Bayonne.
La plupart des premiers noms de villes, de pays, de rivières et de montagnes, ont été changés en passant sous la domination d'un maître étranger, et c'est ce qui fait méconnaître leur antiquité et leur origine; les Romains, conquérants de l'Espagne, firent subir à leurs nouveaux sujets cette révolution de noms, et les villes ne furent plus connues par leur ancienne dénomination.
Il est probable que Bayonne fut enveloppée dans cette commune destinée; c'est pourquoi on ignore quels furent ses fondateurs, du moins on en a que des notions incertaines. Une chose est constante, c'est que cette ville était habitée dès le IIIe siècle de notre ère; elle fut lente à prendre de l'accroissement, et on la voit peu figurer dans les premiers siècles de la monarchie; il paraît, par le silence des historiens et par son ancienne enceinte, qu'elle n'était pas très-considérable.
Tout le pays devait alors n'offrir qu'une vaste solitude; le passage des Goths et des Wisigoths des Gaules en Espagne exposait les habitants à ces hordes de barbares. Ce n'était pas le seul fléau dont ces terres étaient frappées; les Gascons, qui n'étaient point encore établis en deçà des Pyrénées, descendaient des montagnes, et comme la guerre était leur unique métier, le pillage leur unique ressource, ils s'en retournaient chargés de butin.
Un pays perpétuellement dévasté par le fer et les flammes devait être sans commerce et sans industrie; voilà sans doute la cause de la longue obscurité où Bayonne est restée.
Vers le milieu du VIe siècle, l'empereur Julien fit une guerre opiniâtre aux Maures et aux Sarrasins; il les poursuivit jusqu'au delà des Pyrénées, et pénétra même dans le royaume de Castille. Au retour de ses conquêtes, il s'arrêta longtemps à Bayonne, qu'il choisit comme chef-lieu du pays de Labour, en latin Lapurdum. Cette ville était alors moins connue sous ce nom, que par celui de Baïa-Ona, qui, dans l'idiome basque, signifie "bonne baie"; ce ne fut que dans le VIIIe siècle qu'elle reçut le nom de Bayonne, nom qu'elle a conservé.
Située dans un charmant vallon formé par les trois côteaux de Saint-Etienne au nord, de Saint-Léon au midi, et de Mousserolles vers l'est, Bayonne est la seule ville de France qui jouisse de l'avantage inappréciable de voir une rivière et un fleuve lui apporter le tribut de leurs eaux, et par leur jonction y former un port d'une vaste étendue, à une lieue de distance de l'Océan.
La Nive, tranquille, traverse paisiblement son enceinte, tandis que l'Adour, superbe et tumultueux, roule son onde rapide autour de ses murs extérieurs. La situation pittoresque de cette ville offre des points de vue nombreux et variés; des ruines de l'ancien château de Mars, par exemple, on a devant soi la Nive qui partage la cité en deux parties inégales, dites le grand et le petit Bayonne, et l'on distingue les deux ponts qui réunissent les deux quartiers. Au dessus de celui qui est le plus éloigné, et qu'on nomme le pont Mayour, on aperçoit la grande porte d'entrée de la citadelle, ses bastions, ses remparts et tout l'ensemble des bâtiments qu'ils renferment. L'Adour coule au bas du quartier du petit Bayonne, et ce fleuve, après avoir reçu les eaux de la Nive, forme du côté occidental de la citadelle, le port spacieux, près duquel se trouve ce large quai, ombragé d'arbres magnifiques, si connu sous le nom d'Allées Marines.
Enfin la cathédrale, commencée dans le temps où Bayonne était sous la domination de l'Angleterre, et achevée depuis la réunion de la Guienne à la France, en 1451, se présente ici sous son plus bel aspect. Sa construction et son architecture méritent d'être distinguées; cet édifice est l'un des plus beaux monuments du moyen âge; mais c'est le seul que possède cette ville, ou du moins le seul qui soit digne de l'attention des amis des arts, car nous ne parlerons pas de la vieille enceinte du grand et du petit Bayonne qui ont chacun un petit château; ces fortifications ne sont d'aucune utilité pour la défense de la ville, et les deux châteaux ne méritent aucun intérêt sous le rapport de l'art.
Aussi n'est-ce pas de ses monuments que Bayonne tient sa grande célébrité; elle la doit à son ancienneté, aux événements historiques dont elle a été le théâtre, à son importance comme place forte du royaume qui exerce une haute influence sur le sort des pays circonvoisins, tels que la Basse-Navarre, l'Armagnac, la Chalosse, le Béarn et même le Bigorre. La richesse de ces provinces diminue ou augmente selon que le commerce de Bayonne dépérit ou prospère; c'est le résultat des moyens de communication que présente la réunion de la Nive et de l'Adour. En effet, le commerce de cette ville est principalement de commission et de transit entre la France, l'Espagne et le nord de l'Europe.
Les habitants de Bayonne, par leur intrépidité et leur patriotisme, ont aussi contribué à en assurer la renommée. Jaloux de mériter la devise nunquam polluta que portent les armes de leur ville, depuis l'époque où ils la reprirent sur les troupes d'Edouard II, roi d'Angleterre, ils l'ont toujours défendue contre les forces ou les ruses des étrangers. On sait que les Bayonnais ont été les premiers à entreprendre des courses lointaines sur les mers polaires, pour faire la pèche à la baleine, et l'on connait à combien de titres ils ont mérité la réputation dont ils jouissent, d'être excellents marins et habiles constructeurs de vaisseaux. Cependant on ne trouve point dans le chantier de construction, placé au-dessous de la citadelle, et que l'on nomme le parc, ce mouvement, cette activité dans le travail qui donne une grande idée de la prospérité de ce genre d'établissement. Celui de Bayonne devra sans doute un nouvel accroissement aux canaux de communication qu'on se propose d'établir entre les Pyrénées et l'Adour, et à l'exploitation des forêts de ses montagnes, qui lui fournissent des mâts et des bois de construction. Bayonne possède en abondance tous les autres matériaux nécessaires aux agrès.
Le caractère des Bayonnais est froid, soucieux et réfléchi; il forme un contraste frappant avec l'humeur vive et enjouée des Basques qui séjournent dans leur ville et qu'on y voit affluer journellement de la Navarre française. Mais ce qui est bien digne de remarque, c'est qu'on ne trouve point à Bayonne cette partie de la population, misérable et sans moyen d'existence, qui encombre les grandes cités. Toutes les classes d'habitants, toutes les professions y forment des associations divisées par compagnie, et soumises à des règlements particuliers. Les commissionnaires, les emballeurs, les portefaix, sont surveillés et dirigés par des chefs qui en répondent et qui sont attachés aux maisons de commerce qui les emploient. La population entière de Bayonne offre l'image d'une grande famille, dont les diverses branches sont étroitement liées les unes aux autres. La révolution a empêché l'exécution d'un plan, d'après lequel on aurait plus que doublé l'enceinte trop resserrée de Bayonne, qui aurait pu contenir alors près de quarante mille habitants, au lieu de quatorze mille seulement qu'elle en renferme aujourd'hui. Il s'agissait de démolir les fortifications du midi de la ville, depuis les Allées Marines jusqu'à la Nive, et de reculer son étendue jusqu'au milieu du vaste marais de Cheyris, qu'on aurait fait disparaître en faisant couler les eaux dans un large canal d'une construction facile sur un terrain uni; ce canal aurait formé un nouveau et superbe rempart, défendu par les feux croisés de la citadelle et de Saint-Michel. En même temps, la citadelle et la ville de Saint-Esprit, qui n'est à proprement parler qu'un faubourg de Bayonne, presque entièrement habité par quatre à cinq mille Juifs, aurait reçu dans une nouvelle enceinte, du côté du nord les terrains qui les dominent.
Au regret d'avoir vu ce plan avorter, les Bayonnais, véritablement intéressés à la prospérité de leur ville, joignent un sujet de crainte qui malheureusement s'accroît et se réalise de jour en jour. La barre de sable qui s'étend en demi-cercle au fond et autour de l'embouchure de l'Adour, ne permet l'entrée du port aux grands navires que par les plus hautes marées, et aux petits bâtiments eux-mêmes qu'au moyen d'une passe dont la situation change presque journellement. Les travaux entrepris jusqu'à présent pour détruire cet obstacle n'ont fait qu'en suspendre l'accroissement effrayant et successif qui menace Bayonne dans la source la plus importante de son existence.
Bayonne est à jamais célèbre dans les fastes sanglants de la guerre par l'invention de la baïonnette, dont les Basques savent faire un usage terrible. Sous le canon de la citadelle, et au pied des hauteurs de Montaigu, se trouve un vallon resserré et couvert d'épaisses fougères qu'il faut chercher péniblement à travers des sentiers glissants et pierreux. C'est là qu'on voit le cimetière anglais, dont l'histoire est un des glorieux épisodes du blocus de Bayonne en 1814.
Ce vallon, aujourd'hui si ignoré, était rempli au mois d'avril 1814 d'hommes, de chevaux et de bruit; tous ces coteaux, où croissent les genêts épineux et le thym des champs, étaient occupés par une brigade anglaise formée du 2e régiment de la garde royale, des détachements des 1er et 3e de cette même garde, et du 60e régiment d'infanterie de ligne. Des postes avancés étaient placés sur toutes les hauteurs, dans tous les défilés; de l'embouchure de l'Adour à la Nive, c'était un vaste champ au milieu duquel la ville de Bayonne et la citadelle, ceintes de murailles et de canons, semblaient défier les combinaisons stratégiques. Bayonne, alors bloquée par une armée de quarante mille hommes, avait résolu de se défendre avec opiniâtreté; sa garnison et ses habitants, inspirés par un même courage et un même enthousiasme, avaient déjà fait éprouver de cruelles pertes à l'ennemi; chaque jour le canon de la citadelle détruisait les ouvrages des travailleurs anglais; la nuit seule interrompait cette canonnade impitoyable.
Or, le 14 avril 1814, à deux heures et demie du matin, un soldat de la garnison se glissa sans bruit sur les parapets de la citadelle, du côté où les murs offrent peu d'élévation; il échappa par de merveilleuses précautions à la vigilance des postes avancés, et il arriva jusqu'auprès des sentinelles anglaises placées au pont du Moulin, sur le chemin de Boucau.
Arrêté aussitôt et désarmé sans résistance, cet homme demanda à être conduit auprès du général anglais Hope, commandant en chef; là, moyennant un prix convenu, il révéla au général la sortie projetée de la garnison, le nombre d'hommes qui devaient composer les colonnes d'attaque et l'heure de la sortie. Le général donna aussitôt des ordres; les officiers d'ordonnance coururent aux diverses positions occupées par les troupes anglaises, mais il n'était plus temps; le tambour et le canon se faisait entendre, et les troupes françaises se précipitèrent au pas de charge. En effet, on n'avait pas tardé à s'apercevoir à la citadelle de la disparition du déserteur, et la sortie avait eu lieu immédiatement. Les postes avancés de l'ennemi étaient seuls sous les armes, et avant que les colonnes de Boucau et de Hayet eussent eu le temps de se rallier et de marcher sur le théâtre du combat, la garnison avait repris vaillamment, et au fil de l'épée, toutes les positions; sur le plateau de Montaigu avait eu lieu le combat le plus terrible et le plus longtemps disputé; les retranchements anglais, pris et repris quatre fois, se pavèrent de cadavres; enfin le terrain resta aux braves bataillons français des 82e, 26e et 70e de ligne. Le déserteur, qui venait de vendre lâchement la garnison, servait de guide au général Hope, lorsque les balles des voltigeurs du 82e abattirent le chef anglais et tuèrent le traître sur place. Un magnifique cerisier s'élevait à gauche du petit vallon, le tronc de l'arbre garda merveilleusement un boulet comme pour y conserver la date d'un combat mémorable. Autour de cet arbre furent ensevelis les officiers tués à ses pieds dans la journée du 14 avril, et c'est là l'origine de ce modeste et historique cimetière si paisiblement caché dans la commune de Saint-Etienne.
Pendant seize années, quelques pierres grossièrement taillées signalèrent seules aux habitants et aux visiteurs la sépulture des officiers anglais. En 1830, une sorte de souscription fut ouverte en Angleterre dans le 2e régiment de la garde royale, appelé Coldstream, et M. Harvey, consul anglais à Bayonne, ancien capitaine dans ce même régiment, fut chargé d'acheter le terrain où reposaient ses compagnons d'armes, et d'y faire construire un mur de clôture. Bientôt le cimetière s'éleva; quelques arbres y furent plantés, et une sorte de pierre tumulaire, placée debout à une des extrémités du monument, rappela le nom des morts et la date de la sortie de la garnison de Bayonne.
Le monument de Coldstream-Guards est devenu, depuis 1830, le but des pèlerinages d'une foule d'Anglais que leurs affaires ou leurs goûts cosmopolites ont amenés dans ces contrées. On assure même que quelques-uns d'entre eux, sous l'influence d'une pensée exclusive de piété nationale, ont fait le voyage de Bayonne, pour contempler un instant la tombe de leurs compatriotes, et pour en emporter des feuilles ou des fleurs mémoratives qu'ils plient précieusement dans leur album.
Le magasin universel, avril 1837.
Au regret d'avoir vu ce plan avorter, les Bayonnais, véritablement intéressés à la prospérité de leur ville, joignent un sujet de crainte qui malheureusement s'accroît et se réalise de jour en jour. La barre de sable qui s'étend en demi-cercle au fond et autour de l'embouchure de l'Adour, ne permet l'entrée du port aux grands navires que par les plus hautes marées, et aux petits bâtiments eux-mêmes qu'au moyen d'une passe dont la situation change presque journellement. Les travaux entrepris jusqu'à présent pour détruire cet obstacle n'ont fait qu'en suspendre l'accroissement effrayant et successif qui menace Bayonne dans la source la plus importante de son existence.
Bayonne est à jamais célèbre dans les fastes sanglants de la guerre par l'invention de la baïonnette, dont les Basques savent faire un usage terrible. Sous le canon de la citadelle, et au pied des hauteurs de Montaigu, se trouve un vallon resserré et couvert d'épaisses fougères qu'il faut chercher péniblement à travers des sentiers glissants et pierreux. C'est là qu'on voit le cimetière anglais, dont l'histoire est un des glorieux épisodes du blocus de Bayonne en 1814.
Ce vallon, aujourd'hui si ignoré, était rempli au mois d'avril 1814 d'hommes, de chevaux et de bruit; tous ces coteaux, où croissent les genêts épineux et le thym des champs, étaient occupés par une brigade anglaise formée du 2e régiment de la garde royale, des détachements des 1er et 3e de cette même garde, et du 60e régiment d'infanterie de ligne. Des postes avancés étaient placés sur toutes les hauteurs, dans tous les défilés; de l'embouchure de l'Adour à la Nive, c'était un vaste champ au milieu duquel la ville de Bayonne et la citadelle, ceintes de murailles et de canons, semblaient défier les combinaisons stratégiques. Bayonne, alors bloquée par une armée de quarante mille hommes, avait résolu de se défendre avec opiniâtreté; sa garnison et ses habitants, inspirés par un même courage et un même enthousiasme, avaient déjà fait éprouver de cruelles pertes à l'ennemi; chaque jour le canon de la citadelle détruisait les ouvrages des travailleurs anglais; la nuit seule interrompait cette canonnade impitoyable.
Or, le 14 avril 1814, à deux heures et demie du matin, un soldat de la garnison se glissa sans bruit sur les parapets de la citadelle, du côté où les murs offrent peu d'élévation; il échappa par de merveilleuses précautions à la vigilance des postes avancés, et il arriva jusqu'auprès des sentinelles anglaises placées au pont du Moulin, sur le chemin de Boucau.
Arrêté aussitôt et désarmé sans résistance, cet homme demanda à être conduit auprès du général anglais Hope, commandant en chef; là, moyennant un prix convenu, il révéla au général la sortie projetée de la garnison, le nombre d'hommes qui devaient composer les colonnes d'attaque et l'heure de la sortie. Le général donna aussitôt des ordres; les officiers d'ordonnance coururent aux diverses positions occupées par les troupes anglaises, mais il n'était plus temps; le tambour et le canon se faisait entendre, et les troupes françaises se précipitèrent au pas de charge. En effet, on n'avait pas tardé à s'apercevoir à la citadelle de la disparition du déserteur, et la sortie avait eu lieu immédiatement. Les postes avancés de l'ennemi étaient seuls sous les armes, et avant que les colonnes de Boucau et de Hayet eussent eu le temps de se rallier et de marcher sur le théâtre du combat, la garnison avait repris vaillamment, et au fil de l'épée, toutes les positions; sur le plateau de Montaigu avait eu lieu le combat le plus terrible et le plus longtemps disputé; les retranchements anglais, pris et repris quatre fois, se pavèrent de cadavres; enfin le terrain resta aux braves bataillons français des 82e, 26e et 70e de ligne. Le déserteur, qui venait de vendre lâchement la garnison, servait de guide au général Hope, lorsque les balles des voltigeurs du 82e abattirent le chef anglais et tuèrent le traître sur place. Un magnifique cerisier s'élevait à gauche du petit vallon, le tronc de l'arbre garda merveilleusement un boulet comme pour y conserver la date d'un combat mémorable. Autour de cet arbre furent ensevelis les officiers tués à ses pieds dans la journée du 14 avril, et c'est là l'origine de ce modeste et historique cimetière si paisiblement caché dans la commune de Saint-Etienne.
Pendant seize années, quelques pierres grossièrement taillées signalèrent seules aux habitants et aux visiteurs la sépulture des officiers anglais. En 1830, une sorte de souscription fut ouverte en Angleterre dans le 2e régiment de la garde royale, appelé Coldstream, et M. Harvey, consul anglais à Bayonne, ancien capitaine dans ce même régiment, fut chargé d'acheter le terrain où reposaient ses compagnons d'armes, et d'y faire construire un mur de clôture. Bientôt le cimetière s'éleva; quelques arbres y furent plantés, et une sorte de pierre tumulaire, placée debout à une des extrémités du monument, rappela le nom des morts et la date de la sortie de la garnison de Bayonne.
Le monument de Coldstream-Guards est devenu, depuis 1830, le but des pèlerinages d'une foule d'Anglais que leurs affaires ou leurs goûts cosmopolites ont amenés dans ces contrées. On assure même que quelques-uns d'entre eux, sous l'influence d'une pensée exclusive de piété nationale, ont fait le voyage de Bayonne, pour contempler un instant la tombe de leurs compatriotes, et pour en emporter des feuilles ou des fleurs mémoratives qu'ils plient précieusement dans leur album.
Le magasin universel, avril 1837.
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