Edmond Rostand.
Le tort de M. Rostand, c'est de croire que lorsqu'on fait des vers, on n'a pas besoin d'écrire en français. Il trouve des rimes, il en trouve plus qu'il n'en faut, il en inventerait au besoin si le dictionnaire n'en contenait pas assez , et il aligne par devant lui, au petit bonheur, juste le nombre de mots voulu pour faire des vers, absolument comme on pique les pavés en bois pour les aligner les uns à côtés des autres.
Il en résulte quelquefois des combinaisons drôles, parce que M. Rostand est très spirituel et très adroit, mais il arrive souvent que cela ne fait que du charabia. D'autres fois, c'est plat, déplorablement plat: on dirait alors que M. Rostand essaie d'imiter les plus mauvais vers de Coppée.
Faire du Coppée spirituel et prétentieux, telle est la tâche difficile dont s'est acquitté M. Rostand. On peut s'en convaincre en relisant Cyrano de Bergerac, où l'on apercevra un galimatias qui ne choquait pas au théâtre, parce qu'on n'a guère le temps de comprendre ce que Coquelin récite.
M. Rostand, avant ce drame, n'avait pas eu de très grands succès, ni avec ses vers Les Musardines, ni avec ses pièces Les Romanesques, La Princesse Lointaine. Heureusement, il était riche (on dit qu'il dépensa 100.000 francs pour faire monter Cyrano de Bergerac) et pouvait se faire jouer. Sa pièce lui remboursa d'ailleurs largement ses avances.
Cyrano de Bergerac valut à M. Rostand, en 1898, la croix de chevalier de la Légion d'Honneur. Deux ans plus tard, l'Aiglon lui procurait la croix d'officier. Il a cessé d'écrire depuis, de peur d'épuiser trop vite les grades de notre ordre national.
L'Académie lui a ouvert ses portes, mais il n'y est pas encore entré, parce qu'on exige un discours de réception et que ce travail l'ennuie. Il ne faut pas oublier que son premier ouvrage date de 1890, et qu'il a mis dix ans à faire cinq pièces de théâtre. Pour se reposer d'une production aussi accablante, il est en ce moment à Cambo, et travaille à sculpter des marionnettes. Oui, Edmond Rostand, le poète à la haute cravate, le légionnaire à rosette, l'académicien de trente-quatre ans, s'occupe à jouer Guignol. Ce n'est pas cela qui lui apprendra notre langue, mais ses confrères espèrent, à son arrivée sous la coupole, lui faire étudier le dictionnaire de l'Académie: c'est pour cette raison qui l'ont élu.
Jean-Louis.
Mon Dimanche, 19 avril 1903.
LETTRE A L’AIMÉE
Je suis très loin de vous, très loin, ma chère aimée,
Comme la vie est dure aux pauvres amoureux!
Trouvez-vous pas qu'ensemble on était bien heureux?
Ah! la chambre bien close et tiède, et parfumée!
Ecrivez-moi souvent, dites-moi s'il fait beau,
Si vous m'aimez toujours, si nul ne me dérobe
Votre cœur...Contez-moi votre nouvelle robe
Et si vous avez mis votre nouveau chapeau;
C'est affreux de songer, le soir, petite amie,
Que loin, si loin de moi, vous êtes endormie.
Et, je pense aux frissons serrés de votre cou,
A votre bouche, à vos yeux clairs, à votre rire.
Adieu, mon cher trésor, je voulais vous écrire
Ceci tout simplement:"je vous aime beaucoup."
Edmond Rostand.
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