Dîner au couvent de Saint-Metrophan
à Woronesch (Russie).
à Woronesch (Russie).
Nous allâmes visiter le couvent de Saint-Metrophan, où vivent quatre-vingt moines. L'archirei nous reçut bien et nous invita à dîner. Une longue table, la nappe et la serviette peu fines mais propres, les assiettes comme le reste du service également brillantes de propreté, enfin des bancs de bois, voilà ce que nous vîmes en entrant dans la salle à manger. Le dîner se composait de botwinja, soupe au sterlet, et d'une pâte au millet. Les plats étaient bien préparés, le pain me parut excellent, et il y avait du bon quass pour boisson: pas de luxe, on le voit, bien que le couvent soit riche. Nous fûmes servis par des novices. L'archirei donnait ses ordres au moyen d'une cloche suspendue à côté de la place qu'il occupait.
Les têtes et la physionomie de la plupart des moines étaient remarquables. L'archirei lui-même, d'une taille élancée et d'un maintien imposant, avait quelque chose de rêveur dans le regard. A côté de moi, à table, était assis un vieillard dont la belle barbe blanche ornait une bonne figure, respirant la bienveillance et l'honnêteté. Je ne me lassait pas de regarder un moine assis en face de moi. Âgé d'à peu près trente ans, de taille moyenne, un peu gras, au teint pâle nuancé de quelque chose de jaunâtre, il me faisait involontairement songer à Hamlet. C'étaient les traits nobles du prince danois, c'était son œil voilé et plein de pensées mélancoliques, sa secrète souffrance, enfin son irrésolution pour ainsi dire féminine. Je remarquai aussi un autre moine, petit vieillard jovial, qui avait servi comme officier dans les guerres de 1813 et de 1815.
Après le repas, un beau chant religieux à plusieurs voix fut exécuté avec beaucoup de précision. On servit ensuite une assiette remplie de petits pains blancs; chaque convive en prit un. A la fin du dîner, l'archirei coupa un petit pain en portions égales dont il accompagna le distribution par une prière. Soulevant ensuite un grand gobelet de quass, il fit boire les assistants, qui reçurent sa bénédiction. Un second chant à plusieurs voix termina le dîner.
Auguste de Harthausen.
Magasin Pittoresque, 1879.
Au cas où tous vos lecteurs et lectrices ne le sauraient pas, le quass (ou kwas, kvas) est une boisson à base de farine d'orge ou de seigle fermentée, semblable à de la bière, consommée dans les pays slaves.
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