Loches.
(Département d'Indre-et-Loire)
Le nom de Loches paraît venir du mot celtique Loch ou Louch (lac, étang, marais), expression que peut expliquer la nature du pays environnant. Les Romains appelaient la ville Castrum Luceœ. On leur a attribué pendant longtemps la construction de la grande tour carrée du donjon, que de nos jours on ne fait pas remonter au delà du dixième ou du onzième siècle.
Lorsque la domination romaine fut anéantie en Gaule, Loches tomba au pouvoir des Wisigoths.
Plus tard, après la bataille de Voulon, elle fut occupée par les Francs; mais au commencement du septième siècle, elle fut de nouveau réunie à l'Aquitaine.
Au huitième siècle, Hunald, duc de Toulouse et d'Aquitaine, et maître de Loches, s'étant révolté, Pépin et Carloman marchent contre lui, s'emparent du château, et, selon les expressions de Frédégaire, le détruisent de fond en comble.
Au neuvième siècle, Charles le Chauve donna à un seigneur de sa cour, nommé Adeland, Loches et le pays qui en dépendait.
Le château de Loches fut, sans doute, reconstruit par le nouveau maître ou ses successeurs; car, aux premières années du dixième siècle, les Normands dans leurs courses de pillage s'avancèrent jusqu'à Loches, et là trouvèrent résistance et bataille.
La ville entra dans les domaines des comtes d'Anjou par une alliance. Garnier, fils et héritier d'Adeland, eut une fille qui épousa Foulques 1er, comte d'Anjou, et lui apporta en dot la seigneurie de Loches. C'est à cette famille des comtes d'Anjou qu'appartient le célèbre Foulques III, dit Nerra ou le Noir, un des personnages les plus curieux du onzième siècle, et on croit que c'est Foulques Nerra qu'il faut regarder comme l'auteur de l'imposante construction appelée le donjon de Loches.
"Il nous sera difficile, dit un écrivain érudit, habitant de la ville (1), de comparer la tour carrée, c'est le nom du Donjon, avec d'autres constructions de même nature. Les châteaux du onzième siècle sont presque tous détruits; mais nous avons tout près de nous un monument d'un genre différent et d'une importance aussi grande, qui peut encore servir de point de comparaison; nous voulons parler de l'église de Beaulieu. Bâtie de 1001 à 1007 par ce même Foulques, elle présente, sinon dans sa forme, du moins dans son mode de bâtisse, les mêmes caractères que le donjon de Loches.
Ce donjon servit de prison, dès les premiers temps de sa construction, à des prisonniers de haut parage. C'est là que fut emprisonné et étranglé un des ennemis les plus opiniâtres de Foulques Nerra, Geoffroy de Saint-Aignan, qui était venu le pourchasser jusque devant son repaire, et qui lui fut livré par de perfides compagnons. C'est là qu'Etienne, frère de Thibault le Tricheur, comte de Blois, le vieil ennemi de Foulques, fut retenu par le successeur de Foulques, Geoffroy II Martel, jusqu'à ce qu'il lui eût abandonné toutes ses possessions de Touraine. C'est là que Geoffroy le Barbu, le fils aîné de Geoffroy Martel, fut enfermé et retenu, dit-on, pendant trente ans, par son frère Foulques le Réchin, qui voulait être le maître des états de leur père. Quand il sortit de prison, c'était un vieillard dont la raison s'était éteinte. Ce Foulques le Réchin eut plus tard une querelle avec l'archevêque de Tours et fut excommunié. Foulques V, son fils, , fit la guerre féodale au roi Louis VI, alla deux fois en Palestine, et devint même roi de Jérusalem après Baudouin II, dont il avait épousé la fille. Le comté d'Anjou passa à son troisième fils, Geoffroy le Bel, connu dans l'histoire sous le nom de Plantagenet.
Après que la famille des Plantagenets fut montée sur le trône d'Angleterre avec Henri II, Loches devint possession anglaise. Mais quand Geoffroy V mourut, Henri, déjà maître de la Normandie, et à la veille d'être roi d'Angleterre, voulut garder pour lui seul toute la succession paternelle et refusa à Geoffroy VI ce qui lui revenait.
Mais quand les fils de Henri II se révoltèrent contre leur père, Philippe-Auguste encouragea et appuya cette révolte. On le voit, en 1189, en compagnie de Richard surnommé Cœur de lion, un des fils du roi d'Angleterre, venir assiéger Loches, et s'en emparer après un siège de quelques jours. Cette année-là même, Henri II mourait, abreuvé de chagrins et d'humiliations.
Richard devenait roi. Philippe-Auguste lui donna les villes de Touraine qui avaient fait partie des domaines de son père Henri; puis les deux princes partirent ensemble pour la croisade. On sait que le roi de France revint le premier, et qu'il mit la main sur un certain nombre de villes appartenant au roi d'Angleterre, pendant que ce souverain restait prisonnier en Allemagne. Loches était une de ces villes.
L'année suivante (1194), Richard, devenu libre, reprit Loches à Philippe. Il lui suffit d'une attaque de deux ou trois heures et d'un seul assaut pour s'emparer de cette place, "défendue à la fois par la nature et par l'art." Parmi les prisonniers se trouvait le comte de Laval, soixante-quatre chevaliers et quatre-vingt écuyers. On peut juger par le nombre et la qualité des captifs de l'importance de Loches.
Lorsque Jean Sans-Terre, successeur de Richard, à la suite de l'assassinat de son neveu Arthur de Bretagne eut été cité devant la cour des pairs, comme vassal du roi de France, il refusa de comparaître devant son suzerain. Philippe, en vertu des lois féodales, fit prononcer la confiscation de ses fiefs de France et s'empara de la Normandie, de l'Anjou, du Maine, de la Bretagne et d'une partie du Poitou. Loches fut assiégée en 1204. Le siège dura près d'un an. Le commandant anglais, Gérard d'Athée, résista vigoureusement. Enfin la ville fut prise après "une grande et cruelle batterie", et on fit prisonniers "quelque six-vingt soldats et le susdit Gérard."
La ville faisait partie du domaine de la reine Bérangère, veuve de Richard; mais Philippe-Auguste la considéra comme de bonne prise, et, pour récompenser les services de Dreux IV de Mello, connétable de France, un de ses plus distingués capitaines, il fit don des seigneuries de Loches et de Châtillon-sur-Indre à son fils Dreux V. Le don n'était pas perpétuel: il devait revenir à la couronne, lorsqu'il plairait au roi ou à ses héritiers de le redemander.
Dreux V mourut sans enfants, et Dreux VI, son neveu, hérita de ses domaines. Louis IX lui réclama Loches et Châtillon; Dreux refusa, malgré les clauses de la charte de la donation. Louis, qui aimait mieux arranger les choses à l'amiable, se fit céder pacifiquement les deux seigneuries moyennant une rente de six cents livres par an.
Loches eut désormais des gouverneurs nommés par le roi. Un des premiers fut la Brosse, sergent d'armes de saint Louis, et père de Pierre la Brosse, pendu à Montfaucon par les ordres de Philippe le Hardi. Dans les temps plus modernes, on peut citer le duc d'Epernon, Jean-Louis de Nogaret de la Valette, de si triste mémoire, qui mourut dans son gouvernement de Loches en 1642.
Tout ce que nous avons dit jusqu'ici de la forteresse de Loches se rapporte à cette énorme construction carrée qu'on appelle le Donjon, et qui, malgré l'état de ruine où elle se trouve, présente comme un aspect formidable. C'est évidemment pendant les guerres du quatorzième et du quinzième que le donjon eut le plus à souffrir; et comme depuis la guerre changea de forme et de procédés, la vieille forteresse, désormais insuffisante, fut délaissée. On peut, bien qu'il n'en reste que les quatre murs, se faire une idée de ce que c'était. Les dimensions en longueur (25 mètres), en largeur (14 mètres), et en hauteur (40 mètres), font un ensemble des plus imposants. A cette tour est acculée, de manière à faire angle, une autre petite tour également rectangulaire, et dont les dimensions sont à peu près le quart de la première. Il y avait dans ce donjon quatre étages formés par quatre salles, mais planchers et voûtes se sont écroulées depuis longtemps.
Nous avons vu que les comtes d'Anjou se servaient à l'occasion de le tour de Loches comme de prison. Les rois de France suivirent leur exemple. lorsque le duc d'Alençon, prince du sang, eut été condamné à mort par la cour des pairs pour avoir voulu livrer aux Anglais plusieurs villes de la Normandie, le roi Charles VII, dont il avait pourtant poussé le fils à la révolte, lui fit grâce de la vie, mais l'enferma dans le donjon de Loches.
Louis XI y fit commencer de nouveaux travaux, afin de faire de ce lieu une véritable bastille. Parmi ces travaux, on cite comme l'oeuvre la plus importante le second donjon, appelée Tour-Neuve ou Tour-Ronde.
Élevée sur le bord même du rocher et ajoutant ainsi à sa hauteur toute la profondeur du fossé, la Tour-Ronde est le digne pendant du Donjon carré. Louis XI ne l'acheva pas; elle fut continuée par Charles VIII, et ne fut probablement achevée que sous Louis XII.
Cette grosse tour renferme de vastes sales: c'était pour loger des personnages de marque. Quand on a monté les trois étages qui conduisent à la plate-forme, la vue s'étend avec admiration sur un des plus beaux spectacles qu'on puisse contempler: sous ses pieds, on a la ville qui descend en étages jusqu'à l'Indre; plus loin, on voit les vastes prairies et la rivière aux gracieux détours; plus loin le petite ville de Beaulieu et les ruines encore fières de la belle abbaye romane; puis enfin la forêt de Loches qui termine l'horizon.
Dans les étages inférieurs, on remarque la salle du rez-de-chaussée, dite salle de la torture, avec ses restes d'instruments de supplice, et, au-dessous, la chambre voûtée souterraine, à peine aérée, et où se trouvèrent les cages de fer dont il sera question dans un article spécial, ainsi que des cachots d'une autre tour aujourd'hui ruinée, et qu'on appelle le Martelet.
Loches, comme Amboise, comme Chinon, a été résidence royale. Ce château aux tourelles élancées qui domine la pittoresque porte des Cordeliers, voir notre gravure, c'était le palais du roi Charles VII (2).
C'est là que François 1er reçut Charles-Quint en 1539. Vingt ans plus tard, Henri II s'y arrêtait avec Catherine de Médicis; Charles IX et Henri de Bourbon y restèrent quelques jours en 1571; lorsqu'en 1619, Marie de Médicis s'échappait de Blois, c'est à Loches qu'elle se réfugiait, auprès du duc d'Epernon, qui l'aidait à gagner Angoulême.
Derrière le palais de Charles VII, on aperçoit deux clochers. Ce sont ceux de l'église paroissiale de Loches, ancienne collégiale de Saint-Ours. Cette église est un des plus intéressants édifices que puisse visiter un archéologue ou un historien. Elle fut commencée dans la seconde moitie du dixième siècle par le comte d'Anjou, Geoffroy Grise-Gonelle (grise casaque), mais elle ne fut achevée que dans la seconde moitié du douzième siècle. Aussi présente-t-elle deux types d'architecture bien marqués, le style romano-byzantin et le style roman inclinant vers l'ogival.
Notre gravure n'a pu indiquer que les sommets des deux clochers à flèches octogonales, qui se dressent aux deux extrémités de la nef. Mais ce qui est curieux à voir, et ce qui porte sa date écrite en toutes lettres, ce sont les deux voûtes en pyramide qui couvrent la nef; les chapelles absidales qui accompagnent d'une façon si pittoresque la base du clocher du chœur, dont la flèche s'élance entre quatre élégants clochetons; le portique d'entrée, précédé d'un porche, et dont les archivoltes, reposant sur des piliers d'un dessin et d'une ornementation remarquables, sont couvertes de sculptures bizarres, fantastiques, où les hommes ont des têtes d'animaux et les animaux des têtes d'hommes. Des statues, malheureusement mutilées, représentant des saints ou formant des groupes religieux, complètent la décoration de cette entrée, d'un aspect étrange, mais d'un intérêt puissant pour quiconque veut étudier la symbolique du moyen âge.
Agnès Sorel, après avoir quitté la cour, se retira à Beaulieu, ville située à une petite demi-lieue de Loches, de l'autre côté de l'Indre. Elle fit présent d'une statue représentant sainte Madeleine à la collégiale de Loches, et, quand elle mourut, à Jumièges, elle exprima le désir que son corps fut inhumé dans l'église de Loches, et institua pour cette église un legs de mille écus. Les chanoines de Loches lui élevèrent dans le chœur de leur église un tombeau qui a été enlevé au dix-huitième siècle. On ne trouva de conservé dans le cercueil que la tête avec les dents et la chevelure. On transporta ces restes et le tombeau dans une chapelle de l'église. En 1806, le préfet du département fit faire une nouvelle exhumation, et le tombeau, qui était fort dégradé, fut réparé et reconstruit dans la tourelle du château où on le voit aujourd'hui.
Loches reçut au seizième siècle, de Charles IX, le droit de se choisir une municipalité composé d'un maire, de trois échevins, de deux élus et d'un greffier. Elle avait aussi un atelier où l'on frappait la monnaie.
Aujourd'hui, Loches est une sous-préfecture. Son nom n'est plus mêlé à des événements historiques; ses fortifications n'ont plus rien de menaçant; mais elles forment des terrasses et de jolies promenades d'où l'on a la plus belle vue qui se puisse imaginer. Il n'y a plus de brillants cortèges ni de royales cavalcades dans la ville; mais elle n'en est pas plus triste pour cela; elle a l'animation qui vient du commerce et de l'industrie, c'est à dire la franche et honnête animation du travail.
(1) Donjon de Loches, par E. Gauthier.
(2) Aujourd'hui, c'est la sous-préfecture.
Le Magasin pittoresque, avril 1876.
Plus tard, après la bataille de Voulon, elle fut occupée par les Francs; mais au commencement du septième siècle, elle fut de nouveau réunie à l'Aquitaine.
Au huitième siècle, Hunald, duc de Toulouse et d'Aquitaine, et maître de Loches, s'étant révolté, Pépin et Carloman marchent contre lui, s'emparent du château, et, selon les expressions de Frédégaire, le détruisent de fond en comble.
Au neuvième siècle, Charles le Chauve donna à un seigneur de sa cour, nommé Adeland, Loches et le pays qui en dépendait.
Le château de Loches fut, sans doute, reconstruit par le nouveau maître ou ses successeurs; car, aux premières années du dixième siècle, les Normands dans leurs courses de pillage s'avancèrent jusqu'à Loches, et là trouvèrent résistance et bataille.
La ville entra dans les domaines des comtes d'Anjou par une alliance. Garnier, fils et héritier d'Adeland, eut une fille qui épousa Foulques 1er, comte d'Anjou, et lui apporta en dot la seigneurie de Loches. C'est à cette famille des comtes d'Anjou qu'appartient le célèbre Foulques III, dit Nerra ou le Noir, un des personnages les plus curieux du onzième siècle, et on croit que c'est Foulques Nerra qu'il faut regarder comme l'auteur de l'imposante construction appelée le donjon de Loches.
"Il nous sera difficile, dit un écrivain érudit, habitant de la ville (1), de comparer la tour carrée, c'est le nom du Donjon, avec d'autres constructions de même nature. Les châteaux du onzième siècle sont presque tous détruits; mais nous avons tout près de nous un monument d'un genre différent et d'une importance aussi grande, qui peut encore servir de point de comparaison; nous voulons parler de l'église de Beaulieu. Bâtie de 1001 à 1007 par ce même Foulques, elle présente, sinon dans sa forme, du moins dans son mode de bâtisse, les mêmes caractères que le donjon de Loches.
Ce donjon servit de prison, dès les premiers temps de sa construction, à des prisonniers de haut parage. C'est là que fut emprisonné et étranglé un des ennemis les plus opiniâtres de Foulques Nerra, Geoffroy de Saint-Aignan, qui était venu le pourchasser jusque devant son repaire, et qui lui fut livré par de perfides compagnons. C'est là qu'Etienne, frère de Thibault le Tricheur, comte de Blois, le vieil ennemi de Foulques, fut retenu par le successeur de Foulques, Geoffroy II Martel, jusqu'à ce qu'il lui eût abandonné toutes ses possessions de Touraine. C'est là que Geoffroy le Barbu, le fils aîné de Geoffroy Martel, fut enfermé et retenu, dit-on, pendant trente ans, par son frère Foulques le Réchin, qui voulait être le maître des états de leur père. Quand il sortit de prison, c'était un vieillard dont la raison s'était éteinte. Ce Foulques le Réchin eut plus tard une querelle avec l'archevêque de Tours et fut excommunié. Foulques V, son fils, , fit la guerre féodale au roi Louis VI, alla deux fois en Palestine, et devint même roi de Jérusalem après Baudouin II, dont il avait épousé la fille. Le comté d'Anjou passa à son troisième fils, Geoffroy le Bel, connu dans l'histoire sous le nom de Plantagenet.
Après que la famille des Plantagenets fut montée sur le trône d'Angleterre avec Henri II, Loches devint possession anglaise. Mais quand Geoffroy V mourut, Henri, déjà maître de la Normandie, et à la veille d'être roi d'Angleterre, voulut garder pour lui seul toute la succession paternelle et refusa à Geoffroy VI ce qui lui revenait.
Mais quand les fils de Henri II se révoltèrent contre leur père, Philippe-Auguste encouragea et appuya cette révolte. On le voit, en 1189, en compagnie de Richard surnommé Cœur de lion, un des fils du roi d'Angleterre, venir assiéger Loches, et s'en emparer après un siège de quelques jours. Cette année-là même, Henri II mourait, abreuvé de chagrins et d'humiliations.
Richard devenait roi. Philippe-Auguste lui donna les villes de Touraine qui avaient fait partie des domaines de son père Henri; puis les deux princes partirent ensemble pour la croisade. On sait que le roi de France revint le premier, et qu'il mit la main sur un certain nombre de villes appartenant au roi d'Angleterre, pendant que ce souverain restait prisonnier en Allemagne. Loches était une de ces villes.
L'année suivante (1194), Richard, devenu libre, reprit Loches à Philippe. Il lui suffit d'une attaque de deux ou trois heures et d'un seul assaut pour s'emparer de cette place, "défendue à la fois par la nature et par l'art." Parmi les prisonniers se trouvait le comte de Laval, soixante-quatre chevaliers et quatre-vingt écuyers. On peut juger par le nombre et la qualité des captifs de l'importance de Loches.
Lorsque Jean Sans-Terre, successeur de Richard, à la suite de l'assassinat de son neveu Arthur de Bretagne eut été cité devant la cour des pairs, comme vassal du roi de France, il refusa de comparaître devant son suzerain. Philippe, en vertu des lois féodales, fit prononcer la confiscation de ses fiefs de France et s'empara de la Normandie, de l'Anjou, du Maine, de la Bretagne et d'une partie du Poitou. Loches fut assiégée en 1204. Le siège dura près d'un an. Le commandant anglais, Gérard d'Athée, résista vigoureusement. Enfin la ville fut prise après "une grande et cruelle batterie", et on fit prisonniers "quelque six-vingt soldats et le susdit Gérard."
La ville faisait partie du domaine de la reine Bérangère, veuve de Richard; mais Philippe-Auguste la considéra comme de bonne prise, et, pour récompenser les services de Dreux IV de Mello, connétable de France, un de ses plus distingués capitaines, il fit don des seigneuries de Loches et de Châtillon-sur-Indre à son fils Dreux V. Le don n'était pas perpétuel: il devait revenir à la couronne, lorsqu'il plairait au roi ou à ses héritiers de le redemander.
Dreux V mourut sans enfants, et Dreux VI, son neveu, hérita de ses domaines. Louis IX lui réclama Loches et Châtillon; Dreux refusa, malgré les clauses de la charte de la donation. Louis, qui aimait mieux arranger les choses à l'amiable, se fit céder pacifiquement les deux seigneuries moyennant une rente de six cents livres par an.
Loches eut désormais des gouverneurs nommés par le roi. Un des premiers fut la Brosse, sergent d'armes de saint Louis, et père de Pierre la Brosse, pendu à Montfaucon par les ordres de Philippe le Hardi. Dans les temps plus modernes, on peut citer le duc d'Epernon, Jean-Louis de Nogaret de la Valette, de si triste mémoire, qui mourut dans son gouvernement de Loches en 1642.
Tout ce que nous avons dit jusqu'ici de la forteresse de Loches se rapporte à cette énorme construction carrée qu'on appelle le Donjon, et qui, malgré l'état de ruine où elle se trouve, présente comme un aspect formidable. C'est évidemment pendant les guerres du quatorzième et du quinzième que le donjon eut le plus à souffrir; et comme depuis la guerre changea de forme et de procédés, la vieille forteresse, désormais insuffisante, fut délaissée. On peut, bien qu'il n'en reste que les quatre murs, se faire une idée de ce que c'était. Les dimensions en longueur (25 mètres), en largeur (14 mètres), et en hauteur (40 mètres), font un ensemble des plus imposants. A cette tour est acculée, de manière à faire angle, une autre petite tour également rectangulaire, et dont les dimensions sont à peu près le quart de la première. Il y avait dans ce donjon quatre étages formés par quatre salles, mais planchers et voûtes se sont écroulées depuis longtemps.
Nous avons vu que les comtes d'Anjou se servaient à l'occasion de le tour de Loches comme de prison. Les rois de France suivirent leur exemple. lorsque le duc d'Alençon, prince du sang, eut été condamné à mort par la cour des pairs pour avoir voulu livrer aux Anglais plusieurs villes de la Normandie, le roi Charles VII, dont il avait pourtant poussé le fils à la révolte, lui fit grâce de la vie, mais l'enferma dans le donjon de Loches.
Louis XI y fit commencer de nouveaux travaux, afin de faire de ce lieu une véritable bastille. Parmi ces travaux, on cite comme l'oeuvre la plus importante le second donjon, appelée Tour-Neuve ou Tour-Ronde.
Élevée sur le bord même du rocher et ajoutant ainsi à sa hauteur toute la profondeur du fossé, la Tour-Ronde est le digne pendant du Donjon carré. Louis XI ne l'acheva pas; elle fut continuée par Charles VIII, et ne fut probablement achevée que sous Louis XII.
Cette grosse tour renferme de vastes sales: c'était pour loger des personnages de marque. Quand on a monté les trois étages qui conduisent à la plate-forme, la vue s'étend avec admiration sur un des plus beaux spectacles qu'on puisse contempler: sous ses pieds, on a la ville qui descend en étages jusqu'à l'Indre; plus loin, on voit les vastes prairies et la rivière aux gracieux détours; plus loin le petite ville de Beaulieu et les ruines encore fières de la belle abbaye romane; puis enfin la forêt de Loches qui termine l'horizon.
Dans les étages inférieurs, on remarque la salle du rez-de-chaussée, dite salle de la torture, avec ses restes d'instruments de supplice, et, au-dessous, la chambre voûtée souterraine, à peine aérée, et où se trouvèrent les cages de fer dont il sera question dans un article spécial, ainsi que des cachots d'une autre tour aujourd'hui ruinée, et qu'on appelle le Martelet.
Loches, comme Amboise, comme Chinon, a été résidence royale. Ce château aux tourelles élancées qui domine la pittoresque porte des Cordeliers, voir notre gravure, c'était le palais du roi Charles VII (2).
C'est là que François 1er reçut Charles-Quint en 1539. Vingt ans plus tard, Henri II s'y arrêtait avec Catherine de Médicis; Charles IX et Henri de Bourbon y restèrent quelques jours en 1571; lorsqu'en 1619, Marie de Médicis s'échappait de Blois, c'est à Loches qu'elle se réfugiait, auprès du duc d'Epernon, qui l'aidait à gagner Angoulême.
Derrière le palais de Charles VII, on aperçoit deux clochers. Ce sont ceux de l'église paroissiale de Loches, ancienne collégiale de Saint-Ours. Cette église est un des plus intéressants édifices que puisse visiter un archéologue ou un historien. Elle fut commencée dans la seconde moitie du dixième siècle par le comte d'Anjou, Geoffroy Grise-Gonelle (grise casaque), mais elle ne fut achevée que dans la seconde moitié du douzième siècle. Aussi présente-t-elle deux types d'architecture bien marqués, le style romano-byzantin et le style roman inclinant vers l'ogival.
Notre gravure n'a pu indiquer que les sommets des deux clochers à flèches octogonales, qui se dressent aux deux extrémités de la nef. Mais ce qui est curieux à voir, et ce qui porte sa date écrite en toutes lettres, ce sont les deux voûtes en pyramide qui couvrent la nef; les chapelles absidales qui accompagnent d'une façon si pittoresque la base du clocher du chœur, dont la flèche s'élance entre quatre élégants clochetons; le portique d'entrée, précédé d'un porche, et dont les archivoltes, reposant sur des piliers d'un dessin et d'une ornementation remarquables, sont couvertes de sculptures bizarres, fantastiques, où les hommes ont des têtes d'animaux et les animaux des têtes d'hommes. Des statues, malheureusement mutilées, représentant des saints ou formant des groupes religieux, complètent la décoration de cette entrée, d'un aspect étrange, mais d'un intérêt puissant pour quiconque veut étudier la symbolique du moyen âge.
Agnès Sorel, après avoir quitté la cour, se retira à Beaulieu, ville située à une petite demi-lieue de Loches, de l'autre côté de l'Indre. Elle fit présent d'une statue représentant sainte Madeleine à la collégiale de Loches, et, quand elle mourut, à Jumièges, elle exprima le désir que son corps fut inhumé dans l'église de Loches, et institua pour cette église un legs de mille écus. Les chanoines de Loches lui élevèrent dans le chœur de leur église un tombeau qui a été enlevé au dix-huitième siècle. On ne trouva de conservé dans le cercueil que la tête avec les dents et la chevelure. On transporta ces restes et le tombeau dans une chapelle de l'église. En 1806, le préfet du département fit faire une nouvelle exhumation, et le tombeau, qui était fort dégradé, fut réparé et reconstruit dans la tourelle du château où on le voit aujourd'hui.
Loches reçut au seizième siècle, de Charles IX, le droit de se choisir une municipalité composé d'un maire, de trois échevins, de deux élus et d'un greffier. Elle avait aussi un atelier où l'on frappait la monnaie.
Aujourd'hui, Loches est une sous-préfecture. Son nom n'est plus mêlé à des événements historiques; ses fortifications n'ont plus rien de menaçant; mais elles forment des terrasses et de jolies promenades d'où l'on a la plus belle vue qui se puisse imaginer. Il n'y a plus de brillants cortèges ni de royales cavalcades dans la ville; mais elle n'en est pas plus triste pour cela; elle a l'animation qui vient du commerce et de l'industrie, c'est à dire la franche et honnête animation du travail.
(1) Donjon de Loches, par E. Gauthier.
(2) Aujourd'hui, c'est la sous-préfecture.
Le Magasin pittoresque, avril 1876.
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