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mardi 14 juin 2016

Le médecin de théâtre.

Le médecin de théâtre.


C'est toujours un homme aimable, plus dilettante que médecin. Le jour où il est de service est le plus beau jour de sa vie, ou plutôt de sa semaine. Ce n'est pas en sacerdoce qu'il se rend au théâtre; il n'a pas la pensée qu'il remplit un devoir; il n'est pas préparé à l'idée d'une consultation à donner ou d'une ordonnance à libeller. 
C'est un spectateur privilégié entre tous, et rien ne lui est plus désagréable que d'être dérangé au milieu d'un acte pour s'en aller, au foyer, donner secours à quelque dame en syncope ou à quelque bourgeois frappé d'apoplexie. 




Son devoir professionnel, ce jour-là, consistait à applaudir un artiste aimé, à jouir d'une pièce en vogue, et non pas à fourrer de l'éther sous le nez d'un auditeur incommodé par l'acide carbonique.
Toutefois, le médecin de théâtre est heureux quand il est appelé sur la scène pour assister un acteur, et surtout une actrice, entravé par une aphonie subite ou un dérangement imprévu. 





A ce moment, le médecin de théâtre est considéré comme une providence, un oracle, un Deus ex machinâ. Il dépend de lui que la représentation continue. Le directeur, l'auteur, le régisseur, réunis avec lui dans la loge du malade, attendent anxieusement l'arrêt qui va sortir de la bouche d'Hippocrate. Il est l'arbitre de plusieurs destinées et le dispensateur de la recette.
Quand il n'y a pas de malades, le médecin va faire un tour sur le théâtre pendant les entr'actes. Il y est le bienvenu. Les artistes le reçoivent comme un père et profitent de l'occasion pour lui chiper une consultation gratuite.
Le docteur, qui est venu pour s'amuser, ne peut jamais être tout à fait dans la situation. Il reste spectateur, même en consultant. Selon l'artiste qui l'interroge, le médecin entrecoupe ses conseils avec les souvenirs de l'acte qu'il vient de voir jouer.
- Cher docteur, dit le premier comique en faisant une grimace, je souffre d'une dyspepsie pénible.
- Prenez du bismuth, répond le docteur en riant au nez de son malade. Mon Dieu, que vous êtes drôle!





- J'ai aussi une gastralgie!
- Cristi! comme vous dites ça... êtes-vous assez amusant! D'où souffrez-vous.
- De la rate.
- Ah! ah! ah! de la rate... Ça ne sera rien.
- Il le faut. Ma femme et ma belle-sœur ont une loge et tiennent à rire un peu... Ça ira, ça ira!...
Et le docteur et l'artiste se séparent, l'un en crevant de rire et l'autre en se tenant le ventre.
Dans les théâtres de musique, le docteur est un extatique qui, pendant toute la soirée, demeure sous le charme d'un andante bien exprimé ou d'une roulade admirablement exécutée. Ne le consultez pas. Il vous traiterait de travers, vous donnerait de l'ammoniaque pour de l'eau de Cologne et formulerait son ordonnance en si bémol.

Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.

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