Abbaye de Saint-Bertin.
L'abbaye de Saint-Bertin, dont les ruines existent dans la ville de Saint-Omer, fut bâtie vers le milieu du VIIe siècle, à Sithieu, terrain environné de marais. Sa construction, sur un sol si peu favorable, passa pour un miracle à une époque de foi naïve et de pieuses croyances. Les moines firent tant d'efforts persévérants pour faire écouler les eaux, qu'en peu d'années ils parvinrent à poser leur édifice sur une terre ferme et solide.
La réputation du nouveau monastère se répandit bientôt au loin; on parlait des vertus, du savoir des cénobites, ainsi que l'étendue de leurs riches possessions. Les rois de France s'empressèrent d'accorder de beaux et notables privilèges.
Les habitants de cette contrée, dans leur reconnaissance pour leurs premiers bienfaiteurs, ne pouvait se lasser d'admirer l'abbaye de Saint-Bertin, qui leur semblait sortie des eaux, et qui paraissait comme une petite ville fermée de murailles et de fossés. Bientôt, l'abbaye de Saint-Bertin ne fut plus connue que sous la dénomination glorieuse du monastère des monastères. La dynastie carolingienne vint établir sa résidence royale dans les environs, et elle confia Childeric III, fragile héritier de Clovis, à la sécurité de ce cloître. C'est là où Louis le Débonnaire reçut la première nouvelle de la révolte de ses fils.
Nous avons à parler des ruines de l'antique abbaye. Il faut remonter à l'époque de ses premières calamités. La destinée des ouvrages de l'homme roule dans un cercle de désastres; les monuments périssent comme les mains qui les ont élevés. Deux fois les Normands renversèrent de fond en comble ce couvent de Saint-Bertin, sans pouvoir parvenir à y étouffer la civilisation naissante; deux fois, grâce au zèle courageux des pieux solitaires, il se relève avec plus de majesté. Fondé en 648, brûlé par les Barbares en 861 et 881, renversé par un tremblement de terre en 896, un violent incendie consuma de nouveau, en 1020, presque entièrement et en un seul jour, cette malheureuse abbaye.
Après son quatrième rétablissement, elle soutint avec éclat sa première réputation. Déjà elle avait été témoin paisible des grands changements opérés dans la monarchie. Baudoin Bras-de-Fer, qui commence la puissante lignée des comtes de Flandre, avait voulu expressément y être inhumé; et deux rois d'Angleterre y avait séjourné longtemps.
L'histoire nous fournit plusieurs exemples d'édifices épargnés lors de la prise violente des villes; au sac de Saint-Omer, en 1071, par Philippe 1er, le monastère de Saint-Bertin fut respecté. Parmi les prisonniers de la bataille de Cassel, déposés dans l'enceinte de l'abbaye, se trouvait Pierre l'Ermite, alors à la suite du comte de Boulogne, et dont la voix entraînante allait bientôt retentir dans la chrétienté. Dix ans plus tard, l'abbaye de Saint-Bertin fut encore victime d'un deuxième incendie qui la ruina totalement; elle fut reconstruite, mais en bois, disent les chroniqueurs, et avec une mince couverture de chaume.
Dans ces cloîtres, qui conservèrent longtemps le précieux dépôt des sciences et des connaissances littéraires de cette époque, on instruisait des enfants pauvres et délaissés. L'abbé Suger, cité encore comme le modèle des hommes d'Etat, né à Saint-Omer de parents obscurs, fut élevé à Saint-Bertin. C'est après avoir fait bénir ses armes dans la sanctuaire de cette église que le brave Geoffroi de Saint-Omer alla fonder à Jérusalem le fameux ordre des Templiers.
Au commencement du XIIIe siècle, la ville de Saint-Omer était passée sous l'autorité immédiate des rois de France, le monastère de Saint-Bertin fut visité par Philippe-Auguste, et par son fils, dont le front allait ceindre la couronne d'Angleterre. En 1231, saint Louis et la reine Blanche prirent leur logement dans l'abbaye; ils confirmèrent, pendant leur résidence, tous les privilèges des religieux.
Guilbert, quarante-neuvième abbé de Saint-Bertin, surnommé l'Abbé d'or, à cause des ouvrages somptueux qu'il avait fait exécuter en Belgique, entreprit la construction d'une nouvelle église dans son abbaye, à laquelle il avait fait obtenir les ornements pontificaux: mais le plan des bâtiments, digne d'une métropole, était si vaste et si coûteux, que ses successeurs n'osèrent terminer son oeuvre magnifique. Le réfectoire était un des plus remarquable du royaume; rien n'approchait de la richesse du chœur.
Les plus beaux édifices gothiques ont été construits dans le XIVe siècle; le clergé était alors tout-puissant, et il ne faut pas se dissimuler que l'architecture, considérée comme art, est dans son principe éminemment religieux. Ce fut l'époque de la huitième et dernière réédification de l'église de Saint-Bertin. L'un des successeurs de l'Abbé d'or avait renversé le bâtiment colossal entrepris en 1255, et avait fait jeter, en 1326, les fondations d'un chœur d'un plus modeste monument. L'église abbatiale fut commencée en 1330. En 1406, disent les Annales de Saint-Omer, au moment où Jean Sans-Peur promettait de rendre Calais à la France, quelques misérables vendus à l'Angleterre mirent le feu dans les magasins de Saint-Bertin qui renfermaient une partie du matériel de l'expédition, et le monastère souffrit beaucoup de cet incendie. Le clocher, renommé pour son élégance, fut élevé en 1411; trois ans après, le corps de l'église reçut sa riche couverture de plomb, et l'intérieur se vit en possession d'une précieuse bibliothèque.
Dans les vicissitudes des guerres, l'abbaye de Saint-Bertin se trouva, tantôt dans l'abondance, tantôt dans la pauvreté; mais en tout temps elle conserva son plus digne attribut, la charité envers les pauvres. Au XVIe siècle, ce monastère parvint à l'apogée de sa splendeur et de sa gloire. Jamais sa prospérité ne fut plus éclatante qu'à l'époque de la domination espagnole.
Plus d'un demi-siècle avant la révolution française, deux moines de la savante congrégation de Saint-Maur avaient visité l'abbaye de Saint-Bertin; ils s'empressèrent de faire connaître le résultat de leurs impressions. Ils publièrent que ce monastère était un des plus ilulstres de l'ordre de saint Benoît; que l'église était grande, splendide; l'autel était d'or, enrichi de figures en vermeil et de pierres précieuses. La Vie de saint Bertin, dirent-ils, était peinte sur des fenêtres en bois; la croix de Charlemagne se trouvait dans le trésor, et le chef du fondateur, en vermeil et garni de diamants, resplendissait dans le sanctuaire.
Hélas! toutes ces richesses allaient disparaître! La révolution éclata. Le 28 mai 1790, on fit l'inventaire du temporel de l'abbaye de Saint-Bertin. L'année suivante, on y installa un curé constitutionnel, qui périt sur l'échafaud. Le 16 août 1791, tous les religieux de Saint-Bertin furent obligés d'abandonner leurs cellules chéries, après onze cent quarante-trois ans d'une possession non interrompue. Ils avaient été plus de cent cinquante dans le premier âge du monastère; ils étaient cent vingt au commencement du XIIe siècle; ce nombre s'était élevé sous la domination espagnole. A l'époque de la fatale sortie, on comptait à peine cinquante religieux.
Dans les tristes journées qui suivirent le départ des cénobites, l'abbaye de Saint-Bertin servit d'asile aux militaires blessés, la gloire française s'était réfugié dans les camps, et c'est un beau spectacle de voir ce temple désert recueillir les derniers soupirs de ceux qui mourraient pour la patrie. Bientôt on fit la vente de toutes les dépendances du monastère; bâtiments, boiseries, sculptures, stalles, vitraux, croix royales, ornements des tombeaux, tout disparut rapidement; les cloches furent brisées et envoyées à la monnaie.
Le 28 mars 1799, cette église fut vendue comme domaine national, pour la somme de 120.000 francs en numéraire; un habitant d'Arras en fut l'acquéreur; il commença un mois après à la faire démolir, à l'exception de la tour qui fut conservée pour l'usage du guet, établi depuis 1589.
Ce vaste et beau monument de l'architecture gothique formait une croix latine avec bas côtés, au-dessus desquels régnait un rang de galeries, soutenu par quarante-huit piliers; sa longueur, prise intérieurement, était de 350 pieds; sa largeur, de 137; il avait pour frontispice la tour carrée, encore existante, de 175 pieds de hauteur.
La renommée de l'abbaye de Saint-Bertin est répandue dans toute l'Europe; son ancienneté, son admirable architecture, le mérite élevé d'un grand nombre de ses membres, les événements signalés dont elle a été l'impassible témoin, les personnage importants qui y ont séjourné, ses revenus considérables, justifient sa haute réputation. Les ruines de ce monastère peuvent être considérées comme un type de l'art. La curiosité publique les entoure de ses soins et de son admiration: l'enceinte délabrée se remplit d'observateurs attentifs. C'est qu'aujourd'hui ces belles ruines s'écroulent; rien n'a plus d'influence sur la mode que le grand spectacle des désastres humains.
Le Magasin universel, juin 1837.
Guilbert, quarante-neuvième abbé de Saint-Bertin, surnommé l'Abbé d'or, à cause des ouvrages somptueux qu'il avait fait exécuter en Belgique, entreprit la construction d'une nouvelle église dans son abbaye, à laquelle il avait fait obtenir les ornements pontificaux: mais le plan des bâtiments, digne d'une métropole, était si vaste et si coûteux, que ses successeurs n'osèrent terminer son oeuvre magnifique. Le réfectoire était un des plus remarquable du royaume; rien n'approchait de la richesse du chœur.
Les plus beaux édifices gothiques ont été construits dans le XIVe siècle; le clergé était alors tout-puissant, et il ne faut pas se dissimuler que l'architecture, considérée comme art, est dans son principe éminemment religieux. Ce fut l'époque de la huitième et dernière réédification de l'église de Saint-Bertin. L'un des successeurs de l'Abbé d'or avait renversé le bâtiment colossal entrepris en 1255, et avait fait jeter, en 1326, les fondations d'un chœur d'un plus modeste monument. L'église abbatiale fut commencée en 1330. En 1406, disent les Annales de Saint-Omer, au moment où Jean Sans-Peur promettait de rendre Calais à la France, quelques misérables vendus à l'Angleterre mirent le feu dans les magasins de Saint-Bertin qui renfermaient une partie du matériel de l'expédition, et le monastère souffrit beaucoup de cet incendie. Le clocher, renommé pour son élégance, fut élevé en 1411; trois ans après, le corps de l'église reçut sa riche couverture de plomb, et l'intérieur se vit en possession d'une précieuse bibliothèque.
Dans les vicissitudes des guerres, l'abbaye de Saint-Bertin se trouva, tantôt dans l'abondance, tantôt dans la pauvreté; mais en tout temps elle conserva son plus digne attribut, la charité envers les pauvres. Au XVIe siècle, ce monastère parvint à l'apogée de sa splendeur et de sa gloire. Jamais sa prospérité ne fut plus éclatante qu'à l'époque de la domination espagnole.
Plus d'un demi-siècle avant la révolution française, deux moines de la savante congrégation de Saint-Maur avaient visité l'abbaye de Saint-Bertin; ils s'empressèrent de faire connaître le résultat de leurs impressions. Ils publièrent que ce monastère était un des plus ilulstres de l'ordre de saint Benoît; que l'église était grande, splendide; l'autel était d'or, enrichi de figures en vermeil et de pierres précieuses. La Vie de saint Bertin, dirent-ils, était peinte sur des fenêtres en bois; la croix de Charlemagne se trouvait dans le trésor, et le chef du fondateur, en vermeil et garni de diamants, resplendissait dans le sanctuaire.
Hélas! toutes ces richesses allaient disparaître! La révolution éclata. Le 28 mai 1790, on fit l'inventaire du temporel de l'abbaye de Saint-Bertin. L'année suivante, on y installa un curé constitutionnel, qui périt sur l'échafaud. Le 16 août 1791, tous les religieux de Saint-Bertin furent obligés d'abandonner leurs cellules chéries, après onze cent quarante-trois ans d'une possession non interrompue. Ils avaient été plus de cent cinquante dans le premier âge du monastère; ils étaient cent vingt au commencement du XIIe siècle; ce nombre s'était élevé sous la domination espagnole. A l'époque de la fatale sortie, on comptait à peine cinquante religieux.
Dans les tristes journées qui suivirent le départ des cénobites, l'abbaye de Saint-Bertin servit d'asile aux militaires blessés, la gloire française s'était réfugié dans les camps, et c'est un beau spectacle de voir ce temple désert recueillir les derniers soupirs de ceux qui mourraient pour la patrie. Bientôt on fit la vente de toutes les dépendances du monastère; bâtiments, boiseries, sculptures, stalles, vitraux, croix royales, ornements des tombeaux, tout disparut rapidement; les cloches furent brisées et envoyées à la monnaie.
Le 28 mars 1799, cette église fut vendue comme domaine national, pour la somme de 120.000 francs en numéraire; un habitant d'Arras en fut l'acquéreur; il commença un mois après à la faire démolir, à l'exception de la tour qui fut conservée pour l'usage du guet, établi depuis 1589.
Ce vaste et beau monument de l'architecture gothique formait une croix latine avec bas côtés, au-dessus desquels régnait un rang de galeries, soutenu par quarante-huit piliers; sa longueur, prise intérieurement, était de 350 pieds; sa largeur, de 137; il avait pour frontispice la tour carrée, encore existante, de 175 pieds de hauteur.
La renommée de l'abbaye de Saint-Bertin est répandue dans toute l'Europe; son ancienneté, son admirable architecture, le mérite élevé d'un grand nombre de ses membres, les événements signalés dont elle a été l'impassible témoin, les personnage importants qui y ont séjourné, ses revenus considérables, justifient sa haute réputation. Les ruines de ce monastère peuvent être considérées comme un type de l'art. La curiosité publique les entoure de ses soins et de son admiration: l'enceinte délabrée se remplit d'observateurs attentifs. C'est qu'aujourd'hui ces belles ruines s'écroulent; rien n'a plus d'influence sur la mode que le grand spectacle des désastres humains.
Le Magasin universel, juin 1837.
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