Serrure en fer ciselé et forgé
du quinzième siècle.
du quinzième siècle.
Cette patience prodigieuse avec laquelle nos pères sculptaient l'ivoire et le bois, et enluminaient les manuscrits, s'est souvent appliquée à la décoration artistique d'objets usuels, et à mettre en oeuvre les matières les plus rebelles: de ces objets, communs de matière et de destination, ils ont fait des chefs-d'oeuvre.
Nous pouvons citer pour exemple la merveilleuse plaque de serrure que nous mettons sous les yeux de nos lecteurs.
Cette serrure est en fer forgé. Elle se compose de trois cadres se développant sur un même plan en forme de triptyque, c'est à dire que les deux cadres formant les deux extrémités se rabattent comme des volets sur le cadre central, de manière à le couvrir complètement. Elle mesure de quarante à quarante-cinq centimètres de longueur, sur une hauteur de vingt à vingt-cinq. Sur ces trois cadres, un artiste inconnu a représenté la scène finale de l'histoire du monde, le Jugement dernier.
Au sommet du cadre central domine Dieu le père; à ses pieds, saint Joseph et la Vierge sont agenouillés dans l'attitude de l'adoration; sur les côtés, les anges sonnent la trompette du réveil. A cet appel, les morts sortent du tombeau, soulèvent la pierre, se débarrassent du linceul et se retrouvent à la lumière, dans des positions que l'artiste a su multiplier et compliquer suivant les idées bizarres qui hantaient son imagination; sur un petit anneau recouvrant l'alvéole de la clef, on aperçoit, figuré par un monstre à tête de crapaud, le grand dévorant, la Mort, qui étreint une créature humaine, la dernière, sans doute, car le Jugement dernier va terminer son règne.
Les ressuscités sont jugés. Le partage des bons et des mauvais est achevé. Tandis que, dans le cadre de gauche, l'artiste nous montre les démons à enveloppe de reptile précipitant dans les flammes les mauvais évêques, les hypocrites, les voleurs et les damnés dont on entrevoit seulement le masque désespéré, le cadre de droite est réservé aux bienheureux, à qui saint Pierre, reconnaissable à sa clef, vient d'ouvrir la porte du paradis, et que les anges accueillent au seuil du céleste séjour.
Tous ces personnages, au nombre d'une quarantaine, se détachent de la masse de fer comme autant de statuettes; le dessin est naïf, mais juste; les physionomies expriment un sentiment, une pensée, en harmonie avec la situation: l'étonnement et la crainte au réveil; le désespoir à gauche, la béatitude à droite.
L'ornementation générale est riche et harmonieuse; elle appartient au gothique flamboyant de la plus pure époque. Les fleurs de lis, les ogives, les enroulements, les moindres nervures, se détachent d'une manière très-nette sur un second plan d'une ornementation analogue et d'un dessin aussi riche et aussi correct. Malgré cette complication, il n'y a ni confusion, ni lourdeur; le tout est aussi léger qu'il est harmonieux. Certes, il a fallu à l'auteur de ce chef-d'oeuvre, non-seulement une science complète de la ciselure et la sûreté de main d'un Benvenuto Cellini, mais encore une persévérance extraordinaire qui lui a permis de poursuivre son travail sans la moindre défaillance pendant plusieurs années.
Si l'on en juge par le style des figures, dont le type se rapproche beaucoup de celui de la plupart des personnages sculptés sur le portrait de la cathédrale de Reims, on pourra attribuer cette plaque de serrure à un artiste flamand ou champenois; peut-être fut-elle destinée à fermer la grille du chœur dans une église.
Le Magasin pittoresque, avril 1876.
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