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mercredi 22 juin 2016

Le membre du jury.

Le membre du jury.


Il s'appelle Alfred, Ernest, Arthur. C'est un fruit sec quelconque, ami de M. Ambroise Thomas et prié par lui de vouloir bien apporter sa lumière au prochain concours du Conservatoire.
Alfred, qui donne des leçons de piano, ou se targue d'un opéra sifflé, ou a commis quelque comédie en un acte représenté au Français, est excessivement flatté d'être mêlé à l'aréopage du faubourg Poissonnière et de coudoyer des sommités musicales et dramatiques, telles que M. Thomas, Carvalho, Claretie, Reher et Massenet. Alfred fait nombre, voilà tout. Il ne compte pas, il assiste, observe la tête de l'un des plus hauts bonnets précités et conforme sa tête à sa tête. Il partage son opinion, il est de son avis.




C'est la récompense de toute sa vie. Il aurait même voulu être sollicité par quelque mère de débutante, inquiète et ambitieuse; attendu par quelque fillette dévorée de l'idée de parvenir; supplié par quelque jeune premier en herbe or quelque tragédien soucieux.
Malheureusement, il n'a pas assez d'importance, et les lauréats savent que sa voix ou rien du tout, c'est la même chose. Il est là, à titre de galerie, pour donner un peu d'animation à la loge du jury. Il fait tableau, comme les comparses de l'Opéra qui entourent le ténor. C'est le ténor qui fait tout aller, et les comparses le suivent. Ainsi, Alfred.




Néanmoins, c'est un beau jour pour lui. Correctement vêtu, ému, grave, solennel, fier comme Artaban, il est assis sur le bord de son fauteuil, et il écoute. S'il osait encore avoir un avis à lui, il serait peut être excellent, impartial, sincère, mais ce n'est pas cela qu'on lui demande. Il est là pour soutenir les ténors et quand ceux-ci chantent en mineur, il n'a pas le droit de chanter en majeur. C'est un invité qui doit trouver les plats bons ou mauvais, comme on lui dit.
C'est ce qu'il fait, et il rentre chez lui, heureux de sa journée. Il est pour quelque chose, il le croit du moins, dans les actions de grâce ou les désespoirs d'un tas de jeunes gens qui ont préféré l'art à la menuiserie et qui s'en repentiront un jour. 
A leur tour, les jeunes gens, s'ils ratent leur carrière, peuvent-ils espérer, comme compensation d'être choisis un jour pour faire partie du jury du Conservatoire. C'est la consolation que je leur souhaite.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.

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