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samedi 25 juin 2016

Le petit attaché.

Le petit attaché.

Jeune, mais gourmé; alerte, mais important; bouillant, mais plein de réserve  est le petit attaché. Bien entendu, il ne s'agit pas ici d'attaché d'ambassade. Il ne peut être question que des jeunes gens attachés au cabinet d'un ministre.
Le petit attaché est un produit de la République. Il a vingt-cinq ans; il est riche, bien apparenté dans une famille politique et il a beaucoup de prétention sans savoir grand chose.
Sa mère, sa tante, sa cousine, sa marraine ont un mari ou un frère ou un parent, député ou sénateur. Sa voix est utile au ministre.
"Vite il faut que je case mon fils, mon neveu, mon filleul."
Il n'y a plus de places. On en fera. Le ministre a des bureaux inoccupés; il s'attachera quelques jeunes gens.
Du jour au lendemain, l'adolescent devient un jeune homme politique. Il a une jaquette noire, des gants rouges et une serviette sous le bras. Généralement, il se fait la tête de son ministre. Frisé, s'il est frisé; barbu, s'il est barbu; chauve, s'il est chauve. Il attend son ministre, le suit à la Chambre, l'accompagne dans les couloirs, porte sa serviette et se bat en duel pour lui quand on l'insulte ou quand on le blague.




Il ne fait absolument rien. Une douzaine de cigarettes le matin et quelques lettres sur un papier avec cet en-tête: "Cabinet du ministre."
Le grand chic, c'est de les faire porter en ville par un dragon, qui croit porter un secret d'Etat et qui ne charrie en réalité qu'un billet ainsi conçu:
"Ma chère Titine, renvoie-moi mon parapluie que j'ai oublié dans ton antichambre."
C'est le petit attaché qui reçoit les rédacteurs des journaux politiques, les reporters, les interviewers. 




Il leur parle avec discrétion, avec mystère, sourit quand on l'interroge sur la pensée du ministre, en laisse échapper quelques bribes et recommande une grande prudence. Il dicte quelquefois le sens des articles officieux, leur promet la protection du maître et les renvoie avec un geste superbe.
Souvent le ministre appelle son attaché. C'est pour lui demander une cigarette ou le récit de quelque historiette galante, dont le petit attaché connait le fin mot.
Le petit attaché ne s'attache pas. il disparaît avec le ministre qui l'a créé. Le petit attaché n'a pas de racines. C'est une fleur dans un vase, qui se fane avant d'éclore. Quand un attaché ne l'est plus, c'est un homme fini. Il a goûté du pouvoir et désormais il ne pourra plus s'en passer. Heureusement, il a de la fortune.
Dans le monde, le petit attaché est aimable. Il danse bien le cotillon et fait des madrigaux aux dames. 



C'est le "talon rouge"* de la République; sans lui, la galanterie serait bannie de la politique en France.


Physiologies parisiennes, Albert Millaud, 1887, à la Librairie illustrée, illustrations de Caran d'Ache, Frick et Job.



*Nota de Célestin Mira: d'après les Amis du Patrimoine Napoléonien, Section Belgique:

             "En 1662, Philippe de France, Duc d’Orléans et frère de Louis XIV, est ce que nous appellerions aujourd'hui une fashion victime et se met un point d'honneur à toujours être total tendance et à donner le ton à la cour de Versailles. À tel point que la moindre de ses fantaisies stylistiques est aussitôt reprise dans la journée par les courtisans. Mais une des fantaisies involontaires de Monsieur va jouer un rôle capital dans les codes de la Cour et pour les siècles qui suivront.
Monsieur est un joyeux luron et passe une bonne partie de son temps libre dans les bals publics parisiens mais pour éviter la lourde étiquette royale, il se rendit au Marché des Innocents pour ne pas être reconnu. Mais sur le chemin, il croise le quartier des abattoirs où le sang des animaux ruissellent sur les pavés et souillent ses souliers royaux. De retour de sa sortie nocturne, il s'effondre sur son lit tout habillé. On vient le réveiller au matin pour qu'il siège à la demande de son frère au Conseil du Roi. Il s'empresse de faire une légère toilette, mais ne prend pas soin de changer de chaussures dont la semelle et les talons sont toujours imprégnés de sang bovin et ovin. Cette marque rouge est directement repérée par les courtisans qui s'empressent d'assaillir le jour même les cordonniers parisiens pour leur confectionner des chausses à talons rouges. 
À partir de ce jour, le talon rouge devient le symbole de la noblesse.




On utilisera au XIXe siècle également cette expression pour dire de quelqu’un qu'il a des prétentions à l’élégance, aux belles manières et par déformation qu'il est prétentieux.
Napoléon consul interdira les talons rouges après la révolution française vu leur symbole d’aristocratie et de monarchie.
Ni talon rouge, ni bonnet rouge, je suis national.



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