Préjugés des anciens sur quelques animaux.
La salamandre.
La salamandre.
La salamandre, pour la considérer tout de suite familièrement, est une sorte de crapaud qui a une queue. Les mœurs de cet animal ne présentent aucune propriété extraordinaire, et cependant, sur la foi de quelques observations d'une très-faible portée, il s'est accumulé peu à peu autour de son nom une réputation immense.
Lorsqu'on blesse ou qu'on irrite ce petit animal, il suinte de sa peau, visqueuse comme celle du crapaud, une humeur laiteuse, amère, d'une odeur forte et tout à fait repoussante. Cette propriété est fort simple, et évidemment destinée dans le plan de la nature à écarter de lui les ennemis que la paresse de sa marche ne lui permet pas de fuir. C'est là cependant ce qui est devenu le principe de toutes les fables qui se sont répandues sur le compte de la salamandre.
D'abord, il est incontestable que cette humeur est légèrement vénéneuse; elle fait périr, en effet, les insectes et les petits animaux; mais on s'est assuré, par des expériences positives, qu'elle sans aucune action délétère chez l'homme et sur les animaux d'une certaine taille. Cependant, chez les anciens, son poison a passé pour un des plus redoutables du monde. Pline assure qu'il suffit que la salamandre ait touché un fruit en passant pour que ce fruit se change aussitôt en poison violent. Je croirais volontiers que dans l'empire romain on en était venu à forger une multitude de poisons que l'on rapportait à la main de la nature précisément parce qu'il y en avait un trop grand nombre qui ne sortaient que de celle des hommes. Quoi qu'il en soit, cette mauvaise réputation de la salamandre, qui n'aurait guère le droit de régner que parmi les mouches et les autres insectes, s'est conservée dans nos campagnes.
La salamandre est rangée presque partout par les paysans parmi les animaux les plus venimeux, et quand on en découvre quelqu'une on s'en débarrasse aussitôt avec une sorte d'horreur. Elle ne mérite cependant pas une réprobation plus énergique que le crapaud, car à l'égard de ses mœurs et de son venin elle est presque en tout pareille.
Mais cette faculté d'empoisonnement n'est, si je puis ainsi dire, que la moindre merveille de la salamandre. Sa plus fameuse propriété est d'éteindre le feu; et l'on a vu au moyen âge des savants qui, se fondant sur cette antipathie naturelle, prétendaient éteindre les incendies en jetant au milieu des flammes des salamandres.
Ce préjugé a ses racines dans l'antiquité.
" La salamandre, dit Pline, est un animal si froid que rien qu'à toucher le feu, il l'éteint comme ferait de la glace."
Aristote enseigne à peu près la même chose, mais avec plus de réserve:
"Cet animal, dit-il, à ce que l'on prétend, éteint le feu lorsqu'il y entre."
Il y a là quelque vérité, mais il faut la bien préciser pour ne s'y méprendre. Il est certain que si l'on met une salamandre sur quelques charbons, comme il se dégage immédiatement de son corps cette humeur laiteuse dont nous avons parlé, les charbons qui la touchent, s'ils ne sont pas trop forts et trop ardents, s'éteignent promptement; mais cela ne tient nullement à la froideur de l'animal, car cette humeur serait toute chaude qu'elle n'éteindrait pas moins le feu sur lequel elle se répandrait, comme l'eau qui n'éteint pas moins le charbon quand elle est bouillante que quand elle est à la glace. Le tout se réduit à ce que la salamandre se comporte parmi les charbons à peu près comme un morceau de bois tout mouillé, et il n'y a rien là, il faut en convenir, de bien merveilleux.
Mais de ce fait si simple, grâce à l'exagération de la théorie des sympathies et des antipathies, si puissante dans l'ancien état de la science, est sortie l'idée que la nature de la salamandre était antipathique à celle du feu, et de là la persuasion que la salamandre repoussant absolument le feu, cet agent ne la saurait consumer.
Telle a été l'opinion vulgaire au moyen âge; et, pour la détruire, il a fallut que les savants du moyen âge se livrassent à cet égard à des expériences positives. Mathiole rapporte qu'il vit une salamandre mit dans un brasier et brûlée en très-peu de temps. Picrius et Amatus font des déclarations semblables. Galien, chez les anciens, avait observé la même chose, car il dit que la salamandre supporte à la vérité l'action du feu, mais qu'elle finit bientôt par y être consumée; et il recommande même ses cendres comme un médicament utile. Certes, une si grande autorité aurait du mettre entrave à l'exagération; mais le merveilleux, une fois né, s'arrête rarement avant d'être parvenu au terme de sa carrière. L'incombustibilité de l'animal une fois implantée de cette manière dans les imaginations, on a oublié bien vite la pauvre petite salamandre des fossés et des caveaux humides, et l'on est allé jusqu'à donner à l'animal lui-même une organisation franchement fantastique. On lui a attribué le feu comme séjour habituel, comme l'eau aux poissons ou l'air aux papillons; on a voulu qu'il y puisât sa nourriture; on lui a fait souffler et vomir la flamme; on lui a supposé des ailes pour se mouvoir plus à l'aise dans cet élément subtil; on lui a ôté son humble figure, et on en a fait un dragon: voilà la généalogie de cette furieuse salamandre du blason de François 1er.
Il se conçoit que l'on ne se soit pas arrêté en si beau chemin. Les voyageurs, qui pouvait prétendre avoir rencontré des salamandres aux pays lointains, n'avaient pas à se faire grand scrupule de rapporter des preuves matérielles de leur mensongère trouvaille. Aussi vit-on circuler pendant un temps, dans le commerce des curiosités naturelles, des étoffes faites de la laine de salamandre: on en était venu à donner de la laine à ce dragon. Cette laine, ou plutôt encore, cette soie, était blanche, fine, d'une assez grande souplesse, et résistait en effet particulièrement bien à l'action du feu le plus ardent. On pouvait en faire des tissus, et, à l'aide de ces tissus, braver non pas la violence du feu, mais le danger de voir les vêtements s'enflammer au simple contact de la flamme: aussi la laine de salamandre eut-elle un moment une célébrité rare.
Le fait est que si l'on avait dû juger de l'incombustibilité de la salamandre d'après celle de cette prétendue laine, il aurait fallu regarder l'animal comme réellement doué de la propriété prodigieuse que le vulgaire lui attribuait. Mais cette substance provenait-elle réellement d'un animal? Là était la question, et, malheureusement pour les amis du merveilleux, il s'est trouvé que la laine de salamandre était tout simplement un minéral filamenteux bien connu des naturalistes, et connu même des anciens sous le nom d'asbeste.
Le Magasin pittoresque, juillet 1870.
Mais de ce fait si simple, grâce à l'exagération de la théorie des sympathies et des antipathies, si puissante dans l'ancien état de la science, est sortie l'idée que la nature de la salamandre était antipathique à celle du feu, et de là la persuasion que la salamandre repoussant absolument le feu, cet agent ne la saurait consumer.
Telle a été l'opinion vulgaire au moyen âge; et, pour la détruire, il a fallut que les savants du moyen âge se livrassent à cet égard à des expériences positives. Mathiole rapporte qu'il vit une salamandre mit dans un brasier et brûlée en très-peu de temps. Picrius et Amatus font des déclarations semblables. Galien, chez les anciens, avait observé la même chose, car il dit que la salamandre supporte à la vérité l'action du feu, mais qu'elle finit bientôt par y être consumée; et il recommande même ses cendres comme un médicament utile. Certes, une si grande autorité aurait du mettre entrave à l'exagération; mais le merveilleux, une fois né, s'arrête rarement avant d'être parvenu au terme de sa carrière. L'incombustibilité de l'animal une fois implantée de cette manière dans les imaginations, on a oublié bien vite la pauvre petite salamandre des fossés et des caveaux humides, et l'on est allé jusqu'à donner à l'animal lui-même une organisation franchement fantastique. On lui a attribué le feu comme séjour habituel, comme l'eau aux poissons ou l'air aux papillons; on a voulu qu'il y puisât sa nourriture; on lui a fait souffler et vomir la flamme; on lui a supposé des ailes pour se mouvoir plus à l'aise dans cet élément subtil; on lui a ôté son humble figure, et on en a fait un dragon: voilà la généalogie de cette furieuse salamandre du blason de François 1er.
Il se conçoit que l'on ne se soit pas arrêté en si beau chemin. Les voyageurs, qui pouvait prétendre avoir rencontré des salamandres aux pays lointains, n'avaient pas à se faire grand scrupule de rapporter des preuves matérielles de leur mensongère trouvaille. Aussi vit-on circuler pendant un temps, dans le commerce des curiosités naturelles, des étoffes faites de la laine de salamandre: on en était venu à donner de la laine à ce dragon. Cette laine, ou plutôt encore, cette soie, était blanche, fine, d'une assez grande souplesse, et résistait en effet particulièrement bien à l'action du feu le plus ardent. On pouvait en faire des tissus, et, à l'aide de ces tissus, braver non pas la violence du feu, mais le danger de voir les vêtements s'enflammer au simple contact de la flamme: aussi la laine de salamandre eut-elle un moment une célébrité rare.
Le fait est que si l'on avait dû juger de l'incombustibilité de la salamandre d'après celle de cette prétendue laine, il aurait fallu regarder l'animal comme réellement doué de la propriété prodigieuse que le vulgaire lui attribuait. Mais cette substance provenait-elle réellement d'un animal? Là était la question, et, malheureusement pour les amis du merveilleux, il s'est trouvé que la laine de salamandre était tout simplement un minéral filamenteux bien connu des naturalistes, et connu même des anciens sous le nom d'asbeste.
Le Magasin pittoresque, juillet 1870.
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