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samedi 2 avril 2016

Le sultan, rédacteur en chef.

Le sultan, rédacteur en chef.


Nos lecteurs savent que le Grand-Seigneur a dissous le corps des janissaires, et discipliné son armée suivant les règles européennes; ils savent aussi qu'il étudie avec beaucoup de zèle l'art militaire, qu'il boit du vin et porte à merveille l'habit français; mais ce qu'ils ignorent sans doute, c'est que le Grand-seigneur est journaliste.
Quoi de plus intéressant que la feuille hebdomadaire Tchwimi-Wckai ou Tableau des événemens, imprimée en arabe et en français, rédigée par les intimes du sultan, et sous sa direction!
Quand le Moniteur ottoman, car c'est ainsi que s'appelle la partie française du journal, parut pour la première fois (5 novembre 1831), les Turcs ne voulurent pas croire qu'on pût prendre plaisir à une semblable feuille de papier, sur laquelle on ne voyait ni gravures, ni dorures. Assoupis par le tabac et le café, ils l'honorèrent à peine d'un regard; les plus hardis se moquèrent de Mahmoud et de son journal. Mais le Grand-Seigneur s'est noblement vengé de cette indifférence; il a su se faire lire avec intérêt d'abord, ensuite avec rage, avec frénésie; et voici par quels moyens.
Chaque pacha est invité à souscrire pour un certain nombre d'exemplaires en faveur des habitans de sa province; puis le texte ottoman, qui ne correspond pas toujours au texte français, contenait des critiques si mordantes, des éloges si flatteurs des premiers personnages du pays, que ceux-ci s'empressèrent bientôt de régler leur conduite d'après l'esprit de cette publication, s'abandonnant tour à tour à une gaieté folle ou à un chagrin profond, selon que le Tableau des événemens avait été plus ou moins bienveillant à leur égard.
En outre, on eut soin de faire lire à haute voix cette gazette dans les lieux publics, cafés, cabinets de lecture, etc.; ceux qui connaissaient la langue écrite n'eurent rien de si empressé, que d'en constituer les interprètes vis à vis de leurs compatriotes, et de parler en quelque sorte par la bouche du sultan. Aujourd'hui encore, cette lecture se fait souvent à haute voix. C'est une solennité qui diffère essentiellement de la manière dont les Ottomans se racontent les fables et les anecdotes, car, à cette dernière occasion, le conteur se trouve souvent interrompu par les acclamations ou les éclats de rire de l'assemblée qui l'entoure, tandis qu'un recueillement profond préside à l'explication des pages imprimées. De temps à autre seulement, ce silence est interrompu par les cris: Ins hallah (si dieu le veut)! ou Hallah kerim( Dieu est grand)!
Il faut dire aussi que le sultan est enthousiaste de M. O'Connel; Les discours les plus révolutionnaires de l'agitateur d'Irlande se trouvent reproduits dans son journal avec une exactitude scrupuleuse; et, quand il y a quelques omissions, on peut être sûr qu'elles ne portent que sur des passages d'intérêt de localité ou de circonstance. En général, le choix des morceaux extraits des journaux étrangers est fait avec goût et discernement.
Il est curieux de voir quel soin prend le gouvernement pour exciter la curiosité des orientaux et pour les intéresser aux affaires publiques. L'organisation de l'armée, les mouvements de la flotte, le bulletin des batailles, l'administration civile, les événemens dans les provinces, tous ces sujets sont traités dans la feuille officielle. On y trouve de temps à autre le budget, spécifiant toutes les dépenses et les recettes de l'Etat. Il est inouï, dans l'histoire de l'empire ottoman, de voir un souverain rendre compte à ses contribuables de l'emploi des deniers publics. l'industrie, les arts et métiers, les inventions utiles, la littérature, tout ce qui peut contribuer au bien-être matériel et intellectuel a paru au grand journaliste de Constantinople digne de sa sollicitude. En un mot le Moniteur ottoman est l'expression d'un prudent réformateur; c'est le verbe frais et énergique d'un prophète de bonne foi, qui lutte avec gloire contre les revers que la destinée lui a préparées.

Le Magasin universel, octobre 1836.

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