de toute une année. Au mois d'avril 1862, un puits situé à Idione, en Pensylvanie, se mit à lancer subitement sur le sol des torrents d'huile minérale, accompagnés de nuages de vapeurs fétides et nauséabondes. On se hâte d'éteindre les flammes du voisinage; mais un dernier foyer, situé à 300 mètres de l'orifice du trou de forage, enflamme les vapeurs combustibles. Soudain le feu se communique au liquide jaillissant qui roule des torrents de flamme sur la campagne toute entière. Il fait éclater les fûts de pétrole, qui augmentent le désastre. De toutes parts des flots incandescents se précipitent; les ouvriers s'enfuient en faisant retentir l'air de clameurs épouvantables. Le ciel reflète d'une manière sinistre ces lueurs terribles de l'incendie. On aperçoit ça et là des cadavres calcinés, on entend le râle de femmes et d'enfants que les flammes ont atteints. Le feu augmente de moment en moment et s'élève jusqu'au milieu des nuages. Nulle résistance à opposer à cette force invincible, nul combat à tenter! Il faut attendre que la dernière goutte d'huile ait jeté dans l'air sa dernière flammèche!
Le Magasin pittoresque, décembre 1970.
Aux Etats-Unis, le mode d'extraction est mieux conçu. C'est une pompe à vapeur qui amène à la surface du sol les huiles souterraines, au milieu desquelles s'enfoncent des puits plus ou moins profonds, qui atteignent jusqu'à 90 mètres de hauteur. Quelquefois, le pétrole jaillit spontanément, comme l'eau des puits artésiens; dans ce cas, il ne reste plus qu'à le recueillir dans des bassins ou de grandes cuves de bois.
C'est surtout en Pensylvanie que l'industrie américaine se livre à l'extraction des huiles minérales. Les deux gravures que nous donnons d'après des photographies représentent des exploitations en activité dans cette province, si riche en combustibles liquides que les Yankees l'ont appelée le pays de l'huile.
L'un de ces puits est situé au bas d'une colline, près d'une rivière qui permet facilement le transport des fûts remplis de pétrole. L'autre gravure représente plus en détail une des grandes cuves de bois où l'huile se rassemble après avoir été extraite des entrailles du sol.
L'aspect de ces pays est vraiment curieux et étrange: de toutes parts des puits munis de leurs charpentes; à terre, de l'huile et de la boue; le long des chemins, des ouvriers crasseux tout couvert d'huile, des fûts, des tonneaux; et ça et là, des poteaux avec de grandes affiches où on lit ces mots: On ne fume pas ici, qui rappellent que tout ce qui est alentour est combustible, et qu'une allumette pourrait mettre le feu à tout un pays.
Les veines de pétrole ne sont pas faciles à rencontrer dans les terrains où elles circulent. Il faut s'attendre, dans cette industrie, à bien des déceptions. Généralement l'approche du filon liquide se signale par des débris d'une argile bleue caractéristique. Laissons parler le journal américain le Toronto Globe, qui raconte naïvement l'enthousiasme du puisatier qui a le bonheur de trouver l'huile au bout de sa sonde, c'est à dire la fortune au fond de son puits.
"Quand le foreur rencontre les débris d'argile bleue saturée d'un liquide rougeâtre et huileux, il se livre à toute sa joie, il retourne sa chique dans sa bouche avec délices, et avec une figure rayonnante de satisfaction, ruisselante d'huile et de sueur, il s'écrie: "Comme c'est beau!" Oui, vraiment, si vous avez des intérêts engagés qui vous font rêver des bénéfices à venir; mais autrement, ce n'est certainement pas beau comme odeur et comme coup d’œil. Le foreur est joyeux, car l'huile qu'il va puiser à une valeur de cinq centimes le litre, avec la perspective d'en valoir le double! N'est-ce pas assez pour la rendre belle? Les oils springs sont remarquables par leur malpropreté, et des quatre points cardinaux, le bruit des pédales qui mettent en mouvement les forets se fait entendre désagréablement pendant la nuit entière.
"Chaque jour voit augmenter le nombre de voyageurs couverts de boue qui, le sac sur le dos, ont traversé la vase, escaladé les arbres abattus et franchi les fossés fangeux sur les chemins à peine tracés de Wyoming et Florence. Plusieurs viennent chercher une occupation qu'ils sont sûrs de trouver; d'autres, les poches garnies de dollars, viennent forer de nouveaux puits et grossir le nombre de ceux qui existent déjà."
Le rendement des différents puits est très-variable. Il en est à Idione, en Pensylvanie, qui ne fournissent que dix à douze fûts par jour; il en existe d'autres dans la même localité qui produisent plus de 45.000 litres en vingt-quatre heures, et lancent ce liquide dans l'atmosphère jusqu'à une hauteur de 18 mètres. Dans le comté d'Erié, un puits a donné 300 fûts par jour; à Mecca, dans l'Ohio, un trou de forage a vomi 90.000 litres en vingt quatre heures.
C'est surtout en Pensylvanie que l'exploitation du pétrole acquiert de jour en jour une plus grande importance; les puisatiers se livrent à la recherche des gisements avec une activité fébrile qui rappelle la passion du chercheur d'or allant à la recherche des pépites en Californie. C'est que l'huile minérale, comme l'or, a donné la richesse à quelques ouvriers obscurs; le Toronto Globe cite un exemple très-curieux de faveur subite de la fortune: nous reproduisons fidèlement le récit de ce journal:
Vers le commencement de l'année 1862, un pauvre homme, nommé John Shaw, arrivait dans le district d'Enniskillen, près de Victoria. Ruiné par de mauvaises affaires, il avait emporté le peu d'argent qui lui restait pour tenter la fortune et chercher des huiles minérales. Il achète un terrain et commence à forer un puits. Du matin au soir, il creuse péniblement le sol, à toute heure son foret frappe la roche avec activité. Le lendemain, il recommence son travail, mais l'huile ne se rencontre pas.
John Shaw dépense tout son argent, perd son crédit, ruine sa santé, épuise ses forces, et il se frappe le front de désespoir en voyant l'huile abonder chez ses voisins qui font fortune. Le malheureux est à bout de ressources; ses poches sont vides, ses vêtements tombent en lambeaux; il est ruiné, dead broke, perdu à tout jamais. On dit même que ses bottes percées à jour ne tiennent plus à ses pieds, et l'infortuné puisatier va se trouver forcé de quitter ses travaux, car il n'a plus de chaussures pour piétiner dans l'huile et la boue. Il va trouver humblement un cordonnier; il se présente tristement, accablé, abattu par la misère, et lui demande une paire de bottes à crédit. Le cordonnier repousse le malheureux avec arrogance; il chasse avec dédain le pauvre Shaw, qui, suivant l'expression américaine, ne vaut plus une paire de bottes.
Le malheureux foreur revient à son puits; il s'affaisse à terre de désespoir, et de grosses larmes coulent sur ses joues brunies par le travail. Cependant il ne se laisse pas longtemps décourager par sa douleur. Soudain il se dresse, et prend la résolution de tenter encore un dernier effort. Demain, se dit-il, je frapperai mon dernier coup de sonde, je donnerai mon dernier coup de pompe, et si l'huile ne vient pas, je quitterai cette terre pleine d'amertume pour gagner des parages plus favorables. John Shaw se couche accablé, et se lève de grand matin. Il reprend son outil perforateur, et en frappe le roc avec l'énergie du désespoir. Tout à coup, il croit entendre le clapotement d'un liquide. ce n'est pas un rêve, c'est l'huile qui monte sifflante et bouillonnante, c'est le pétrole qui s'échappe enfin de sa prison séculaire. Le courant augmente, le torrent se précipite, un bruit terrible se fait entendre. Voilà l'huile minérale qui déborde de l'orifice du puits, qui rugit comme la tempête et se précipite sur le sol comme l'inondation. Le pétrole remplit un bassin énorme, puis il déborde, il envahit tous les canaux, et roule sur le sol jusqu'au Black-Creek, où il est entraîné vers le lac et le Saint-Clair. Vous dire ce qu'éprouvait à ce moment John Shaw n'est pas facile à décrire; des spectateurs racontent qu'il éleva son chapeau avec enthousiasme, qu'il se mit à pousser des hourras en sautant de joie, sans respect pour ses pauvres bottes percées à jour.
Bientôt tous les voisins accourent et s'empressent d'aider le puisatier à recueillir son huile. Comme la fortune de l'humble travailleur a changé l'allure de ses voisins! Ils ne l'appellent plus avec mépris le père John, mais le saluent respectueusement sous le nom de monsieur Shaw. Quelle belle heure pour celui-ci, et quel fortuné moment! Sans se livrer plus longtemps à sa joie si légitime, il se met en mesure, en bon commerçant, de jauger le volume du liquide que fournit son puits. Il reconnaît que le trou de forage produit deux fûts de 180 litres en une minute et demie, ce qui fait (le cours de l'huile étant de 1 fr. 40 cent. l'hectolitre) 3 fr. 36 cent. par minute ou 201 fr. 60 cent. par heure, c'est à dire 4.838 fr. 40 cent. en vingt-quatre heures, et un million et demi de francs par an, sans compter les dimanches et en négligeant les fractions.
"Ni les auteurs célèbres des Mille et une Nuits, ajoute le Toronto Globe, ni même Alexandre Dumas, n'ont pu imaginer une transformation si subite que celle de John Shaw: le matin, c'est un mendiant; le soir, c'est un millionnaire capable de satisfaire toutes les fantaisies qu'on se procure au prix de l'or."
Riche et célèbre, John Shaw ne devait pas longtemps jouir des faveurs de sa destinée. Un an après cet heureux événement, il tomba dans son puits, et trouva la mort dans le gouffre d'huile qui un instant lui avait donné la fortune.
L'exploitation de l'huile minérale offre parfois de grands périls, et son histoire est remplie d'épouvantables catastrophes. Des incendies terribles ont quelquefois anéanti en peu de temps le travail de toute une année. Au mois d'avril 1862, un puits situé à Idione, en Pensylvanie, se mit à lancer subitement sur le sol des torrents d'huile minérale, accompagnés de nuages de vapeurs fétides et nauséabondes. On se hâte d'éteindre les flammes du voisinage; mais un dernier foyer, situé à 300 mètres de l'orifice du trou de forage, enflamme les vapeurs combustibles. Soudain le feu se communique au liquide jaillissant qui roule des torrents de flamme sur la campagne toute entière. Il fait éclater les fûts de pétrole, qui augmentent le désastre. De toutes parts des flots incandescents se précipitent; les ouvriers s'enfuient en faisant retentir l'air de clameurs épouvantables. Le ciel reflète d'une manière sinistre ces lueurs terribles de l'incendie. On aperçoit ça et là des cadavres calcinés, on entend le râle de femmes et d'enfants que les flammes ont atteints. Le feu augmente de moment en moment et s'élève jusqu'au milieu des nuages. Nulle résistance à opposer à cette force invincible, nul combat à tenter! Il faut attendre que la dernière goutte d'huile ait jeté dans l'air sa dernière flammèche!
Le Magasin pittoresque, décembre 1970.
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