Les crapaux.
Les personnes faciles à dégoûter m'excuseront, mais je ne saurais me dispenser de parler ici des crapauds; il faut dire au moins deux mots de ces vilains animaux. Sur la foi des anciens, on a ajouté à leur répugnante laideur, dont on ne peut sans doute les excuser, une fausse réputation d'empoisonnement qu'ils ne méritent pas.
Pline mentionne une multitude de remèdes auxquels il attribue la propriété d'empêcher les funestes résultats de la morsure des crapauds; et il certain que comme cette morsure n'offre en effet aucun danger, il doit nécessairement se trouver une infinité de substances aussi héroïques à cet égard que celles dont a parlé le naturaliste romain.
Le crapaud est pour son venin dans la même condition que la salamandre, c'est à dire qu'il fait à volonté sortir de sa peau une humeur dégoûtante, mais qui n'a que des propriétés très-médiocrement énergiques; on redoute encore plus son urine que sa bave et sa sueur. Il est certain qu'il n'est pas du tout agréable d'en recevoir dans les yeux, et c'est ce qui arrive quelquefois lorsque l'on tourmente l'animal; car c'est un des moyens de défense que la nature lui a donnés. Mais il est entièrement faux, et c'est une des erreurs relevées par Scaliger, que cette urine, ainsi qu'on le croit communément dans les villages, fasse perdre la vue. Si le crapaud est l'ennemi des yeux, ce n'est que par la vilaine image qu'il y met.
C'est aussi une très-ancienne et très-universelle réputation des crapauds, que la propriété de se conserver vivants durant des siècles dans le milieu des pierres. Il y a là quelque chose de très-vrai. On peut enterrer vivant un crapaud, même dans du plâtre qui se referme ensuite et forme comme une pierre autour de lui, et plusieurs mois après cette stricte réclusion, en brisant l'enveloppe on retrouve l'animal en pleine vie. Mais combien de temps le crapaud peut-il endurer un tel état? c'est ce que des expériences positives n'ont pas encore décidé. On conçoit d'ailleurs fort bien que l'animal, étant privé d'air, tombe dans une léthargie analogue à celle à laquelle il est soumis pendant l'hiver, et que, comme il ne fait aucune perte, il n'ait besoin non plus d'aucune réparation de nourriture. La possibilité de la suspension complète de la vie chez certains animaux des ordres inférieurs est un fait devenu incontestable. On peut même, avec des précautions convenables, emprisonner dans la glace certains animaux, les salamandres, les écrevisses, sans doute aussi les crapauds, les congeler entièrement au point que, tous leurs liquides se solidifiant, leur corps entier devienne fragile comme un morceau de glace, et, après cela, les dégeler peu à peu et les rappeler finalement à la vie. Encore une fois, combien de temps un animal ainsi plongé dans cette léthargie glaciale pourrait-il conserver la vertu de résister? c'est ce qu'il serait certainement bien intéressant de savoir.
Il n'y a donc rien de répréhensible à s'imaginer que l'on puisse trouver quelquefois, ainsi que l'affirment les habitants des campagnes, des crapauds dans l'intérieur des pierres; mais le préjugé est de se persuader que ces crapauds sont contemporains de la formation de ces pierres, ce qui en feraient le plus souvent de véritables animaux antédiluviens. Leur présence dans ces cavités, dont ils ne peuvent sortir, s'explique très-simplement en ce qu'ils s'y sont insinués par quelque fente lorsqu'ils étaient jeunes, et qu'y ayant grossi en s'y nourrissant des insectes qui venaient chercher refuge également dans cette petite caverne, la porte par laquelle ils s'y étaient glissés a fini par devenir trop étroite pour les laisser sortir. C'est au juste l'histoire de la belette entrée dans un grenier. En regardant bien la pierre au milieu des éclats de laquelle on voit apparaître le crapaud, on reconnaîtrait toujours quelque petite ouverture, souvent bouchée accidentellement par de la terre, mais communiquant dans le principe entre l'extérieur et le logis de l'animal.
Il y aurait encore bien des choses à dire sur ce sujet, mais elles ne seraient peut-être pas jugées intéressantes, et j'aime mieux en finir par un mot sur la crapaudine. On nommait ainsi autrefois une petite pierre fort recherchée, que l'on croyait se former en de certaines circonstances dans la tête des crapauds, et à laquelle la superstition attribuait des propriétés merveilleuses. L'expérience a non-seulement constaté que ces propriétés étaient une pure invention, mais il est maintenant bien établi que ces prétendues concrétions de la tête des crapauds ne sont que des dents fossiles de poissons de mer. Elles ne sont pas moins merveilleuses, en raison de l'étonnante position qu'elles occupent dans l'intérieur des continents et même des plus durs rochers; mais ce n'est plus du petit et puéril mais du grand et philosophique merveilleux.
Le Magasin pittoresque, septembre 1870.
C'est aussi une très-ancienne et très-universelle réputation des crapauds, que la propriété de se conserver vivants durant des siècles dans le milieu des pierres. Il y a là quelque chose de très-vrai. On peut enterrer vivant un crapaud, même dans du plâtre qui se referme ensuite et forme comme une pierre autour de lui, et plusieurs mois après cette stricte réclusion, en brisant l'enveloppe on retrouve l'animal en pleine vie. Mais combien de temps le crapaud peut-il endurer un tel état? c'est ce que des expériences positives n'ont pas encore décidé. On conçoit d'ailleurs fort bien que l'animal, étant privé d'air, tombe dans une léthargie analogue à celle à laquelle il est soumis pendant l'hiver, et que, comme il ne fait aucune perte, il n'ait besoin non plus d'aucune réparation de nourriture. La possibilité de la suspension complète de la vie chez certains animaux des ordres inférieurs est un fait devenu incontestable. On peut même, avec des précautions convenables, emprisonner dans la glace certains animaux, les salamandres, les écrevisses, sans doute aussi les crapauds, les congeler entièrement au point que, tous leurs liquides se solidifiant, leur corps entier devienne fragile comme un morceau de glace, et, après cela, les dégeler peu à peu et les rappeler finalement à la vie. Encore une fois, combien de temps un animal ainsi plongé dans cette léthargie glaciale pourrait-il conserver la vertu de résister? c'est ce qu'il serait certainement bien intéressant de savoir.
Il n'y a donc rien de répréhensible à s'imaginer que l'on puisse trouver quelquefois, ainsi que l'affirment les habitants des campagnes, des crapauds dans l'intérieur des pierres; mais le préjugé est de se persuader que ces crapauds sont contemporains de la formation de ces pierres, ce qui en feraient le plus souvent de véritables animaux antédiluviens. Leur présence dans ces cavités, dont ils ne peuvent sortir, s'explique très-simplement en ce qu'ils s'y sont insinués par quelque fente lorsqu'ils étaient jeunes, et qu'y ayant grossi en s'y nourrissant des insectes qui venaient chercher refuge également dans cette petite caverne, la porte par laquelle ils s'y étaient glissés a fini par devenir trop étroite pour les laisser sortir. C'est au juste l'histoire de la belette entrée dans un grenier. En regardant bien la pierre au milieu des éclats de laquelle on voit apparaître le crapaud, on reconnaîtrait toujours quelque petite ouverture, souvent bouchée accidentellement par de la terre, mais communiquant dans le principe entre l'extérieur et le logis de l'animal.
Il y aurait encore bien des choses à dire sur ce sujet, mais elles ne seraient peut-être pas jugées intéressantes, et j'aime mieux en finir par un mot sur la crapaudine. On nommait ainsi autrefois une petite pierre fort recherchée, que l'on croyait se former en de certaines circonstances dans la tête des crapauds, et à laquelle la superstition attribuait des propriétés merveilleuses. L'expérience a non-seulement constaté que ces propriétés étaient une pure invention, mais il est maintenant bien établi que ces prétendues concrétions de la tête des crapauds ne sont que des dents fossiles de poissons de mer. Elles ne sont pas moins merveilleuses, en raison de l'étonnante position qu'elles occupent dans l'intérieur des continents et même des plus durs rochers; mais ce n'est plus du petit et puéril mais du grand et philosophique merveilleux.
Le Magasin pittoresque, septembre 1870.
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