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mercredi 27 avril 2016

Abondance.

Abondance.
(Département de Haute-Savoie.)


La province de Chablais est certainement l'une des parties les plus pittoresques de la Savoie; et cependant c'est l'une des moins parcourues, si l'on excepte l'extrême littoral du lac de Genève depuis Thonon jusqu'à la frontière suisse. Rien n'est admirable comme toute cette contrée montagneuse comprise entre le lac et le groupe du mont Blanc, où s'échelonnent, par gradins successifs, les cimes neigeuses des montagnes les plus élevées, de vastes plateaux entrecoupés de profondes vallées, et enfin les derniers contre-forts du groupe, d'où le regard enchanté embrasse dans son ensemble le Léman presque entier, les riches campagnes du canton de Vaud, la chaîne du Jura, et une partie des Alpes suisses.
Sur les plateaux se trouvent d'admirables pâturages, et quelquefois des terres d'une grande fertilité. C'est là ce qui valut son nom au lieu qui nous occupe.
Abondance est situé sur une petite rivière peu connue, nommée la Drance, tout près de sa source et non loin des confins du Valais. Au douzième siècle, ce lieu appartenait aux moines de Saint-Maurice d'Agaune. Séduits par sa fertilité, ils résolurent d'y établir à demeure quelques uns de leurs frères. Ayant obtenu, à cet effet, l'agrément du comte de Genève, de qui relevait alors le Chablais, ils y fondèrent, en 1108, un simple prieuré, qui, bientôt après, en 1144, fut converti en abbaye. Celle-ci prospéra rapidement; ses richesses s'accrurent, ainsi que sa puissance, à ce point qu'elle vit, à son tour, relever d'elle les abbayes de Sixte, d'Entremont, de Forli, de Notre-Dame de Goaille et de Goyon. 



Les religieux d'Abondance, comme ceux d'Agaune, appartenaient à l'ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin. Mais là, comme dans beaucoup d'autres abbayes, l'extrême prospérité amena bientôt la décadence. Le relâchement de la discipline eut pour conséquence celui des mœurs; les richesses, mal administrées, diminuèrent rapidement: si bien qu'en 1602, saint François de Sales, évêque de Genève, jugea à propos de remplacer les chanoines de Saint-Augustin par des religieux d'un ordre plus sévère, les Cisterciens. Il paraît cependant que le remède ne fut pas très-efficace; car l'abbaye d'Abondance était parvenue, en 1672, à un tel état de décadence, que le pape Clément XII en prononça la sécularisation, à la demande  du duc de Savoie Charles-Emmanuel.
L'église de l'ancienne abbaye, simple église paroissiale aujourd'hui, subsiste encore telle qu'elle était au moment de la suppression de l'abbaye. C'est un édifice très-convenable, mais qui ne contient rien de bien intéressant, si ce n'est un siège abbatial remarquable par son style et son ancienneté.
Abondance est un gros bourg qui, à défaut de son antique abbaye, a toujours pour lui son heureuse situation au milieu de gras pâturages et de terres dont la fertilité étonne presque, en raison de l'altitude où elles se trouvent situées. Le pays est des plus agréables. A certaines heures du jour, il prend un aspect grandiose par les admirables effets de couleurs que le soleil, à son lever ou à son coucher, projette sur les grandes montagnes environnantes. La Drance, qui n'est encore là qu'un ruisseau, se creuse bientôt en une vallée profonde qui converge, à cinq ou six lieues plus loin, avec la vallée d'Aups, pour aller déverser les eaux de toute cette contrée dans le lac de Genève, un peu en-dessous de Thonon. De cette dernière ville, qui est le chef-lieu d'arrondissement, une route facile conduit à Abondance. La distance est moindre et on y arrive plus facilement en partant d'Evian; mais alors ce sont des chemins de traverse, et il faut commencer par escalader, pendant une ou deux lieues, des côtes abruptes dont l'ascension n'est pas sans fatigue. Les merveilleux points de vue dont on jouit en parvenant à leur sommet sont, du reste, bien fait pour dédommager le touriste amateur de la belle nature. C'est donc la route que nous lui recommanderons. Du reste, quelque chemin qu'il prenne, il ne regrettera certainement pas la promenade d'Abondance.

Le magasin pittoresque, mars 1876.

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