La veuve hindoue.
Le 24 novembre 1829, dans le district de Jubbulpore, une vieille femme, âgée de soixante cinq ans, annonça le projet de se brûler avec son mari, Omed Sing Opuddea, mort la veille. Le gouverneur anglais déclara, par une proclamation énergique, qu'il s'opposerait formellement à cette immolation, et menaça d'une peine sévère tout Indien qui aiderait la veuve à exécuter son dessein. Des gardes furent donc placés autour du bûcher, et le feu ne consuma que la dépouille d'Omed. Quatre jours plus tard, le gouverneur dirigeant ses pas de ce côté, aperçut, à quelque distance, assise sur un âpre rocher situé sur le bord de la rivière, la pauvre vieille veuve.
Elle n'avait gardé sur ses épaules qu'une chemise grossière; depuis quatre jours, elle demeurait exposée, sans autre vêtement, aux rayons brûlants du soleil et aux froides rosées de la nuit; depuis quatre jours, elle n'avait ni bu, ni mangé, se soutenant pour toute nourriture avec quelques feuilles de bétel, et enfin, pour marquer sa volonté inébranlable, elle avait couvert sa tête du turban rouge appelé le dhujja et avait brisé ses bracelets; c'était s'exclure d'elle-même pour toujours de sa caste, c'était se condamner à la mort civile.
Quand elle vit le gouverneur, elle lui dit:"J'ai résolu de mêler mes cendres à celles de mon époux, et j'attendrai patiemment que vous me le permettiez, bien certaine que Dieu me donnera la force de vivre jusqu'à ce moment, quoique je ne veuille ni manger, ni boire."
Tournant alors ses regards vers le soleil qui se levait sur les fertiles rivages de la Nerbudda: "Il y a quatre jours, dit-elle, que mon âme est réunie à celle de mon époux autour de ce soleil; il ne reste ici que ma forme terrestre; mais, je le sais, bientôt vous lui permettrez d'aller se joindre aux cendres qui me sont chères, car il n'est ni dans votre nature, ni dans vos usages, de prolonger inutilement les souffrances d'une pauvre vieille femme."
Le gouverneur lui parla de ses enfants qu'elle abandonnait, et que, peut être, on accuserait d'être ses meurtriers.
- "Je ne crains pas que le soupçon les atteigne, répondit-elle, car ils ont tout fait comme de bons enfants, pour m'engager à vivre. Quant à mes devoirs envers eux, ils sont finis; notre union est brisée, je n'ai plus, moi, qu'à aller rejoindre mon époux!"
La fermeté d'accent et l'emphase avec laquelle la vieille veuve dit ces mots, convainquirent le gouverneur que toute exhortation serait inutile et qu'elle était résolue à mourir. Il céda.
La veuve parut pleine de joie à cette nouvelle. Le bûcher construit, elle y marcha, appuyée sur l'épaule de son plus jeune fils, et, en arrivant sur les lieux du sacrifice, elle ne dit que ces mots:
- "O cher époux, pourquoi m'ont-ils séparé de toi pendant cinq jours?"
Puis, elle jeta quelques fleurs sur le sol, fit une courte prière, monta calme et souriante sur le sommet du bûcher, se coucha au milieu des flammes comme on s'étend sur un lit, et mourut sans pousser un cri, sans faire entendre une plainte.
Ernest Legouvé.
Mon Dimanche, 8 mars 1903.
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